En 1984, j’ai sursauté en voyant dans les dépêches de la Presse
canadienne que Nicole Houde remportait le Prix
littéraire des jeunes écrivains du Journal de Montréal. Comment deviner
qu’elle deviendrait une figure importante de notre littérature ? Je travaillais
alors comme adjoint au chef de pupitre au journal Le Quotidien. Nous en avions fait une manchette à la Une.
L’auteure, originaire de Saint-Fulgence, faisait une entrée remarquée dans le
monde littéraire. Ce fut le début pour elle d’une aventure d’écriture et pour
moi, un bonheur de lecture. Les choses ont bien changé depuis : Le Journal de Montréal ne s’intéresse
plus aux jeunes écrivains et Nicole Houde a produit une œuvre originale et fascinante.
Trente ans de publications,
des ouvrages percutants où l’écrivaine s’approprie un univers singulier. Le
Saguenay surgit souvent sous sa plume, particulièrement Saint-Fulgence,
L’Anse-Saint-Jean et Rivière-Éternité, où des femmes, marquées par une fatalité
héréditaire, luttent pour survivre. Dans La
Maison du remous, Laetitia est marquée au corps et à l’esprit par une
génétique impossible à déjouer. Ces victimes écrasées par la maternité vivent un
véritable enfer. Un livre que j’ai lu à plusieurs reprises. J’ai trouvé dans ce
roman un écho à mes Oiseaux de glace
où Thérèse est attirée par les promesses d’Ovide, son mari. Isolée, battue,
perdue au fond des bois, elle survit grâce à son imaginaire et sa colère. Que
dire de Je pense à toi où elle aborde
la figure du père, un sujet longtemps attendu, un récit particulièrement dense
et bouleversant.
Il faudra une douzaine
d’ouvrages avant de retrouver le sourire, de s’abandonner à son humour singulier.
Portraits d’anciennes jeunes filles
est un ouvrage remarquable, une embellie dans l’univers de cette écrivaine qui confronte
souvent un destin qui ne fait jamais de concessions.
Dans La
vie pour vrai, sa quatorzième publication, la romancière plonge dans un monde
qu’elle a visité dans La chanson de
Violetta. On se souvient de ce personnage de jeune déficiente qui entendait
bousculer le monde.
Je me regarde dans le miroir.
Je brûle d’envie d’aller de l’autre côté, de saisir les mains de ma vie et de
lui murmurer : « Jeune fille du carbonifère, il y a très longtemps que nous
patientons. Ce matin, je suis décidée, je te promets que tout va changer, tu
n’as plus rien à craindre. La déficience légère, la solitude et la mort sont
des mots que les dinosaures n’ont jamais entendus ; pourtant, ils régnèrent sur
l’univers pendant cent trente-cinq millions d’années, se gavant de feuillages
et de racines d’arbres jusqu’à complet épuisement.[1]
Céleste ne rêve peut-être pas
de transformer le monde même si elle a deux ou trois choses qu’elle aimerait changer.
Elle réside dans un foyer où des pensionnaires plus âgées semblent étirer le
temps. Denise, sa seconde mère, l’aime bien. Il y a aussi le centre où elle
retrouve des amis. Un monde où Grise la chatte devient sa confidente, où un
gâteau au chocolat est un festin.
Il y a des mots que je n’aime
pas. L’autorité dit que je suis déficiente. Il y a une échelle : léger,
moyen, profond. [2]
Des spécialistes ont tranché.
Céleste est comme un objet sur une tablette. Une manière de se faire dire que
l’on est à part et que l’on ne peut rien décider par soi. Comme si elle était
un ustensile dans une cuisine.
Henriette, la déficiente la
plus légère d’entre nous, a expliqué son opinion : « Léger, moyen,
profond, c’est comme les barreaux d’une échelle. » J’ai 38 ans, Henriette et
Rita aussi. Normand en a 45. Voilà, nous avons des problèmes avec une échelle.[3]
Elle vit surtout une peine
qui ne la lâche pas. Sa mère est morte et elle se sent terriblement abandonnée.
Elle aime croire qu’elle est là, qu’elle vient lui jouer dans les cheveux parfois,
l’encourager dans les moments où il ne reste plus que les larmes. Il suffit
d’avoir une formule, de savoir la chanter et le fantôme approche, lui fait un
clin d’œil dans un tableau.
Le dessin occupe une place
importante dans son quotidien tout comme dans La chanson de Violetta. Il en est souvent ainsi dans les romans de
Nicole Houde. Céleste, qui voudrait bien changer son nom pour Céline Dion, est habile
avec ses crayons et les couleurs. Elle dessine les gens autour d’elle, des
chats, des dinosaures et des cartes de Noël. Elle remporte aussi des prix. Tout
passe dans ces petites scènes où l’artiste naïve se demande si son existence a une
direction et si son rêve d’un grand lit et d’une maison pour abriter le grand
amour est possible. Elle a beau être coincée entre les barreaux d’une échelle, elle
vit ce que les hommes et les femmes ressentent.
Questions
Qu’est la vie ? A-t-elle un
sens ? Qu’arrive-t-il quand la mort vous saisit ? Et il y a sa soeur, les
chats, l’amour que vivent ses amies. Son cœur ne fait qu’un tour devant Victor aux
yeux bleus, un homme bâti comme une armoire à glace. Elle étonne aussi les
intervenants par sa capacité de lecture. Sa plongée dans L’histoire de Pi a été une aventure et elle pourrait en dire des
choses étonnantes. Comment faire autrement quand on a eu une mère écrivaine ? Sa
vie va donc entre ses chagrins, ses douleurs, ses espoirs, sa sœur, Alexis et
Ondine avec qui elle s’entend plutôt bien. Ils ont peut-être le même âge. Cela
ne l’empêche pas d’avoir des entretiens sérieux avec sa sœur Anna qui l’aide à
comprendre les sensations qu’elle éprouve quand Victor l’embrasse.
Elle adore ses escales au
Jardin botanique de Montréal pour le repos, la beauté, les arbres, les
magnolias surtout qui apportent le bonheur et la paix. Le Jardin botanique occupe
une place importante dans les romans de cette romancière. Il est un territoire
magique où il est possible de croire à la beauté du monde, au pouvoir des
arbres et des fleurs, à une présence qui efface tout ce qui est pénible.
Écriture
Bien sûr, cette entreprise
tient par l’écriture, une façon unique de dire la pensée de Céleste, Son
héroïne ne possède pas une logique cartésienne ou linéaire. Sa pensée circulaire
semble aller dans toutes les directions. Mais jamais elle ne s’éloigne de
l’essentiel, du vécu, de l’émotion.
Ma sœur est née dans un roman
de Tolstoï avant d’être dans le ventre de maman ; là-bas, elle a appris les
mots des consolations de Tolstoï. Il y a toujours une bouteille de vodka chez
Anna qui ne renie pas ses origines, c’est elle-même qui m’a fait cette
déclaration. [4]
La compréhension du monde
passe par un imaginaire foisonnant qui ne se préoccupe jamais des balises. Céleste
invente une carte de Noël où le diable s’approche ou encore drape Marie et
Joseph des habits qu’elle a vus lors
d’un gala à la télévision. La frontière entre le concret, le raisonnable et le
rêvé est abolie et lui permet de se consoler avec le fantôme de sa mère, de
vivre une formidable histoire d’amour avec Victor, de se buter à la mort comme
tous les vivants finissent par le faire. Les petites trahisons, les histoires
d’amours impossibles, la mort subite de sa meilleure amie bousculent tout.
Céleste fait face avec courage même si elle maîtrise mal ses émotions.
Voilà une âme pure, spontanée
qui s’invente des histoires folles où un chat adore une souris. Un monde à
l’abri du temps et où tous cherchent la paix, l’harmonie et le bonheur.
N’est-ce pas ce que tout humain bien né tente d’approcher ? Ses petits romans
sont des délices que j’ai retrouvés avec plaisir tout au long de cette
narration. Je les attendais comme un délice au chocolat.
Encore une fois, le lecteur
se retrouve dans un milieu peu connu, un univers singulier, mais qui est là
avec ses drames, ses intrigues, ses histoires et ses désespoirs. Toujours
juste, touchant, beau d’imagination et d’images. On se surprend à aimer cette Céleste
de 38 ans qui a su protéger son enfance.
Une œuvre d’une force
remarquable, sans faux pas en trente ans. Toujours juste, étonnante, démontrant
une empathie pour ceux et celles pour qui le quotidien est un combat de
libération. Heureusement, il y a de grandes âmes qui apportent un peu de
douceur dans un univers qui serait autrement terriblement cruel. La romancière,
encore une fois, se montre attentive à ceux qui n’ont pas de voix dans notre
société, ceux que l’on aimerait éviter sur un trottoir quand ils viennent vers
vous. Simplement parce qu’ils sont différents, qu’ils vivent autrement, qu’ils
disent les choses avec d’autres mots.
La vie pour vrai de Nicole
Houde est paru aux Éditions de la Pleine lune.
[1]
Houde Nicole ; La chanson de Violetta, roman, 1998,
Éditions de La Pleine lune, p.13.
[2]
Houde Nicole ; La vie pour vrai, roman, 2014, Éditions
de La Pleine lune, p.11.
[3]
Houde Nicole ; La vie pour vrai, roman, 2014, Éditions
de La Pleine lune, p.42.
[4]
Houde Nicole ; La vie pour vrai, roman, 2014, Éditions
de La Pleine lune, p.74.
Baie-Comeau, le 4 octobre 2014.
Bonjour à toutes et à tous,
J’ai lu «La Vie pour vrai», le tout récent roman de Nicole Houde, publié à la Pleine lune, dans un avion, à trente-trois mille pieds dans les airs au-dessus de l’Atlantique. Pour Céleste, qui a inventé un cordon ombilical, qui la relie au ciel, on ne peut rêver mieux!
Céleste est une enfant handicapée de 39 ans, dont l’univers est fait de poésie et d’une perspicacité redoutable. Pour avoir nourri une amitié réciproque de plus de trente ans avec Nicole, je sais que Céleste est sa fille.
Si on ne veut pas passer à côté de ce livre, il faut entrer dans l’univers de Céleste délicatement, du bout des yeux et avec un immense respect. J’ai aimé.
Je n’ai pas ri, non, mais souvent souri parce que Céleste a une façon d’appréhender la vie, voire de contourner une certaine réalité, avec une intelligence autre et souvent surprenante, dépaysante. Nous rentrons dans un autre pays, dans un autre univers. J’ai aussi été triste. Pourquoi ce fichu Victor, son amoureux, est-il parti en Gaspésie? Il n’y pouvait rien, mais il aurait pu ménager Céleste. Diantre! Et, il y a cet autre départ, vers l'inconnu, celui de Rita morte dans la trentaine, une mongolienne aux becs baveux qui dessine un fœtus dans une chaise berçante, le bébé à venir de Mado, leur éducatrice. Quelle belle image! Elle m’a rappellé une petite fille rencontrée à Cuba. Sur le malecón, elle avait dessiné, sa maman qui attendait des triplés. Un grand rond, avec trois fœtus, rond soutenu par deux petites jambes et surmonté d’une minuscule tête.
Ce qui m’a le plus séduit, et exaspéré aussi, parce que j’aimerais avoir ce talent, c’est l’inventivité de Céleste, son sens de la poésie. « Je me répands en sourires, au-dedans de moi c’est la fête.» « La joie me traverse de la tête aux pieds et quand Victor me caresse avec ses yeux, ma joie se met à frissonner, puis à venter très fort…» (Page 93) «… l’eau de peine est comme l’eau de mer, un peu salée.» (Page 112) « Je me suis égarée dans le fracas de ma blessure, dans le noir d’un lieu qui ne mérite pas que l’on l’appelle la vie.» (Page 176).
En contrepoint, il y a la pertinence des propos de Céleste. Une extraordinaire acuité vis-à-vis du monde , affirmée de manière faussement naïve. « Rita et moi, nous sommes pour l’indépendance du Québec : lorsqu’on est indépendant, on n’est pas supervisé.» Supervisé, comme elle, par tous les intervenants des centres spécialisés qu’elle fréquente. Quelle belle analogie! Une acuité vis-à-vis de son état, elle est consciente qu’elle est à la fois une grande et une petite personne, ce qui colore de manière singulière sa relation avec son tout jeune neveu. Cette relation, qui nécessite la définition de l’un par rapport à l’autre, m’a beaucoup intéressé par son authenticité, chacun mesurant et respectant l’autre.
Enfin, la relation avec sa sœur, laquelle devient, du fait de la disparition de la mère, son substitut, se révèle une lourde mission impliquant amour et générosité.
Il me faut aussi écrire que j’ai aimé la qualité de l’écriture de Céleste, des phrases courtes, directes, des mots inventés – il arrive à Céleste de «pleuvoir» -; elle use même de mots savants. Toute cette richesse de l’écriture est crédible chez Céleste, parce que celle-ci est une grande lectrice. Elle lit Tolstoï, Anna Karénine.
Nicole vient de nous offrir un livre d’une très grande humanité. Je ne dirai pas un éloge de la différence, car on ne peut pas effectuer un panégyrique de la différence, on ne peut que la constater. Mais l’auteure a livré un texte émouvant, témoignant d’un profond respect de cette différence.
C’est beau, La vie pour vrai.
Veuillez accepter mes meilleurs sentiments.
P. S. : Je vais inclure ce texte sur ma page Facebook
Gérard Pourcel
Gérard Pourcel,
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Baie-Comeau (Québec) G4Z 1P3 Canada
Tel : (418) 296-5063
Courriel : Gpourcel@globetrotter.net
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