GABRIEL ROBICHAUD, comédien, poète et écrivain originaire de Moncton, nous propose un
recueil de poésie fascinant avec Acadie
Road. Ces poèmes d’errance, de déambulation sur le territoire de l’Acadie, permettent
de suivre les méandres de la pensée du poète qui tient fermement le volant et
nous entraîne d’un village à l’autre dans une dérive que nombre d’Acadiens ont
été forcés de vivre au cours de leur histoire passée et récente. Nous roulons
sans nous arrêter et peut-être aussi que Robichaud veut nous pousser dans
l’avenir qui claque comme une porte de char rouillée.
On a beaucoup parlé d’Acadie
Rock en abordant le recueil de poésie de Gabriel Robichaud. C’est
certainement justifié, mais je me suis plutôt tourné vers On the road de Jack Kerouac. Le grand Kerouac qui était habité par une
frénésie de la route qui l’a fait traverser les États-Unis à plusieurs reprises.
« Rien derrière et tout devant, comme toujours sur la route », écrit-il dans
son roman éponyme.
En compagnie de
son camarade Cassady, Kerouac roulait à une vitesse folle vers l’Ouest, le
mythe, le rêve, l’idée de pouvoir tout recommencer et de basculer dans une
autre vie peut-être. Il s’est déplacé aussi pendant des jours en autobus, y
dormant, y rêvant, en marge du monde pour être celui qui surveillait les agitations
de ses frères les humains.
Robichaud se lance dans son parcours erratique en allant d’un
village à l’autre, s’enfonce dans une Acadie mythique et désespérante,
obsédante et fascinante, idéalisée par les poètes et les chansonniers, étouffée
par un passé trop lourd. Si Antonine Maillet tourne le dos d’une certaine façon
au présent et nous anesthésie dans une époque révolue, Robichaud prend la
direction contraire et bouscule le présent, les deux mains sur le volant, la
radio à plein volume pour capter tout ce qui peut se dire de futile, scander
des chansons qui nous accompagnent partout même si on n’y prête guère attention.
Il sillonne le pays où « tout est en panne et se défrance » comme le chante
Gilbert Langevin.
Sur la route
Y aura l’inconnu
Pis ben du monde qu’on connaît
Des boxeurs de baie
Des chanteurs de concours
Des fiertés de bord de chemin
D’autres cachées dans le fond des bois
Comme des pêcheux de
coques sur un parc national
Pancartes à l’appuie
Un guilt trip pour les
intrus (p.18)
La route de Robichaud devient les artères qui charrient le sang,
les veines qui irriguent le corps. C’est la pulsion, les battements du cœur, le
souffle du vivant et s’arrêter pourrait être dangereux. Il faut bouger, rouler,
chanter pour espérer un demain. Cette course permet au poète d’évoquer
l’histoire, des figures mythiques, des œuvres littéraires, de maugréer contre
certains trous de mémoire, d’entendre des voix, de s’imprégner de ce pays
souffrant et résiliant.
À Grand-Pré
Y a plein d’histoires
Pis pas assez de monde
Pour s’en rappeler (p.23)
Les routes 101, 103, 105, 125 et 22 permettent de secouer sa pensée
et de poser son regard un peu partout.
J’ai eu envie de suivre le voyage de Robichaud sur une carte,
mais ce qui importe, c’est ce qui se bouscule dans sa tête. Il ne peut couper
le moteur de l’auto, sortir, marcher le long de la côte, devant la mer, parce
que ce serait comme un abandon et céder aux mirages du passé. La vie est
mouvement, toute dans ce moteur qui grogne dans les montées et se calme dans
les descentes. C’est l’asphalte, le nom des villages sur les pancartes comme
des épitaphes, des figures à peine esquissées, des moments qui permettent de
s’accrocher aux mots dans les courbes, au cœur des villages.
Dans mon char un téléphone
500 cds
Un carnet un stylo
Pour les idées à venir
Les histoires à raconter
Quand c’est trop long
Des ceintures à enlever
Des mains à promener
Ça se fait mieux la route à deux
Dans mon char
Y a les restes de qui je suis
Trimbalés sur les terres qui me permettent de rouler
Tu choisis le cd
Si je peux chanter la toune (p.29)
Ça va, ça vient, ça file, ça défonce les nuits et les jours. Nous sommes
dans les rêves du poète, ses fantasmes, avec ses amis les écrivains et les
musiciens, les inventeurs de routes, les diseurs de pays qui permettent d’être toujours là. Tout se défait et se déglingue dans le pays de Robichaud. Nous sommes dans
l’urgence, les palpitations, l’arythmie cardiaque qui brouille le regard. Nous
sommes dans une quête qui caille souvent.
Sur la côte
Un village sans nom
Sans habitants sur les pancartes
Une église pas de clocher
Un reste de station d’essence
Un bar qui a brûlé
Pis une impression qu’y pourrait
Y avoir la mer pas loin
Comme si quelqu’un avait eu soif (p.39)
Gabriel Robichaud envoûte avec son poème tout simple où il exprime
son amour pour son coin de terre. Il refuse les petits drapeaux qui ont balisé
les chemins d’espoir et d’espérance.
Nous roulons, prenons la direction de Montréal comme tant d’Acadiens l’ont fait pour s’installer au Québec dans les hoquets de l’histoire et la cruauté qui semble s’être enracinée sur cette terre d’Amérique.
Nous roulons, prenons la direction de Montréal comme tant d’Acadiens l’ont fait pour s’installer au Québec dans les hoquets de l’histoire et la cruauté qui semble s’être enracinée sur cette terre d’Amérique.
D’un côté
Du pont Laviolette
À Bécancour
La mémoire flotte l’été
La municipalité flotte
Le reste du temps
À côté du mât
Une grosse chaise
Pis une petite plaque
Ici
À l’année
On peut se bercer
Sur nos fondations (p.102)
Et j’ai roulé encore avec Robichaud jusqu’à ce que la nuit se
replie dans une montée. Il nous aurait fallu peut-être une bouteille de vin
entre les cuisses, des rires et des cris, une musique de blues à la radio pour
que des époques se confondent, pour que le grand Jack s’installe sur le siège
arrière, qu’il nous demande de s’arrêter devant les pancartes qui annoncent les
villages pour en scander les noms comme il aimait tant le faire.
Chez-soi à Missoula.
Chez-soi à Truckee.
Chez-soi à Opelousas.
Pas de chez-soi pour moi
Chez-soi dans le vieux Medora
Chez-soi à Wouded Knbee.
Chez moi ne serai jamais[1]
Robichaud reste conscient de sa folle entreprise. La route l’aspire
et il espère peut-être se retrouver devant une certitude, dans un lieu où il
pourra se reposer l’esprit. Il sait que le pays bascule lentement vers son
effacement. Il le sillonne pour le nommer, le scander dans un rap rude comme
une route pleine de nids de poule qui débouche sur nulle part.
À Bouctouche
La bibliothèque s’appelle Gérald Leblanc
L’école secondaire s’appelle Clément Cormier
À l’école secondaire de Bouctouche
Durant un atelier scolaire
Ces deux-là
Personne sait c’est qui (p.129)
C’est peut-être le sort des Acadiens que de devoir s’étourdir sur
les routes pour trouver du travail alors que la mer est morte et que la pêche
n’est plus qu’une légende dans la mémoire des conteurs. Gabriel Robichaud
s’étourdit, mais reste d’une lucidité qui fait frissonner.
ENTREPRISE
Cri du cœur et de l’âme, respiration haletante, la parole de
Robichaud m’a ému avec sa poésie lestée de questions et d’hésitations.
L’impression de suivre un chemin de croix avec le poète, l’écoutant me chanter
sa peine, ses espoirs, ses cris qu’il n’arrive pas à étouffer.
Robichaud m’émeut et m’a fait penser à Paul Villeneuve qui, dans J’ai mon voyage en 1969, parcourait le
Québec pour le dire, le nommer, le faire exister dans le corps des femmes qu’il
abordait dans les villages.
La poésie de Robichaud se faufile en vous et ne vous laisse jamais
en paix. Un murmure qui donne envie de s’évader de soi sans jamais y arriver,
bien sûr. Comment fuir son corps et son âme, comment échapper à son histoire et
à la lourdeur du passé ?
ACADIE ROAD
de GABRIEL ROBICHAUD,
une publication des ÉDITIONS PERCE-NEIGE.