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jeudi 15 mars 2007

La culture québécoise est-elle en mutation?


Nos sociétés vivent des changements accélérés. Il semble que ce soit aussi le cas en Chine et en Inde. Ces pays s’imposent de plus en plus comme des puissances économiques mondiales. Plusieurs individus peinent à suivre. Certains s’affolent et prêchent un retour aux valeurs d’autrefois. L’élection de gouvernements plus conservateurs témoigne de cette crainte de l’avenir.
Alain Roy et Gérard Bouchard, dans un essai intitulé «La culture québécoise est-elle en crise?», ont demandé à des intellectuels de réfléchir à cette question. Cent quarante et un braves ont pris la peine de répondre.
Qu’ils soient convaincus d’un état de crise ou pas, tous se rejoignent. Que ce soit au sens large ou étroit, les répondants questionnent les mutations actuelles. Peu importe s’ils regardent par la lorgnette de l’optimisme ou du pessimisme.
Les sociétés changent plus rapidement qu’il y a cent ans. Les communications sont certes responsables de cette accélération et de ce métissage planétaire. Tout devient difficile à saisir et à analyser.
Le Québec, avec l’Occident, vit une période de turbulence. La mondialisation du commerce et la circulation des «produits culturels» bousculent les références. Il semble pourtant, si on en croit John Saul dans son essai «Mort de la globalisation», que cette «euphorie» est en train de se résorber. Les états-nations reprennent en main leur économie, rejettent les diktats de la Banque mondiale du commerce. La culture vivra-t-elle ce repli?
Le Québec n’échappe pas à l’accélération de l’histoire, à la perte de sens, à la montée de l’individualisme et à la dictature des «arts de détente» qui squattent la télévision et refoulent la «culture moins rieuse» dans la marge. Cette quête du divertissement impose une culture formatée que l’on recycle comme du papier journal. Plusieurs répondants le déplorent avec justesse.
Plusieurs affirment aussi que la culture doit vivre en «état de crise permanente» pour évoluer. D’autres s’accrochent à la nostalgie du passé. Alain Roy et Gérard Bouchard tentent de transcender la question et d’explorer des avenues.

Alain Roy

 Alain Roy, comme la plupart des répondants, se nourrit de perceptions et résiste mal à la tentation de tirer des conclusions rapides et émotives. Il s’attarde à des épiphénomènes ou des anecdotes qui ne permettent pas d’évaluer l’état de la culture au Québec.
«L’avidité de notre besoin de reconnaissance se traduit par une attention démesurée aux moindres échos venus de l’extérieur, et plus particulièrement aux échos positifs. Souvent, ce phénomène prend des proportions pathétiques, par exemple lorsque des journalistes réalisent des vox pop à la sortie des cinémas et des théâtres parisiens. Il faut vraiment que notre manque d’estime soit grand pour que nous en soyons à grappiller des marques d’appréciation sur les trottoirs d’outre-mer.» (p.101)
Il faut plus que quelques cas pour diagnostiquer l’état d’une culture. M. Roy tire des conclusions fort suggestives et peu appuyées.

Gérard Bouchard

Gérard Bouchard reste prudent. Oui, les cultures s’interpénètrent, s’influencent tout comme les sociétés qui doivent absorber le choc des migrations. Les trous dans les frontières apportent une conscience planétaire nécessaire à la pensée écologique et au développement durable.
Bien sûr, il est difficile de prévoir la marche des sociétés occidentales après la perte du sacré, la négation du religieux et la montée de l’individualisme. Il ne faut surtout pas conclure trop rapidement.
«Nous ne vivons pas dans une société sans mythes, les signes de dynamisme sont nombreux (l’Occident est traversé par de grandes utopies très nobles, mobilisatrices), nous sommes loin d’une situation de chaos social, la sortie de régime que nous effectuons ne donne pas sur le vide culturel ni sur un état dont nous ne savons rien.» (p.132)
Bien dit !
La région n’est pas en reste dans cette réflexion. Une centaine de personnes, lors du premier volet des «Rendez-vous stratégiques» de l’Institut du Nouveau Monde, les 2 et 3 février, pointaient les médias et les institutions d’enseignement pour expliquer le «peu de visibilité» de notre culture. Le second rendez-vous, qui se tient les 16 et 17 mars au Patro de Jonquière, permettra de discuter de la «culture à l’heure d’Internet». Il sera intéressant de comparer les réflexions des participants aux propos des deux essayistes.

«La culture québécoise est-elle en crise?», de Gérard Bouchard et Alain Roy est paru aux Éditions Boréal.

La culture québécoise est-elle en mutation?

Nos sociétés vivent des changements accélérés. Il semble que ce soit aussi le cas en Chine et en Inde. Ces pays s’imposent de plus en plus comme des puissances économiques mondiales. Plusieurs individus peinent à suivre. Certains s’affolent et prêchent un retour aux valeurs d’autrefois. L’élection de gouvernements plus conservateurs témoigne de cette crainte de l’avenir.
Alain Roy et Gérard Bouchard, dans un essai intitulé «La culture québécoise est-elle en crise?», ont demandé à des intellectuels de réfléchir à cette question. Cent quarante et un braves ont pris la peine de répondre.
Qu’ils soient convaincus d’un état de crise ou pas, tous se rejoignent. Que ce soit au sens large ou étroit, les répondants questionnent les mutations actuelles. Peu importe s’ils regardent par la lorgnette de l’optimisme ou du pessimisme.
Les sociétés changent plus rapidement qu’il y a cent ans. Les communications sont certes responsables de cette accélération et de ce métissage planétaire. Tout devient difficile à saisir et à analyser.
Le Québec, avec l’Occident, vit une période de turbulence. La mondialisation du commerce et la circulation des «produits culturels» bousculent les références. Il semble pourtant, si on en croit John Saul dans son essai «Mort de la globalisation», que cette «euphorie» est en train de se résorber. Les états-nations reprennent en main leur économie, rejettent les diktats de la Banque mondiale du commerce. La culture vivra-t-elle ce repli?
Le Québec n’échappe pas à l’accélération de l’histoire, à la perte de sens, à la montée de l’individualisme et à la dictature des «arts de détente» qui squattent la télévision et refoulent la «culture moins rieuse» dans la marge. Cette quête du divertissement impose une culture formatée que l’on recycle comme du papier journal. Plusieurs répondants le déplorent avec justesse.
Plusieurs affirment aussi que la culture doit vivre en «état de crise permanente» pour évoluer. D’autres s’accrochent à la nostalgie du passé. Alain Roy et Gérard Bouchard tentent de transcender la question et d’explorer des avenues.

Alain Roy

 Alain Roy, comme la plupart des répondants, se nourrit de perceptions et résiste mal à la tentation de tirer des conclusions rapides et émotives. Il s’attarde à des épiphénomènes ou des anecdotes qui ne permettent pas d’évaluer l’état de la culture au Québec.
«L’avidité de notre besoin de reconnaissance se traduit par une attention démesurée aux moindres échos venus de l’extérieur, et plus particulièrement aux échos positifs. Souvent, ce phénomène prend des proportions pathétiques, par exemple lorsque des journalistes réalisent des vox pop à la sortie des cinémas et des théâtres parisiens. Il faut vraiment que notre manque d’estime soit grand pour que nous en soyons à grappiller des marques d’appréciation sur les trottoirs d’outre-mer.» (p.101)
Il faut plus que quelques cas pour diagnostiquer l’état d’une culture. M. Roy tire des conclusions fort suggestives et peu appuyées.

Gérard Bouchard

Gérard Bouchard reste prudent. Oui, les cultures s’interpénètrent, s’influencent tout comme les sociétés qui doivent absorber le choc des migrations. Les trous dans les frontières apportent une conscience planétaire nécessaire à la pensée écologique et au développement durable.
Bien sûr, il est difficile de prévoir la marche des sociétés occidentales après la perte du sacré, la négation du religieux et la montée de l’individualisme. Il ne faut surtout pas conclure trop rapidement.
«Nous ne vivons pas dans une société sans mythes, les signes de dynamisme sont nombreux (l’Occident est traversé par de grandes utopies très nobles, mobilisatrices), nous sommes loin d’une situation de chaos social, la sortie de régime que nous effectuons ne donne pas sur le vide culturel ni sur un état dont nous ne savons rien.» (p.132)
Bien dit !
La région n’est pas en reste dans cette réflexion. Une centaine de personnes, lors du premier volet des «Rendez-vous stratégiques» de l’Institut du Nouveau Monde, les 2 et 3 février, pointaient les médias et les institutions d’enseignement pour expliquer le «peu de visibilité» de notre culture. Le second rendez-vous, qui se tient les 16 et 17 mars au Patro de Jonquière, permettra de discuter de la «culture à l’heure d’Internet». Il sera intéressant de comparer les réflexions des participants aux propos des deux essayistes.

«La culture québécoise est-elle en crise?», de Gérard Bouchard et Alain Roy est paru aux Éditions Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/alain-roy-454.html

jeudi 8 mars 2007

Jean Désy fait de sa vie une aventure

Jean Désy, médecin et romancier originaire de Kénogami, sillonne le Nord du Québec depuis des décennies. Un pays de neige et de froid que la plupart des Québécois méconnaissent.
Dans les nouvelles télévisées, à part la météo, on parle du Nunavik pour montrer des jeunes qui inhalent des vapeurs d’essence ou des drogues. Les suicides aussi font les manchettes. Pour beaucoup, ce territoire n’est que rivières qui servent à produire de l’électricité. Un espace à peu près vierge que des exploitants peu scrupuleux transforment en dépotoir. On a vu des images révoltantes à Radio-Canada. Des entreprises minières ont tout saccagé, y laissant la désolation après leur passage.
Territoires des Cris, des Inuits, des aurores boréales et des ours polaires que la fonte de la banquise menace; pays où se heurtent la modernité et les traditions. La sédentarisation a fait perdre pied à ces nomades qui cherchent des balises.
«Un jour que je lui rendais visite, madame Annanack me dit: «Il faudrait qu’ils retournent dans la toundra.» Elle pensait à ses petits-enfants, à deux de ses petits-fils qui s’étaient pendus trois mois plus tôt, à quelques jours d’intervalle, le premier après une peine d’amour, le second à cause du suicide de son frère.» (p.112)

Fascination

Jean Désy, dans plusieurs de ses ouvrages, décrit ces espaces où il a œuvré comme médecin dans des conditions de travail à faire frémir. Il nous entraîne aussi dans des expéditions où la moindre erreur peut coûter la vie. Désy ne maquille rien de ce pays aux humeurs climatiques imprévisibles et à la beauté époustouflante.
«Un jour, je mourrai dans la toundra. Je ne veux pas mourir dans un hôpital, jamais ! Je passe ma vie à l’hôpital, auprès des malades, convaincu que ce n’est pas là qu’il faut mourir : trop de soignants épuisés, trop de microbes, trop de tristesse entre les murs défraîchis. J’ai dit à Samuel que je n’en pouvais plus d’entendre les cris d’Akinésie ou des autres malades chroniques. Et cette histoire sordide de petite fille violée… Soigner les femmes enceintes, les bébés, les vieillards, ça me va. C’est pour ça que j’ai été formé. Mais endurer les cris des malades d’Alzheimer, leurs odeurs…  Endurer la folie des autres…» (p.75)

Là où tout est possible

Dans «Au nord de nos vies», Jean Désy reprend neuf textes qu’il a publiés dans «Médecin du Québec». Julien, son héros, avec quelques infirmières, tente de sauver des vies, se questionne devant les jeunes qui jouent avec des armes et se blessent, les viols d’enfants qui arrivent quand l’alcool et la drogue tuent la raison. Il parcourt ce pays vaste comme un continent, déchiré entre le Nord et le Sud, tente d’échapper, peut-être, au vertige de la civilisation. Il est lui aussi un nomade que le monde étouffe, semblable aux Inuits «tués dans leur esprit» par la quincaillerie de la consommation.
Plusieurs époques se heurtent dans ces villages cernés par le blizzard, où les hommes et les femmes sont minés par tout ce que les avions apportent à chaque semaine du Sud.
Que ce soit dans «Au nord de nos vies» ou «L’île de Tayara», Jean Désy sait ressusciter des désirs que nos vies parfaitement organisées ont étouffés. Il insuffle l’envie de se surpasser et de faire de nos jours une véritable aventure. Cet écrivain unique est un souffleur de rêves qui fait de ses jours une fiction et de ses romans, une quête. Un humaniste qui témoigne d’une grande compassion envers les hommes et les femmes du Nord.
On devrait lire «Le coureur de froid», «L’île de Tayara», «Carnets de l’Ungava», et «Au nord de nos vies», dans les écoles. Les jeunes apprendraient que l’aventure existe près de la baie d’Hudson, dans un pays où tout échappe au rationnel. Il suffit de lever la tête et l’espace est là, hypnotisant et dangereux. Un pays où la quête va de soi, où l’on peut aller au-delà du quotidien pour effleurer, peut-être, une forme de sagesse. L’ailleurs est ici. Là, tout près, dans une immensité qui change ceux et celles qui ont le bonheur d’y vivre et d’y croiser des êtres exceptionnels.

«Au nord de nos vies» de Jean Désy est publié chez XYZ Éditeur.

jeudi 1 mars 2007

L’avenir du Québec passe par les régions

«Y a-t-il un avenir pour les régions?», répète Roméo Bouchard dans un essai paru l’automne dernier. L’auteur était au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, en septembre, le temps d’une une table de discussion et, depuis, peu d’écho à ce livre important.
Il était aussi à l’émission «Il va y avoir du sport» de Marie-France Bazzo, à Télé-Québec, où l’on se demandait s’il faut fermer les régions. Une question provocatrice et un débat futile. Marc-Urbain Proulx, Roméo Bouchard, tout comme Jean Tremblay dernièrement, avaient la mission impossible de faire entendre la raison dans un cirque du «pour et contre».
Faut-il fermer des régions du Canada pour protéger Toronto et Vancouver; vider les provinces pauvres des Maritimes et déporter les gens vers Montréal et Toronto? Montréal décline devant Toronto qui s’agenouillera bientôt devant Vancouver. Les pôles économiques glissent vers l’Ouest et l’émergence de la Chine va donner un élan aux agglomérations du Pacifique. L’économie suit une forme de dérive des continents.

Constat

Roméo Bouchard, journaliste, agriculteur et fondateur de l’Union paysanne, originaire de Normandin, scrute les politiques de développement du Québec depuis quarante ans dans «Y a-t-il un avenir pour les régions?». Des débuts de la Révolution tranquille à nos jours, le portrait est affligeant.
Les politiciens, qu’importe leur allégeance, tout en répétant que le Québec a besoin de régions dynamiques, pratiquent une politique centralisatrice.
Tous les gouvernements jonglent avec une même vision urbaine qui ne peut s’appliquer dans les territoires que sont la Gaspésie, l’Abitibi, le Grand Nord et le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les régions doivent imaginer des solutions régionales aux problèmes régionaux. Il n’y a pas de baguette magique. La Gaspésie n’est pas l’Abitibi, encore moins la Mauricie.
Dans ce modèle nord-sud, les régions fournissent l’électricité, la forêt, les mines et de moins en moins de produits agricoles. Les ressources naturelles sont exploitées à grande échelle sans que les régionaux en profitent comme ils le devraient.

Expérience

En Gaspésie, au début des années 70, le Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ) devait régler tous les problèmes. La raison devait triompher. Conséquences: l’industrie forestière a été démantelée, des villages fermés et l’exploitation industrielle a vidé la mer.
Quarante ans plus tard, partout dans les régions, cette approche a permis de dilapider les ressources. La population décline et la main-d’œuvre est de moins en moins qualifiée pour relever les défis. La migration des jeunes rogne la vitalité de ces territoires avec le vieillissement des habitants. La désertification des territoires est devenue une réalité.
Le Saguenay-Lac-Saint-Jean cherche son avenir en tâtonnant. L’industrie forestière a des copeaux dans l’engrenage depuis des années. «L’Erreur boréale», de Richard Desjardins, a permis aux responsables de se dédouaner tout en refusant d’analyser la situation. Rien ne va dans nos forêts et ce n’est pas Desjardins qui a créé le problème. Rien ne va dans l’agriculture et personne n’a signé «L’Erreur laitière». On pourrait multiplier les exemples.

Politiciens

Pour contrer la «désintégration des régions» comme l’écrivait Charles Côté, il faut repenser des politiques qui provoquent l’appauvrissement des régionaux et le saccage des territoires.
Roméo Bouchard prône des mesures de repeuplement, des lois qui assurent des redevances aux régionaux pour l’exploitation de leurs ressources naturelles. Tout cela ne peut advenir sans une immigration soutenue par Québec, des gouvernements régionaux responsables et pourvus de budgets. Comment exploiter la forêt autrement, transformer plus en région, profiter au maximum de l’électricité et régénérer l’agriculture?
Les gouvernements ne semblent guère préoccupés par ces questions. L’énergie éolienne se développe actuellement dans une joyeuse anarchie. La Gaspésie, encore une fois, sert de terrain de jeu à ces «développeurs». Que ferons-nous du solaire et de l’eau? Les citoyens ont-ils tort de s’inquiéter?
Faut-il attendre vingt ans encore avant de donner un second souffle aux régions, se laisser anesthésier localement par les investissements des grandes entreprises avant de réagir? Les politiciens, pendant cette campagne électorale, vont-ils répondre à ces questions. Il en va pourtant de l’avenir du Québec.
«Y a-t-il un avenir pour les régions?» de Roméo Bouchard, questionne ce passé récent et ouvre une porte sur l’avenir. Dans vingt ans, si rien ne change, le Québec sera un pays en lambeaux et les régions des dépotoirs. À moins de faire preuve de créativité, comme le suggère Marc-Urbain Proulx.

«Y a-t-il un avenir pour les régions?» de Roméo Bouchard, est paru chez Écosociété.

jeudi 22 février 2007

Roman difficile de Martine Richard

Qui se préoccupe des hommes et des femmes qui glissent imperceptiblement vers la vieillesse. Surtout quand ils arrivent à déjouer les pièges qui cernent le corps, s’attardent dans ce que l’on nomme pompeusement «l’âge d’or».
Martine Richard, dans «Les sept vies de François Olivier», plonge dans ce monde où la maladie, les pertes de mémoire et d’autonomie font partie du quotidien; où la vie s’amenuise dans des gestes de plus en plus hésitants. Le cinéma s’y risque parfois, polissant une image souvent fausse du vieillissement. Qui ose explorer ces lieux où femmes et hommes fixent la mort sans sourciller. Comme s’ils patientaient dans une gare, attendant un dernier train qui se fait attendre.
Pour les survivants, il reste des souvenirs, ces «marées de vie» qui prennent toute la place, la vie à deux encore, pour une bouffée de chaleur et d’espoir.

Quand tout craque

Et il arrive le moment que tous craignent. La compagne ou le compagnon bascule dans la maladie.
«Ce soir d’août, l’horloge marque minuit. Rita a soudain envie d’uriner. Cela la réveille. Elle se lève. Ses pieds touchent le sol. Tout à coup, tout son côté droit flanche. Elle tombe et cela produit un bruit sourd. Puis, plus rien. François appelle désespérément le 911. Lui aussi, il tombe, mais par en dedans, dans un tunnel où il est tout raboté par les parois. Son goût de jouer avec la vie est râpé à l’os.» (p.27)
Rita perd la mémoire. Un ACV. Elle est condamnée à une existence végétative presque. François Olivier se retrouve plus seul que jamais à 84 ans. Homme guère «lamenteux», comme il répète, le voilà à écouler le temps entre son appartement et le foyer où sa femme a été admise. Dans cette solitude, bien des gestes deviennent inutiles. Ses fils vivent leur vie, comme il se doit. Les réminiscences et les souvenirs s’affolent. Le passé lointain le hante, ce «temps» qu’il a toujours refoulé comme s’il craignait de trahir des secrets.

Le voyage

Pour faire taire certaines voix, il décide de retourner aux États-Unis où il est né, près de New York, de visiter cet orphelinat où il a vécu ses premières années, avant d’être adopté par une famille d’origine Canadienne française. Il faut faire face à la vérité, un jour ou l’autre.
Pendant le voyage en autobus, il se confie à une religieuse. Un torrent de paroles impossible à endiguer qui prend la forme de sept vagues. L’orphelinat, sa vie à la ferme dans une nouvelle famille, le retour au Québec, l’apprentissage du français, la vie en militaire, l’amour avec Henriette, sa première femme, et cette longue glissade dans le vieillissement. Par ces voyages entre le passé et le présent, Martine Richard dévoile la vie de François Olivier, nous ramène à cet orphelinat où il confronte la vérité.
La directrice de l’institution vendait les orphelins aux familles d’adoption, déclarant les enfants morts quand les vrais parents se présentaient. Elle émettait de faux certificats de décès pour empêcher les revendications. Une combine qui a poussé la directrice au suicide quand le manège a été éventé. Une honte qui révolte encore la religieuse quasi centenaire qui révèle la vérité à François Olivier.

Album de photos

Par petites touches, Martine Richard crée un album de photos où les personnages s’effacent presque avec le temps. Elle décrit un univers qui se recroqueville, des moments où un geste exige tout, où les journées s’ouvrent sur des portes trop grandes et des tâches inaccessibles. Des moments d’une justesse rare.
«L’épouse de François tournera tout à fait le dos à son époux pour qu’on installe une veste de laine sur ses épaules. Rita ne bougera plus et rira bientôt de bonheur pour une raison inconnue. Il n’y aura plus rien au monde, si ce n’est la lumière d’une jeune femme qui en soigne une autre, toute vieille.» (p.52)
Une écriture forte, une belle sensibilité au monde des hommes et des femmes que l’âge malmène et qui, peu à peu, deviennent des réfugiés du temps. Un roman qui montre un univers que peu d’écrivains osent visiter dans une société folle d’agitation et de rendez-vous ratés. Des images qui vous poussent dans des bonheurs de tendresse et d’humanité.

«Les sept vies de François Olivier» de Martine Richard a été publié aux Éditions David.

jeudi 15 février 2007

Meunier bouscule hommes et femmes

Dans «Ce n’est pas une façon de se dire adieu», son troisième ouvrage, Stéfani Meunier entraîne le lecteur dans un triangle amoureux. Il faut un certain temps pour saisir la mécanique de ce récit. Les trois personnages prennent la parole tour à tour, présentent leur version des faits, fouillent leur passé avec un certain recul. Toute une époque défile aussi, celle des années soixante où l’on cherchait à suivre une liberté qui prenait toutes les directions, où l’on refusait le modèle traditionnel de la famille.
Ralf travaille dans un cimetière, possède un appartement à Brooklyn où toutes les rencontres et les complicités sont possibles. Sean, un musicien né à Montréal, rêve de chanter ses chansons, mais doit interpréter les succès de l’heure pour survivre. Héloïse souhaite devenir couturière et inventer ses collections. Elle surgit dans la vie de Ralf et l’amitié entre gars ne peut plus tourner autour des mêmes certitudes. Le bonheur s’installe, dans l’appartement de Brooklyn, entre Ralf et Héloïse jusqu’à ce que Sean rentre d’une tournée.
«Il a posé sa main sur ma taille Il a posé l’autre main dans mon cou. Ça a été comme une décharge électrique, ses doigts sur ma taille. Je sentais mes veines battre partout dans mon corps. Je savais qu’il n’aurait jamais dû me toucher, que je n’aurais jamais dû le laisser me toucher, que je ne pourrais pas reculer si je ne partais pas tout de suite. Il s’est penché vers moi et m’a embrassée. Sa bouche était chaude et sa langue douce comme je ne m’y attendais pas. Il n’y a jamais deux langues pareilles, la sienne était dans ma bouche et j’aurais voulu qu’elle y soit toujours, chaude et douce et à moi.» (p.165)
Tout s’accélère. Les amis sont emportés par un typhon amoureux. Personne ne veut blesser l’autre. C’est l’éclatement et la désintégration du triangle. Fuite dans l’alcool pour Héloïse, réclusion pour Sean dans une maison des Cantons de l’Est. Ralf s’accroche au quotidien, courbe l’échine et attend que la tourmente s’éloigne. Il faut du temps pour voir clair, pour reprendre pied et essayer de vivre sans trop souffrir. La passion est une bonbonne de kérosène qui souffle l’être quand elle s’enflamme.

Héritage

Chaque humain possède un héritage familial qui marque sa façon d’affronter la vie et de réagir. Des réflexes viennent de l’enfance et des parents. Pour beaucoup, la fuite reste la seule issue. S’éloigner d’une famille, d’habitudes, de manières de faire et de voir. Il faut pourtant, un jour ou l’autre, reprendre pied et revenir du côté des vivants.
Stéfani Meunier aime les situations limitrophes, les crêtes où tout peut glisser dans un sens comme dans l’autre. Héloïse et Sean sont des météorites qui s’attirent et se repoussent. Le pauvre Ralf ne fait guère le poids devant ces êtres incandescents qui ne demandent qu’à se consumer. Il se protège par la routine et les gestes répétés. Cette force d’inertie et de patience garde Héloïse dans son orbite et permet de limiter les dégâts.
«Je savais bien réagir au stress, au mouvement, mais j’avoue que j’étais complètement désemparée face au silence et à la solitude», explique Héloïse.
Ils parviendront à l’âge d’être adulte avec bien des blessures.
Un questionnement pertinent quand on sait que les amours se défont, entraînant une solitude de plus en plus difficile dans une société qui cherche des balises. Stéfani Meunier brosse, une fois de plus, un portrait humain attachant et tente d’emprunter de nouveaux sentiers. Avec son écriture vivante et belle d’énergie, marquée par un environnement sonore où les Beatles donnent la cadence, elle impose sa couleur et sollicite tous les sens. Une qualité rare.
Une écrivaine qui s’impose déjà, offre un regard particulier sur les femmes et les hommes, questionne, bouscule et tente de cerner des nouvelles valeurs. L’écrivain joue ainsi pleinement son rôle en bousculant la société.

«Ce n’est pas une façon de se dire adieu» de Stéfani Meunier est publié aux Éditions du Boréal.