Certains romans étonnent dès les premières lignes. Une question d’écriture, de rythme qui souffle tout. Le lecteur n’a de repos qu’après en avoir exploré toutes les pages. Ces œuvres deviennent de véritables obsessions.
«Parapluies» de Christine Eddie est ce genre d’ouvrage. Ce roman m’a aspiré. L’histoire se construit et se défait au fur et à mesure, devient une spirale qui permet de cerner un personnage et celles qui gravitent dans son espace.
«La plupart du temps, je me réfugiais chez moi où il se passait des choses terribles, comme la guerre au Darfour et des glissements de terrain en Chine et le Groenland qui fond un peu plus chaque semaine. Pour tenir le coup, je m’astreignais à des activités qui ne m’avaient jamais intéressée auparavant. Enlever les marques de doigts sur le chrome du robinet, border d’abord le pied du lit avant de faire les coins, tout ça. Je pouvais ainsi détourner mon esprit vers des sujets plus fondamentaux que les déserteurs de domiciles conjugaux.» (p.11)
L’histoire est là. Matteo est sorti un soir et Béatrice ne le reverra plus. Disparu. Parti. Elle se désespère, imagine une aventure amoureuse.
«Puis, sous le lit de notre chambre, l’appareil s’est étouffé. Je me suis penchée pour voir ce qui n’allait pas. Une petite culotte. Avec de la dentelle rose pâle. Trop délicate pour moi, mais trop grande pour le goulot de l’aspirateur. Je me suis assise sur le lit avec le froufrou poussiéreux pendant que l’aspirateur continuait à rugir. Je me souviens que mes jambes refusaient de bouger et qu’un boa constrictor s’est installé dans ma poitrine. Après, c’est le trou noir. Je sais que j’ai pris mes cinq jours de vacances, mais je n’ai aucun souvenir d’être allée en Sicile et d’avoir admiré la Méditerranée.» (p.23)
Matteo a tout simplement été agressé et tué dans le parc voisin.
Attente
Béatrice quitte son emploi, s’occupe de la mère de ce dernier, une Italienne qui a suivi son fils à Montréal et qui survit en s’accrochant à la télévision.
«Je m’observais du coin de l’œil et je m’apercevais à côté du lit, à côté de l’évier, à côté de la table, de ma carte de crédit, du pilulier. Dédoublée. Je flottais sur ma vie depuis plus de trois semaines. Dans la boîte aux lettres, où je me ruais chaque matin avec l’application d’un cambrioleur, j’avais enfin trouvée une enveloppe adressée à Matteo qui ne soit pas envoyée par Amnistie Internationale, l’Unicef ou la Croix-Rouge. Autre chose qu’un monsieur le professeur et cher collègue, il me fait plaisir de, nous serions ravis que, veillez agréer.» (p.62)
«Parapluies» est peut-être l’histoire des amours impossibles. Béatrice aime Matteo qui ne pouvait s’empêcher de charmer et de séduire. Il était obsédé par Catherine, la mère de Thalie, une jeune noire qui cherche un père en Barak Obama. Cette étudiante au doctorat rappelait vaguement un premier amour à Matteo. Il y a aussi Daphnée, une étudiante subjuguée par le professeur, une passionnée de poésie russe, travaillait comme son assistante.
Connaissances
Toutes celles qui ont gravité autour de Matteo finissent par se croiser et sympathiser. Un roman plein d’humour, d’originalité qui témoigne de l’incroyable solitude des femmes. Toutes cherchent à s’en tirer individuellement sans y parvenir. Il reste la solidarité et l’entraide. Les enfants deviennent le lien qui permet à ces adultes de se reconnaître.
Il faudra qu’une fête d’anniversaire change tout. Toutes les invitées deviennent des réfugiées dans l’immeuble de Thalie et Catherine. La ville est inondée et l’avenir devient possible. Béatrice trouve une fille en Thalie. Catherine rencontre des amies et l’avenir devient plus acceptable pour Francesca qui se crée une nouvelle famille. Daphnée aura une sœur et des amies. Toutes ces femmes ont gravité autour de Matteo sans jamais à l’atteindre et le retenir. Il faut une fillette pour arrêter la dérive et donner du sens à l’existence.
Christine Eddie a l’art d’effleurer les plus grands drames en ayant l’air de ne pas y toucher. Tout est simplement dit dans un style éblouissant. Son humour permet de triompher des pires drames et son écriture est un piège dont le lecteur n’échappe pas.
« Parapluies » de Christine Eddie est publié aux Éditions Alto.
http://www.editionsalto.com/catalogue/parapluies/
http://www.editionsalto.com/catalogue/parapluies/