France Théoret publiait récemment des essais au titre intrigant: «Écrits au noir». L’auteure y échappe aux normes, ne respecte pas les conventions et incite les femmes à s’engager dans le débat politique.
Il est plutôt rare qu’une femme maintenant, malgré une époque où l’on se permet de dire n’importe quoi, surtout des bêtises, affirme qu’elle est féministe.
«Une constance dans ma vie d’écrivaine, quelqu’un veut me mettre un bâillon, que je retourne à mon inexistence d’avant l’écriture.» (p.10)
France Théoret utilise l’écriture pour exister, rejeter ce bâillon et dire ce que l’on refuse souvent d’entendre. Elle est d’un sexe nié tout au long des siècles, une parole bafouée.
«La pensée féministe m’indiquait un horizon. C’est alors que j’ai pris le parti d’une écriture sensible, matérielle, non pas matérialiste, qu’il me fallait trouver, inventer, faire naître.» (p.11)
Trouver sa voix
Le Québec, comme la plupart des sociétés occidentales, a vécu l’affirmation des femmes dans les années 1970. Une période d’effervescence où bien des tabous ont été secoués. Droit à une sexualité libre, contraception et un débat sur l’avortement qui refait surface cycliquement. Brusquement, tout s’est calmé. À partir des années 80, beaucoup de femmes ont hésité à s’affirmer comme féministes.
Bien plus, dans les médias, les poussées d’hormones des misogynes demeurent fréquentes. On a esquissé une image tronquée des militantes, les faisant passer pour des enragées et des extrémistes.
Si la société a changé, les inégalités persistent. La fameuse équité salariale n’est pas encore réglée et les gouvernements tergiversent. Pas davantage de femmes en politiques ou dans le monde des affaires.
Le politique
L’essayiste affirme que les femmes doivent prendre la parole dans le monde politique, là où il est possible de changer les choses. Elle montre son admiration pour Simone de Beauvoir qui a influencé une génération de femmes, Hannah Arendt qui a ferraillé sur le plan philosophique avec les hommes en ne cédant pas un pouce de terrain.
«Dans «Condition de l’homme moderne», publié en 1958, Hannah Arendt identifie les activités humaines fondamentales: le travail, l’œuvre et l’action. Le féminisme est travail, œuvre et action. Il appartient au domaine public par son réseau de relations humaines. En cela, le mouvement est politique.» (p.50)
Au Québec, Louky Bersianik dans «L’euguélionne», a réalisé une œuvre de pionnière que l’on a vite reléguée aux oubliettes.
Témoin
France Théoret assène quelques baffes aux écrivains qui se retirent dans leur œuvre, rejetant toutes forme de réflexion sur le social et l’économique. Elle s’attarde à Gaston Miron, Hubert Aquin et Claude Gauvreau, démontre que le littéraire et la société ne font qu’un. Elle pointe du doigt le formalisme qui a évacué toutes les questions sociales. Beaucoup d’écrivains choisissent de s’enfermer dans des bulles théoriques, évacuant le politique pour trouver «un pays dans la langue et la littérature». L’écrivain, affirme France Théoret, doit être un témoin.
«Les interventions des écrivains et des intellectuels sont indispensables dans tout débat significatif. Être un témoin et observer ce qui se passe, un écrivain le peut. Des écrivains partout à travers le monde ont des réflexions éclairantes sur la situation politique de leur pays. Tout écrivain important étudie son époque et sait écrire sur la situation politique. Il dénonce les dérives et les abus flagrants du pouvoir.» (p.98)
Que conclure ?
Le plus saisissant, peut-être, est la conclusion de ces essais. Si on en croit les propos de d’Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature en 2004, tout reste à faire.
«Les hommes ne peuvent pas comprendre ce que j’écris. Comme pour la plupart des écrivains femmes, tout est né du sentiment d’être méprisée. Quoi qu’il en soit, le travail des femmes, en particulier le travail artistique des femmes, est soumis à des critères d’évaluations spécifiquement masculins. Et c’est une forme de violence faite aux femmes.» (p.158)
Certains diront qu’elle exagère, qu’elle va trop loin. Pourtant le monde claudique dans des approches typiquement masculines. La guerre, le pillage des ressources, les dirigeants d’entreprises qui se disputent les richesses de la planète… Pas beaucoup de femmes dans ces chasseurs de primes! Et que dire des «dérives» du pape Benoît XVI en Afrique? France Théoret a raison: le combat est politique.