dimanche 12 avril 2009

Pierre Gobeil en quête du temps perdu

J’attendais un nouveau roman de Pierre Gobeil depuis la parution de «Sur le toit des maisons» en 1998. Plus de dix ans en fait.
«Le jardin de Peter Pan», il le travaille depuis tout ce temps. Il le souhaitait impressionnant, volumineux pour être «visible dans les librairies». Il semble que son vœu n’a pu se matérialiser. Son dernier-né fait à peine cent pages. Un écrivain possède un espace, des repères et des distances. Il est très difficile de s’en évader. Autrement, il risque de ne plus savoir quelle route emprunter, de ne plus retrouver sa cadence et de courir derrière son souffle.
«Sept heures aux Îles, mais rien que six à Montréal, lorsque dans l’air plus frais du soir, je peinais à retrouver les couleurs que j’avais tant aimées auparavant. Non pas ces plages fadasses esquissées chaque fois que nous prenions l’avion pour le Sud, mais quelque chose d’un mordoré serti de bulles me rappelant les desserts que nous faisions aux premiers jours de notre rencontre, et qui m’avait fait jurer, une fois installés dans notre bunker sur la falaise, que nous ne passerions plus jamais d’été ailleurs que sur ces côtes, que nous avions enfin trouvé un défi à notre ressemblance et que nous y resterions accrochés, promesse était faite, jusqu’à la fin de nos jours…» (p.9)
Un écrivain célèbre et riche revient aux Iles-de-la-Madeleine, dix ans après avoir débarqué dans le paradis terrestre. Il y a eu la naissance d’un enfant et les difficultés à s’adapter à la vie de père. Tout s’est effrité. Il pense retrouver le fil en revenant, comprendre pourquoi la vie l’a poussé dans les chemins de la solitude. Peut-on changer son passé?

Paradis perdu

S’il y a une constance chez Pierre Gobeil, c’est ce sentiment d’avoir perdu un paradis où la vie était une promesse de bonheur. Cette thématique porte «Tout un été dans une cabane à bateau», «La mort de Marlon Brando», «Dessins et cartes du territoire» et «Sur le toit des maisons». Ce temps de la jeunesse où il est permis de croire à l’absolu, à un monde qui ne changera jamais. Arrive une agression, un événement et tout bascule irrémédiablement. La vie éclate comme un vase sur le plancher.
Le travail de l’écrivain devient cette longue «recherche du temps perdu», la reconstitution du paradis d’où il a été expulsé par la vie. Les lieux et les espaces recèlent les secrets du drame ou de la perte. Les narrateurs de Pierre Gobeil tentent de reconstituer le puzzle en hantant les territoires pour abolir le temps et retrouver cette innocence perdue.
«Devant les restes de l’ancien quai, je pouvais toujours aller à droite ou à gauche, délimiter la durée de ma croisade, arpenter les falaises ou mettre mes pas dans des traces pour traverser le goulet, mais je connaissais maintenant la longueur de ces chemins et savais que malgré ces quelques centaines de Polaroids disséminés un peu partout, ce que nous avions vécu jusque-là appartenait désormais au passé. Toutes ces images de caisses de poissons sur les quais, de fleurs le long des routes, puis de cette mer froide dont on avait fait notre bonheur.» (p.20)
À la manière des musiciens Steve Reich ou Philippe Glass qui ne cessent de reprendre un motif qu’ils visitent et poussent jusqu’à l’obsession, Pierre Gobeil crée une forme d’envoûtement à lequel il est difficile d’échapper. Il devient fascinant.

Quête impossible

La quête s’avère impossible, mais qu’importe. L’écrivain capte des moments, des paysages, des couleurs dans le ciel qui nous permettent d’espérer que la course va s’arrêter, que la vie peut échapper à ce bond en avant qui saccage tout.
«Les gens changeaient, les Îles restaient pareilles, ou bien les gens restaient les mêmes et c’étaient les Îles qui se transformaient, d’une année à l’autre, sans qu’on sache véritablement si c’était pour le mieux. Personne ne semble plus savoir.» (p.26)
«Le jardin de Peter Pan» permet de retrouver le meilleur de Pierre Gobeil, celui que l’on a savouré dans ses romans antérieurs. Il devient alors un coloriste où l’écriture se transforme en méditation ou une forme de prière.

«Le jardin de Peter Pan» de Pierre Gobeil est paru aux Éditions Triptyque. 

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