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dimanche 22 mars 2009

Richard Dallaire cause une belle surprise


En lisant «Le Marais» de Richard Dallaire, j’ai souvent songé à l’une des dernières toiles de Salvador Dali, le peintre extravagant que l’on connaît pour ses immenses tableaux lumineux et inventifs. Quelques semaines avant sa mort, il peignait sa chambre. L’univers s’y défait. Les meubles se tordent. C’est la fin, le monde qui s’écroule, s’efface dans le regard du peintre.
Voilà l’esprit du premier roman de Richard Dallaire, un Baieriverain d’origine. Dans cette «allégorie d’une existence partielle», le monde se décompose. Paul vit en marge de la ville, près d’un marais. Il se rend chaque jour au centre-ville pour travailler à l’ombre d’un volcan qu’il faut ramoner régulièrement pour éviter le pire. Il exerce un emploi déprimant et routinier. Sa vie va à la dérive et tout son temps libre est consacré à colmater une maison que le marais avale. Tout comme dans «L’écume des jours» de Boris Vian, l’environnement épouse l’état du personnage.
Dans la cour, Madeleine, une «saule pleureuse», est inépuisable de larmes. Le marais s’avance à mesure que la santé de Paul se détériore.
«Le processus irréversible de la pourriture attaquait les boiseries de la maison depuis plusieurs années. L’accès au sous-sol était condamné et le plancher du salon partait en ruine. Pour calfeutrer les brèches, Paul clouait au sol les livres qu’il terminait. Sans ce soin, les grenouilles pénétraient la nuit, troublant son sommeil. Parfois, il fixait à regret des livres qu’il n’avait pas eu le temps de lire. Dans un coin, le piano droit jouait en désaccord la partition de sa vie.» (p.12)
Paul devient peu à peu un cadavre. Une bien étrange maladie qui fait qu’il se dessèche sur place, perdant des doigts et un bras.

Hymne à la vie

Pourtant, tout bouge autour de Paul. Surtout après la découverte de Lion sous une cabane. Un enfant débordant d’énergie qui apprend rapidement à voler avec Lucie la luciole. La vie n’a pas dit son dernier mot.
«Au bout d’un moment, une partie de l’enveloppe se déchira, laissant apparaître une tête chevelue. Les yeux clos, elle semblait scruter le paysage. Puis, réagissant aux efforts, la toile céda entièrement, dévoilant le corps nu d’un garçon de six ans. Il ouvrit les yeux, verts.» (p.26)
Si autrefois on trouvait les bébés dans les choux, pourquoi pas dans un œuf. Madeleine, la saule pleureuse, adopte le garçon. Elle finira par l’emprisonner dans ses branches pour le protéger des dangers du monde et le tuer presque.
La jeunesse, la présence de Lucie la luciole change tout. Elle fait reculer la mort, dépose un germe d’amour dans la poitrine de Paul, tout près du cœur qui ne bat presque plus. Tout peut arriver alors. L’amour fait des miracles, on le sait. Paul revient à la vie. Il n’a qu’à s’abandonner pour se redresser du côté des vivants. Et il est tout à fait normal d’être amoureux d’une luciole, du moins dans les fables et les allégories. Le lecteur bascule et se met à y croire.
«Lucie, Lion et Paul passaient leurs soirées près du feu à profiter de la chaleur. Le piano jouait des Ragtimes parce qu’avec tout ce bonheur contenu dans la pièce, il ne pouvait faire autrement. Un soir, Paul dit «je…» à Lucie et s’arrêta en plein centre de sa courte phrase. Tout dire l’amour était difficile. Mais comme il ne put qu’en dire la moitié, c’était tolérable…» (p.149)

Belle découverte

Richard Dallaire jongle avec les mots, les prenant au sérieux pour décrire une société de plus en plus absurde et étrange. C’est ainsi qu’il effleure les travers de notre époque qui s’embourbe. Mais l’espoir reste, l’amour est encore possible. C’est le plus important.
«Le Marais» est un bonheur de lecture, même si Dallaire a tendance à forcer ses comparaisons et ses images. «Pour dire les choses, les yeux de Paul étaient des bouches qui ânonnent de bruyants silences. Les yeux de Lucie avaient l’ouïe fine.» (p.121) Ouf !
Dans ce genre d’univers, l’étonnement provient des situations et des découvertes. Pas besoin de torturer la langue. Malgré ce petit travers, ce premier roman s’avère une belle surprise. Beaucoup de fraîcheur, d’inventions et d’espoir.   

«Le Marais» de Richard Dallaire est paru aux Éditions du Sémaphore.
http://www.editionssemaphore.qc.ca/Richard_Dallaire.html

dimanche 15 mars 2009

Chamberland continue sa marche en solitaire

Paul Chamberland, dans sa poésie comme dans ses essais, porte un regard critique sur la civilisation contemporaine. Certains peuvent croire qu’il se complaît dans un pessimisme extrême pendant que d’autres affirmeront qu’il est réaliste.
Le monde actuel fonce vers la catastrophe à une vitesse vertigineuse. Tous les observateurs sérieux le répètent. Pollution, réchauffement de la planète, exploitation sauvage des ressources naturelles dans les pays du tiers-monde. Le sida, la famine et la misère sévissent, particulièrement en Afrique. La démocratie bat de l’aile même si l’élection de Barak Obama à la présidence des États-Unis semble secouer des espoirs que nous n’osions plus imaginer. Le but de toutes les grandes entreprises est de pousser le citoyen planétaire à produire de plus en plus, à consommer jusqu’à l’obésité.
Paul Chamberland, dans «Cœur creuset», ne s’attarde pas aux effets de la mondialisation et à l’hégémonie de l’Occident comme il l’a fait dans «En nouvelle barbarie». Il prône l’éveil, l’ouverture du coeur et de l’esprit pour glisser vers une autre terre de justice, de partage et d’amour. Il est possible d’y arriver par le dépouillement, la méditation, la reconnaissance de l’être de lumière qu’il y aurait en chacun de nous.
«Nous aurions échappé au feu primordial, nous en sommes convaincus. Mais nous brûlons encore : nous ne pouvons faire que n’existe pas la combustion dont ont été faits nos corps.» (p.89)
Puisant dans différentes philosophies orientales, le poète rêve d’un grand retour vers l’être, d’un dépouillement qui nous ferait nous retourner vers l’essentiel.
Questions fondamentales

Qui prend le temps de réfléchir au sens de la mort et de la vie à l’heure de Tout le monde en parle? Ces interrogations, les humains les ont effleurées depuis des millénaires. Maintenant, cette confrérie de chercheurs est reléguée dans les coins obscurs des bibliothèques, ou égarés dans les labyrinthes de l’informatique. J’ai peur cependant que Paul Chamberland ne rejoigne pas beaucoup de lecteurs avec la forme d’ascèse qu’il prône. Il fait aussi sourciller avec ses propos sur la culture.
«Le malaise dans la culture a crû au point de devenir intolérable. L’humanité est en train d’étouffer sous ses déchets, tant psychiques que matériels. L’actuelle civilisation a fait son temps. Nous savons depuis Auschwitz et Hiroshima qu’elle n’a plus rien d’autre à nous offrir que la production « rationnelle » du non-humain (béant au cœur du réel, ce trou noir). Le seul savoir qui tranche est celui qui découvre les ressources dont nous tirons la force de résister à l’anéantissement spirituel de l’humanité. De nous y arracher.» (p.105)
Le mysticisme ne semble guère capable de sauver l’humanité avec ce que nous en savons. Chamberland s’enferme de plus en plus dans une solitude inquiétante malgré les appels à ses frères et ses sœurs.

«Cœur creuset. Carnets 1997-2004» de Paul Chamberland est publié aux Éditions L’Hexagone.

Nicole Houde boucle un long cycle

Avec «Je pense à toi», son douzième ouvrage, Nicole Houde boucle un long cycle marqué par des oeuvres denses et troublantes. Il en aura fallu du temps pour ce face à face avec le père, une rencontre attendue et longtemps repoussée par la romancière.
Les femmes et les hommes, chez Nicole Houde, sont marqués par une génétique qui les hante et les broie. Victor est fils de père alcoolique pour son plus grand malheur. Il perd sa mère alors qu’il est encore enfant et ne s’en remettra jamais.
«Le temps n’existait plus que par brefs intervalles. La neige de cet été-là fondait en moi. La boue de cet été-là giclait en moi. Le séisme du 25 mai 1928 ne cessait de se reproduire en moi : de la boue partout, des pierres, une rivière en pleine débâcle, une fille de treize ans qui tremble de tous ses membres dans la montagne tremblante de tous ses arbres. Depuis le 20 juin, j’avais quatorze ans et, au contraire des garçons de mon âge, je ne voulais pas devenir un homme. À cause de l’aveuglement. À cause des clôtures autour des gestes et des mots.» (p.46)
Est-il possible d’échapper au destin familial, d’annihiler une «malédiction» qui pousse vers la mort et le délire?

Études

Étudiant au séminaire de Chicoutimi, il doit mettre fin à ses études. Son goût pour les mots lui permettra de devenir écrivain public dans les chantiers forestiers où il travaille comme cuisinier. Vie de nomade, de départs et d’arrivées, Victor combat des démons de plus en plus menaçants, incapable de repousser l’alcool.
Sophie, Gaétane et surtout Angéla retardent la chute. L’amour permet à Victor de s’aventurer hors des «clôtures» du village de Saint-Fulgence, d’espérer échapper aux tares héréditaires. Le couple vit un moment de grâce, quelques jours de bonheur, avant la tornade qui emporte tout.
«Je voudrais que chaque instant de cette soirée de juillet soit préservé. Chaque mouvement d’Angéla, chaque intonation de sa voix. Je la contemple afin que cette joie émanant d’elle soit mon éternité à moi. Un tel bonheur, je titube pour vrai, je la garde tout contre moi.»  (p.115)
Pendant ce temps, le diable attend son heure, ricane au fond d’une bouteille. L’alcool impose ses cycles et les mots tuent plus sûrement que des couteaux aiguisés. Victor et Angéla deviennent des étrangers avec les enfants.

Personnages inoubliables

Sur fond historique du Saguenay, Nicole Houde campe des personnages inoubliables. Un portrait terrible de la vie de village qui oscille entre le dit et les secrets qui camouflent l’inceste et les suicides. La fresque est assez terrifiante. Un roman d’une beauté sauvage qui transforme un univers âpre, pousse vers l’hallucination et la folie.
Voilà l’oeuvre d’une écrivaine en pleine possession de ses moyens. Jamais Nicole Houde n’est allée aussi loin. Un récit étourdissant. Dérangeant. Bouleversant. «Je pense à toi» tient le lecteur en apnée.

«Je pense à toi» de Nicole Houde est paru aux Éditions La Pleine lune.

Robert Lalonde réussit à nous perturber

Il arrive d’arriver au bout d’un livre en claudiquant. Comme si le poids du monde vous écrasait. Les mots ne viennent plus. Il faut de grandes plages de temps pour s’arracher à une lecture qui retourne l’esprit.
«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde, un recueil de trois nouvelles, étourdit et secoue. C’est toujours ce qui arrive quand on se risque dans le monde de cet écrivain. Il tricote des textes tendus comme une corde de violon. Il frôle la rupture, remue, questionne votre façon d’être au monde. Il lance ses grandes questions sans réponse, cherche une direction quand l’horizon colle au sol. Il vous laisse souvent avec l’impression d’être abandonné de Dieu et des hommes.
«C’était un lundi d’avril, chaud comme un jour d’été. Tout aurait dû m’étonner, me réveiller, me remettre en vie, ce jour-là. C’était enfin le printemps, et je tournais sur moi-même dans une cour d’école déserte, affolé par ces innombrables craquelures dans l’asphalte. Ces lignes brisées, ces alvéoles à la fois irrégulières et semblables, ce vaste diagramme imitant la multiplication folle de cellules détraquées : c’était ma vie que la disparition d’Annie avait définitivement fêlée.» (p.13)
Trois nouvelles qui s’attardent à la perte d’un proche, d’un amour ou d’un frère. Où trouver les mots, que valent les phrases quand il n’y a plus de direction qui s’ouvre, quand on tourne en soi comme dans une tempête d’hiver qui efface toutes les directions. Il reste peut-être la lecture d’un écrivain qui vous accompagne et vous hante depuis toujours. Il devient alors un double, l’ombre avec qui le dialogue est possible.

Les sources

Virginia Woolf a toujours fasciné Robert Lalonde. Il retourne régulièrement à l’œuvre de cette écrivaine. Il y a Annie Dillard, Jane Austen et quelques autres. Elles s’imposent plus que des êtres réels à force de les lire et de les relire. Dans «Souvent je prononce un adieu», Virginia Woolf accompagne l’auteur, le houspille avec ses phrases incisives comme des lames de rasoir. Elle est la désespérance, l’obsession, la folie du verbe qui fait que l’on garde la tête hors l’eau. Respirer encore.
«Écrire, ce n’est pas raconter une histoire. C’est s’attaquer à l’indicible, c’est chercher la transparence. Si ce que tu écris ne te plaît pas, brûle-le et recommence. Écris vite, impétueusement, travaille sans t’arrêter jamais.» (p.17)
Woolf va, vient, revient et le pousse vers une étudiante qui vient de tenter de se suicider. Vers l’écriture peut-être…

Grand Meaulnes

C’est Antoine dans «Un cœur rouge dans la glace» qui fonce dans la tempête pour retracer un frère qui se débat dans les pires excès depuis que les parents sont morts dans un accident d’auto. Il poursuit un fantôme, le retrouve grâce à Nicolas, un ange qui sauve de la désespérance, un «grand Meaulnes» qui rôde au-delà des apparences. C’est encore Alison Donahue que l’auteur suit près de la mer, à la lisière de la vie et de la folie. Elle trace des poèmes sur le sable et il traduit. Ils dialoguent, s’effleurent, se touchent, se perdent et se voient comme dans les miroirs de deux langues étrangères.
«Darling, les mots sont des petites têtes chercheuses et ils trouvent toujours leur chemin dans le fabuleux chaos de l’univers!» (p.225)
Le réel, la vie et la mort, voilà le vrai questionnement de Robert Lalonde depuis sa première parution. Ses livres posent toujours les mêmes questions sans jamais esquisser de réponses.
«Le roman que depuis toujours j’échafaudais mais n’écrivais pas m’avait fait prendre martre pour renard et voilà que je me réveillais, tout mon texte effacé et le cœur au ralenti. Ce n’était pas la fatigue qui m’écrasait sur ce banc, mais la fin abrupte d’un ensorcellement que j’avais manigancé tout seul et qui s’achevait dans une gare triste, où des inconnus me dévisageaient comme s’ils savaient.» (p.151)
Des nouvelles qui laissent abasourdi, debout entre deux jours, devant un matin aveuglant à la lisière de la mer ou d’un lac qui boit la lumière à petites gorgées. Avec toujours cette angoisse d’être un vivant.
Lire Robert Lalonde, c’est courir un risque, s’égarer, avoir du mal à respirer et à refaire surface. On s’en réchappe un peu changé, troublé, hésitant à mettre un pied devant l’autre.

«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

dimanche 8 mars 2009

Francine Allard a l’art de raconter une histoire

Dans un quart de page paru dans Le Devoir, l’éditeur affirmait que ce roman en était rendu à son huitième mille. Un best-seller au Québec quand on sait que la moyenne des ventes romanesques effleure à peine les 500 exemplaires. Pourtant, il me semble que la plus grande des discrétions a entouré la parution, en août 2008, de ce roman à saveur historique.
C’était assez pour que je me penche sur le premier tome de cette saga. Francine Allard promet une suite au nom évocateur: «La vengeance de la veuve noire». J’ai été solidement ferré, comme on dit dans le langage de la pêche sportive. Les personnages, des femmes surtout, m’ont retenu tout au long de ces 300 pages. Madame Allard a l’art de faire rebondir une histoire, de transformer le quotidien de ses héroïnes en une véritable aventure.
«En 1910 vivaient à Lachine, sur les rives – ou du moins assez près – du lac Saint-Louis, noir d’encre à cet endroit, un homme et une femme parmi les jeunes familles les plus vivantes et les plus malchanceuses de ce début du siècle. Lui s’appelait Josaphat Trudel: elle, portait le joli nom d’Adélina Landry.» (p.7) Un véritable conte pour lancer cette histoire. Le récit en a toutes les caractéristiques. Des personnages bien ancrés, des rebondissements qui nous poussent en avant à chacun des chapitres. Tout l’art de Francine Allard est là. Elle est une excellente conteuse qui fait en sorte que ses personnages retombent sur leurs pieds malgré les tragédies et les épreuves qui se multiplient.

Deux femmes

Le lecteur s’attache à Émilia, une fillette au début de l’histoire, la fille de Josaphat et Adélina qui meure en accouchant de son deuxième enfant. Elle deviendra couturière. Donatienne, la sage-femme, une voisine qui résiste mal aux beaux yeux de Josaphat, se retrouve enceinte après la mort d’Adélina et s’exile à Oka. Une mère seule, au début du siècle dernier, n’avait guère la cote.
La crise n’épargne personne, les femmes sont presque toujours enceintes, les hommes sont menteurs et manipulateurs. Émilia s’en sort grâce à son talent pour la couture, attendant le grand amour qui provoque les frissons et les plus grands espoirs. Donatienne se lance en affaires avec Bill Tiwasha, un Amérindien qui disparaît de façon tragique. Elle mettra sur pied une herboristerie réputée, fabriquera du cidre et un peu plus tard, grâce à la complicité de deux moines d’Oka, du calvados. Impossible de résister à ces femmes qui ne reculent devant rien. Elles refusent le petit pain reçu à la naissance.
«Une femme, c’est pas juste fait pour rester à maison à tricoter pis à faire des biscuits à la mélasse», lance Donatienne.

Des femmes vivantes

Les femmes aiment l’amour physique et ne s’en privent pas même si la grossesse est là comme une malédiction.
«Il la frôlait maintenant et Émilia remarqua que son pantalon se gonflait toujours davantage. Rosette lui avait déjà parlé de cette réaction bizarre chez ses frères lorsqu’ils se levaient au petit matin. Elle n’avait fait qu’une allusion ou deux, les yeux baissés, de cette chose qui grossissait lorsqu’ils se trouvaient devant des filles à moitié vêtues.» (p.124)
Elles découvrent la sexualité selon les aléas de la vie. Émilia quittera son travail après l’agression de son patron, Monsieur Bernstein. Un mal pour un bien puisqu’elle sera employée par de riches familles. Une aventure d’un soir avec Bernard, le fils gâté, un séducteur irresponsable, ébranlera sa belle confiance et fera qu’elle se méfiera des hommes.
Les femmes de Francine Allard sont vivantes, impulsives, fidèles, pleine de ressources et capables de sauver leurs proches. Donatienne sort ses voisins de la misère avec son commerce illicite d’alcool pendant qu’Émilia pourvoit aux besoins des siens frappés par la crise économique.
Un peu manichéen pourtant. Les hommes sont sournois, menteurs, fourbes, irresponsables et obsédés. Il y a quelques exceptions bien sûr. Joseph, fils de Donatienne, le frère d’Émilia, mais pour les autres, il est difficile de dénicher la perle rare.
Beaucoup de dialogues qui vont droit au but. Une écriture simple, efficace et pleine de rebondissements. Une bonne histoire belle de surprises et très actuelle.

«La Couturière, Les aiguilles du temps» de Francine Allard est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=423

dimanche 1 mars 2009

Nos sociétés ont-elles perdu leur imaginaire?

Bertrand Gervais donne une suite à «L’Île des Pas perdus», un roman fort original paru en 2007. «Le maître du Château rouge» permet au lecteur de retrouver Caroline Pas de Pouces, la jeune héroïne que nous avons appréciée.
Tout rétrécit sur l’Île des Pas perdus. Les œuvres uniques et irremplaçables de Saul Adde s’effritent. Sculptures, palais, jardins luxuriants, maisons et villages tombent en poussière. Bien sûr, une explication logique est possible, même quand l’imaginaire galope à en perdre le souffle.
«Tout être vivant est composé de deux sortes d’éléments, des particules réelles et des particules imaginaires. Les réelles sont inertes, comme de la pierre ; elles servent de socle sur lequel se déploient le corps et la vie. Les imaginaires assurent à l’être sa vie et son dynamisme.» (p.39)
Le professeur Aarvi identifie le phénomène, mais il faut trouver la cause de cette implosion.
«Si l’île se résorbe, si ses particules imaginaires se compriment jusqu’à affecter sa géographie, c’est qu’un grave problème a surgi.» (p.39)
Les particules imaginaires se raréfient, entraînant une suite de catastrophes qui laisse deviner la destruction totale du pays.
«C’est la composition même de l’île qui est en train de se modifier, s’impatiente le professeur. La FSA a perdu de vue sa nature essentielle. À l’imagination, elle a substitué la préservation. C’est une erreur flagrante. Vous avez voulu fixer les particules imaginaires dans du réel et vous avez changé l’équilibre des forces. Il y a maintenant trop de particules réelles, comprenez-vous? Ça vous rassure peut-être, mais vous transformez l’île en cadavre!» (p.68)

Allégorie

L’allégorie n’est pas sans évoquer nos sociétés qui viennent de basculer dans une crise sans précédent. L’économie déglingue, les bulletins d’informations le martèlent à tous les jours. Tout s’effrite. Les dirigeants se sont transformés en gestionnaires myopes, sans autres objectifs que d’aligner les chiffres au nom de la rentabilité et du profit à tout prix. Les mesures conservatrices semblent accentuer encore ce déclin et provoquer l’effritement d’institutions centenaires. La perte ou la négation de l’imaginaire, du rêve, des pulsions créatrices met les sociétés en danger.
Bertrand Gervais aborde une problématique qui remet en question les fondements de nos sociétés. Éric Lint, l’inventeur de l’écriture transgénique, a inséré un gène étranger dans le récit et a ouvert la porte à la catastrophe. La spéculation, les profits à outrance, les butins que se partagent les dirigeants d’entreprises sont-ils «des virus» qui font chanceler l’édifice?
«Ce n’est pas une nouvelle gestion qu’il faut, c’est un nouvel imaginaire», clame le professeur Aarvi.
«Le maître du Château rouge» prend la forme d’un roman jeunesse. Il ne faut pourtant pas se fourvoyer. Le questionnement est fort judicieux et démontre qu’une société qui tourne le dos à la création ne peut que régresser. Le Front de libération de l’Île des Pas perdus travaille à faire éclater les mesures coercitives qui tuent l’invention créatrice. Il en faut autant dans nos institutions où les données comptables menottent tous les projets. Recommencer est plus difficile qu’on ne le pense. Pour y arriver, il faudrait tourner le dos à des habitudes qui nous ont menés au désastre et plonger dans une utopie où les balises n’existent pas.

Suspense

Caroline, avec l’aide de Théo, tente de mettre un frein au grand dérèglement en se rendant au château du grand capitan, l’épicentre du désastre. Ils foncent, croisent des personnages étranges, déjouent les forces de l’ordre qui profitent de la situation pour instaurer la répression et un régime totalitaire.
La jeune fille devra abandonner l’île avec son père. Le pays a été contaminé par des gestionnaires sans imagination qui ne s’intéressent qu’au pouvoir et à leurs privilèges.
«Existe-t-il quelque chose hors des murs de notre imagination? a-t-elle encore le temps de se demander. De la matière, sûrement. Et de la vie, tout aussi insaisissable que de l’encre qui se détache d’une feuille.» (p.193)
Un ouvrage qui permet plusieurs niveaux de lecture, ce qui en fait une œuvre forte malgré les apparences. Pour ceux et celles qui veulent renouer avec l’utopie et l’avenir.

«Le maître du Château rouge» de Bertrand Gervais est paru chez XYZ Éditeur.