dimanche 15 mars 2009

Robert Lalonde réussit à nous perturber

Il arrive d’arriver au bout d’un livre en claudiquant. Comme si le poids du monde vous écrasait. Les mots ne viennent plus. Il faut de grandes plages de temps pour s’arracher à une lecture qui retourne l’esprit.
«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde, un recueil de trois nouvelles, étourdit et secoue. C’est toujours ce qui arrive quand on se risque dans le monde de cet écrivain. Il tricote des textes tendus comme une corde de violon. Il frôle la rupture, remue, questionne votre façon d’être au monde. Il lance ses grandes questions sans réponse, cherche une direction quand l’horizon colle au sol. Il vous laisse souvent avec l’impression d’être abandonné de Dieu et des hommes.
«C’était un lundi d’avril, chaud comme un jour d’été. Tout aurait dû m’étonner, me réveiller, me remettre en vie, ce jour-là. C’était enfin le printemps, et je tournais sur moi-même dans une cour d’école déserte, affolé par ces innombrables craquelures dans l’asphalte. Ces lignes brisées, ces alvéoles à la fois irrégulières et semblables, ce vaste diagramme imitant la multiplication folle de cellules détraquées : c’était ma vie que la disparition d’Annie avait définitivement fêlée.» (p.13)
Trois nouvelles qui s’attardent à la perte d’un proche, d’un amour ou d’un frère. Où trouver les mots, que valent les phrases quand il n’y a plus de direction qui s’ouvre, quand on tourne en soi comme dans une tempête d’hiver qui efface toutes les directions. Il reste peut-être la lecture d’un écrivain qui vous accompagne et vous hante depuis toujours. Il devient alors un double, l’ombre avec qui le dialogue est possible.

Les sources

Virginia Woolf a toujours fasciné Robert Lalonde. Il retourne régulièrement à l’œuvre de cette écrivaine. Il y a Annie Dillard, Jane Austen et quelques autres. Elles s’imposent plus que des êtres réels à force de les lire et de les relire. Dans «Souvent je prononce un adieu», Virginia Woolf accompagne l’auteur, le houspille avec ses phrases incisives comme des lames de rasoir. Elle est la désespérance, l’obsession, la folie du verbe qui fait que l’on garde la tête hors l’eau. Respirer encore.
«Écrire, ce n’est pas raconter une histoire. C’est s’attaquer à l’indicible, c’est chercher la transparence. Si ce que tu écris ne te plaît pas, brûle-le et recommence. Écris vite, impétueusement, travaille sans t’arrêter jamais.» (p.17)
Woolf va, vient, revient et le pousse vers une étudiante qui vient de tenter de se suicider. Vers l’écriture peut-être…

Grand Meaulnes

C’est Antoine dans «Un cœur rouge dans la glace» qui fonce dans la tempête pour retracer un frère qui se débat dans les pires excès depuis que les parents sont morts dans un accident d’auto. Il poursuit un fantôme, le retrouve grâce à Nicolas, un ange qui sauve de la désespérance, un «grand Meaulnes» qui rôde au-delà des apparences. C’est encore Alison Donahue que l’auteur suit près de la mer, à la lisière de la vie et de la folie. Elle trace des poèmes sur le sable et il traduit. Ils dialoguent, s’effleurent, se touchent, se perdent et se voient comme dans les miroirs de deux langues étrangères.
«Darling, les mots sont des petites têtes chercheuses et ils trouvent toujours leur chemin dans le fabuleux chaos de l’univers!» (p.225)
Le réel, la vie et la mort, voilà le vrai questionnement de Robert Lalonde depuis sa première parution. Ses livres posent toujours les mêmes questions sans jamais esquisser de réponses.
«Le roman que depuis toujours j’échafaudais mais n’écrivais pas m’avait fait prendre martre pour renard et voilà que je me réveillais, tout mon texte effacé et le cœur au ralenti. Ce n’était pas la fatigue qui m’écrasait sur ce banc, mais la fin abrupte d’un ensorcellement que j’avais manigancé tout seul et qui s’achevait dans une gare triste, où des inconnus me dévisageaient comme s’ils savaient.» (p.151)
Des nouvelles qui laissent abasourdi, debout entre deux jours, devant un matin aveuglant à la lisière de la mer ou d’un lac qui boit la lumière à petites gorgées. Avec toujours cette angoisse d’être un vivant.
Lire Robert Lalonde, c’est courir un risque, s’égarer, avoir du mal à respirer et à refaire surface. On s’en réchappe un peu changé, troublé, hésitant à mettre un pied devant l’autre.

«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

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