Les formations politiques ne cesse de vouloir aider les familles au Québec. Il est question du nombre de places en garderie, des médecins de famille et de certaines allocations. Tous esquissent des généralités, laissant croire que la famille est encore un triangle constitué d’une mère, d’un père et des enfants.
Ce noyau a bien changé depuis la Révolution tranquille. Présentement, une union sur deux se termine par une séparation. Les enfants deviennent des nomades quand ils ne se contentent pas d’un seul parent. Ces réalités sont peu évoquées dans les programmes électoraux ou dans les informations où la bourse joue aux montagnes russes.
Jeunes écrivaines
Chez les jeunes écrivaines, les relations entre les hommes et les femmes prennent des teintes particulières. Deux parutions récentes illustrent bien le propos. «Cookie» de Sophie Bouchard et «Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin. Dans ce dernier cas, oublions le titre de mauvais goût.
Chez ces romancières, deux femmes dans la vingtaine cherchent à faire un bout de chemin avec un compagnon, un amant et un ami. Les mâles veulent bien d’un corps à corps d’une nuit, mais quand il est question de s’aventurer dans le quotidien, c’est autre chose. Après les secousses épidermiques, les hommes s’enfuient. Tout est toujours à recommencer.
Cookie a du cran, tient des statistiques et garde un œil sur l’espoir. Elle est coriace, pleine d’humour et de verve. Par dépit, elle imagine une vie sur une île, à la manière d’une Crusoé des temps modernes. Pas besoin de chercher si loin! Beaucoup d’hommes et de femmes vivent en ermite dans «l’île de leur appartement» sans beaucoup de contacts avec les autres.
Les hommes se succèdent sans que Cookie ne puisse en retenir un. Tout comme la Laurie d’Anick Fortin. Les deux guérissent d’une relation qui a duré un temps et s’est étiolée. Impossibilité d’établir quoi que ce soit de durable, de vrai et de solide chez ces romancières.
Cette instabilité pousse Cookie et Laurie vers l’alcool, des excès dont elles ne sont guère fières. Les deux abordent franchement leur sexualité, leurs désirs et ne renoncent pas à une certaine forme de romantisme et de tendresse. On peut aussi se tourner vers Stéfani Meunier qui a fait des relations de couple le sujet de ses romans.
Manière de vivre
Pourquoi la vie à deux est-elle devenue impossible? Est-ce notre manière de vivre, notre obsession de la consommation et de la performance qui déteint sur la vie amoureuse? Est-ce la disparition des balises qui faisaient, il n’y a pas si longtemps, que les couples se formaient pour le meilleur et le pire. Ou est-ce qu’on refuse les efforts qui sauvent le couple? Un différend, une contradiction, et adieu la vie à deux. Cela crée des univers étranges et schizophréniques. Bien sûr, la possibilité d’avoir un enfant dans un tel contexte est une utopie. Laurie se retrouve enceinte, mais l’action romanesque fera en sorte que l’enfant ne sera jamais là.
Et pour explorer l’envers de «Cookie» et du «Journal intime d’une pute conforme», décidément ce titre ne me revient pas, il faut se tourner vers le roman de Fred Dompierre «Presque 39 ans, bientôt 100 ans». Ce récit décrit un homme instable et incapable de s’attarder auprès d’une femme. Après les grands titillements des premiers jours, il cherche par tous les moyens à décevoir la femme de sa vie. Il nage dans l’alcool et son cynisme est désespérant. Est-ce là l’homme que Cookie et Laurie veulent séduire?
Si Jack Kerouac et Henry Miller ont fait fantasmer bien des hommes de ma génération, il semble que les fils et les petits-fils ont peu changé. Ils sont toujours allergiques aux responsabilités et au couple. Le nouveau vient de ces jeunes écrivaines qui bousculent et questionnent cette réalité dans un langage particulièrement cru et senti.
«Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin est paru aux Éditions Trois-Pistoles et «Cookie» de Sophie Bouchard a été publié à La Peuplade. « Presque 39 ans, bientôt 100 ans» de Fred Dompierre est édité par les Éditions du Boréal.