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dimanche 16 novembre 2008

Felicia Mihali renoue avec la Roumanie

Dina attire les regards de Dragan, un douanier serbe particulièrement zélé qui traque tous les trafiquants. Une étrange relation s’installe entre eux, un amour fait de haine et de passion, de résistance et d’agressions. Elle devient le symbole de la Roumanie qui se fait humilier par l’envahisseur. Un univers de violence, de rage et de haine qui se traduit dans un affrontement quotidien qui ne connaît de trêves que dans la fusion des corps.

La Roumanie a vécu le communisme à la Ceausescu, un régime totalitaire particulièrement archaïque et sauvage. La fin de cette dictature a laissé le pays en ruine. Les gens vivent au jour le jour, deviennent trafiquants pour survivre, bradent tout pour quelques sous. Les campagnes sont désertées, les terres abandonnées et le marché noir est la seule activité possible. L’anarchie règne en maître. Le pire peut-être, ce sont les affrontements quotidiens entre Serbes et Roumains, cette haine raciale que rien ne semble vouloir éradiquer.
Avec «Dina» nous effleurons le meilleur de Felicia Mihali. Nous retrouvons la magie du «Pays du fromage», son premier roman, la même force d’évocation, un drame et un suspense qui emportent chacune des pages. Des portraits saisissants de femmes qui vivent les pires outrages depuis des siècles, trouvent des trésors d’imagination pour survivre. Elles sont déboussolées dans cette société qui a oublié ses références.
«Une fois libérées de la tutelle de leur mari ou de leur belle-mère, les vieilles femmes se consacrent finalement à une vie d’oisiveté ou d’ivrognerie. Les voisines que je connaissais, surchargées de tâches, sont devenues maintenant des clientes fidèles de la taverne du village. On ne les voit plus porter de lourds fardeaux sur leur dos, on ne les entend pas puiser de l’eau, courir après une poule ou crier après un mouton. Elles ne veulent plus peiner, même au risque de ne pas se nourrir. Le cycle de leur vie a ralenti, leurs membres sont fatigués, leur énergie nourricière s’est tarie, leur instinct maternel est entré en hibernation ou s’est reconverti en égoïsme et en indifférence.» (p.34)

Un récit

«Dina» pourrait être un récit tellement la voix de la narratrice se rapproche de l’écrivaine. Sans être un familier de Mihali, on peut reconnaître des éléments de sa trajectoire, son installation à Montréal, son refus de retourner au pays malgré la nostalgie qui rejoint ceux et celles qui décident de quitter parents et amis pour s’inventer un rêve.
La Montréalaise par choix garde contact avec son pays d’origine, téléphone à ses parents de temps en temps. Elle n’arrive plus à parler avec un père qui n’est que l’ombre de lui-même. Sa mère, après une vie de sacrifices et de dévouement, bascule dans l’alcool pour fuir la réalité devenue impossible.
Lors d’une conversation, la narratrice apprend la mort de sa cousine Dina. Elles avaient le même âge, partagé leur adolescence et de grands bouts de leur vie de jeunes femmes. Elle a été assassinée, semble-t-il. Une mort qui fait ressurgir une partie de l’enfance de la narratrice.

Figure emblématique

L’écrivaine insiste peut-être un peu trop pour montrer que Dina est la figure emblématique des Roumains qui courbent le dos devant l’oppresseur. C’est la seule fausse note de ce roman magnifique. Un portrait de la Roumanie particulièrement troublant qui ne sait plus à quoi s’accrocher pour survivre et qui affronte le mépris, la violence des vainqueurs. Dina ne peut triompher dans un combat inégal. Il reste la fuite, l’exil pour se refaire une vie. C’est ce que la narratrice a choisi.
«Dina a alors fait ce que les petites nations font devant la pression des plus grandes: elle a cédé. Elle est montée dans l’auto, convaincue que ce n’était pas la fin mais pas le début non plus. Dans son âme logeaient depuis longtemps l’humiliation, la rage de ne pas pouvoir se défendre, de dépendre toujours de la bonne volonté et des intérêts des autres. Dragan allait lui-même décider de son sort. Pour s’y opposer ? Elle n’aurait pas pu le faire encore longtemps de toute façon. Pourquoi fuir, lorsque la volonté des plus forts vous suit partout?» (p.125)

«Dina» de Felicia Mihali est publié chez XYZ Éditeur.

dimanche 9 novembre 2008

Les Gagné et les Rousseau sont de retour

Anne Tremblay récidive avec «Les porteuses d’espoir», le troisième tome du «Château à Noé». Les Gagné et les Rousseau vivent difficilement les années qui s’étirent entre 1938 et 1960. De grandes épreuves ne cessent de secouer ces familles depuis la hausse des eaux du lac Saint-Jean qui a noyé leurs terres de Pointe-Taillon et emporté une partie de leurs rêves. Le malheur ne peut être plus spectaculaire que l’incendie de la maison qui a disséminé la famille Gagné. Sept enfants sont morts en plus de Rolande, la mère. Le drame a traumatisé tout le monde. Georges, le père, n’aura pas assez d’une vie pour se redresser. Jean-Marie, le fils aîné, cherche à expier en se faisant moine à Mistassini. Mathieu n’arrive pas à oublier la mort de ses cousins. Hélène, la survivante, se sentira toujours un peu coupable d’être du côté des vivants.
Les Rousseau vivotent à Saint-Ambroise. Julianna doit ravaler ses ambitions qui lui permettraient de mettre le monde à sa main. Yvette, sa fille aînée, se débat avec des rêves de départ. Rien n’arrive en ces temps difficiles. La guerre a rejoint tout le monde. Pierre, le fils de François-Xavier et Julianna, se cache dans un chantier au nord de Normandin pour échapper à la conscription. Elzéar, son cousin, s’enrôle pour défier la mort en sifflotant sur les champs de bataille de l’Italie. Le souvenir du sinistre qui a ravagé la maison familiale le pousse en avant. Il mourra le sourire aux lèvres.

Autre rêve

Les Rousseau déménagent à Chicoutimi pour inventer un autre rêve et une autre déception. Julianna s’occupera du courrier du coeur dans le journal de Chicoutimi et découvrira des secrets que l’on évite lors des repas du temps des Fêtes. Elle sauvera sa famille de l’indigence en quelque sorte. Parce que le malheur ne s’éloigne jamais chez les Rousseau. Il se faufile par une porte mal fermée ou une fenêtre. Il est toujours là à mettre ses doigts partout. Nous filons ainsi jusqu’au début de la Révolution tranquille où le Québec découvre la modernité. 

Conteuse

Anne Tremblay est une formidable conteuse. Encore une fois, «Les porteuses d’espoir» nous attache à une histoire familière et des dizaines de personnages aux prises avec leur quotidien. Un secret, un rebondissement fait que nous lisons cette tranche en gourmand. Un membre de la tribu vit le meilleur ou le pire, effleure la mort, mais arrive toujours à relever la tête. Toujours l’amour, l’espoir, la certitude d’arriver à mettre un doigt sur des jours ensoleillés.
Anne Tremblay possède cet art délicat de retenir son lecteur. Impossible de ne pas se laisser étourdir par cette saga du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Quatre cents pages bien tassées qui nous font plonger dans des drames qui s’étalent sur un fond historique. Une forme de magie.
Que ce soit chez les Gagné ou les Rousseau, tous possèdent un don d’empathie, une énergie qui fait que les pires difficultés sont surmontées. Même Yvette qui connaît la faim et la misère à Paris sera rescapée par sa petite sœur Laura. Le rêve lui aura rogné les ailes cependant. Oui, il y a toujours une main, un regard, une parole qui permet de s’arracher à la misère. Comment ne pas prendre plaisir à le croire et à le lire.
Une écriture directe, sans artifices, beaucoup de dialogues, des rappels pour nous remettre en mémoire certains événements un peu oubliés. Le lecteur prend les virages de ces aventures croisées en retenant son souffle, s’attache à des personnages qui ont la grande qualité d’avoir du cœur malgré des maladresses et les difficultés à manier les mots.
Le lecteur a à peine refermé ce gros roman qu’il rêve déjà du quatrième tome qui promet de nous pousser vers le déluge qui a secoué la région en 1996. Mélange de fiction et de réalité, cette saga est à l’image de la vie toujours folle de soubresauts, de grandes et petites tribulations qui laissent des cicatrices profondes. C’est pourquoi on s’attache à ces héros de la vie ordinaire. Des pages pleines d’espoir, de forces et de santé malgré les pires facéties de la vie. Il suffit de s’abandonner à son plaisir.

«Les porteuses d’espoir» d’Anne Tremblay est paru chez Guy Saint-Jean Éditeur.

jeudi 30 octobre 2008

Comment survivre à la mort d’un enfant ?

La vie est fragile. Une course et l’irréparable nous gifle. Lucie a une fille dans «La maison des temps rompus» de Pascale Quiviger. En traversant la rue, Odyssée se fait renverser par une automobile. La vie éclate comme une vitrine sous le souffle d’une bombe. La mort enraye l’esprit de la mère, court-circuite tous les sens. Cette douleur insupportable la pousse hors d’elle, à se blesser à des souvenirs et à cultiver des remords. Elle cherche un refuge comme le font les chats quand ils veulent guérir et lécher leur plaie jusqu’à une certaine résurrection.
«Je voulais une maison pour qu’elle m’avale, je me souviens, avoir pensé : j’aimerais tant être nulle part. Être nulle, annulée. Une maison, si possible au bord de la mer, comme antidote à l’étroitesse d’horizon.» (p.15)
Dans des récits croisés, nous apprivoisons la narratrice qui s’est réfugiée dans une maison de bord de mer qu’elle est seule à voir. Un refuge pour étourdir la souffrance insoutenable et faire germer peut-être un semblant de paix sans le regard des autres et le poids de la compassion.

Des inséparables

Le récit se casse au second cahier. Nous cherchons un fil pour nous accrocher. Deux femmes, Suzanne et Aurore, promènent leurs bébés Claire et Lucie. Il  faut du temps pour retrouver la narratrice qui nous a subjugués dès les premières phrases. Nous basculons dans l’enfance des fillettes, des inséparables, des sœurs sans trop faire le lien. Une complicité, un partage total, une amitié assez forte pour une vie. Les destins se croisent, se perdent, se retrouvent, se bousculent et reviennent rôder.
Par petites touches, nous découvrons l’histoire de Claire et Lucie, celle des mères aussi. Si Suzanne, la mère de Claire, est plutôt conventionnelle avec un mari toujours absent, Aurore est une imaginative qui préfère la fiction à la réalité. Il faut dire que son héritage sort des ornières. Sa mère d’origine irlandaise a connu une fin tragique alors qu’elle était encore une fillette.
«En l’absence de Jean et en présence d’Aurore, ils la brûlèrent vive et muette, depuis toujours consciente du risque d’être soi. Son âme aimée du monde s’éleva très haut, effleurant sur son passage l’épaule de son homme, qui comprit tout de suite ce qu’il savait déjà : le temps est bref, les bêtes sont libres, les hommes sont fous, les corps périssent. L’amour perdure, mystère sans tache le long des épines, au fond de la neige, sur les vaisseaux ardents.» (p.72)
Il y a de quoi se réfugier dans la fiction pour étendre une bâche sur les atrocités du monde et des images intolérables. Nous suivons Lucie dans sa douleur, dans sa quête de repères après cette mort qui a tout pulvérisé. Certaines douleurs peuvent pousser vers des excès terribles comme le fait le personnage de Brigitte Haentjens dans «Blanchie». La narratrice se perd et s’avilit jusqu’à frôler l’anéantissement après la mort de son frère.

Destins de femmes

Des destins de femmes, des pages époustouflantes sur l’enfance et l’accouchement.
«Le jour de la naissance d’Odyssée, Lucie ne voit plus que des éclats d’images, sa blouse tachée, une chaise en plastique bleu, les sourcils froncés de Claire, une reproduction de Van Gogh, le reflet des néons dans l’évier, les tournesols de Van Gogh, une rampe verte dans un corridor, la tête penchée des tournesols, leurs pétales jaunes. Les minutes ne passent qu’à force de ne pas passer. Chaque contraction dure une vie, une vie passée sur l’ourlet de la mort, charriée, emportée là où nul n’irait de son plein gré. Son corps craque dans la séparation, réduit au seul pouvoir de consentir, poussé vers l’autre bout des mondes pour prendre une âme par la main, pour l’inviter à redescendre, pour l’accompagner ici-bas tête première- et Lucie touche d’un seul coup le ciel et la terre, la bête et l’ange, l’entente et le cri.» (p.197)
Un souffle, un ton, une écriture remarquable, une voix, une force d’évocation rare. Pascale Quiviger, dans son quatrième ouvrage, signe un roman exceptionnel. Rappelons qu’elle a remporté le Prix du gouverneur général en 2004 avec «Cercle parfait» et a été finaliste au prix Giller. Une écrivaine sur qui nous devons compter.

«La maison des temps rompus» de Pascale Quiviger est publié aux Éditions du Boréal.  
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/pascale-quiviger-1609.html

jeudi 23 octobre 2008

Et si le bonheur était encore possible

Stéfani Meunier est une jeune écrivaine qui a su s’imposer rapidement avec des romans qui se présentent comme de grandes fresques qui évoquent des générations ou des époques bien particulières de notre société. «L’étrangère» et «Ce n’est pas une façon de dire adieu» paru en 2007 nous plongent dans des relations difficiles entre les hommes et les femmes, des ruptures qui surgissent quand personne ne peut le prévoir.
«Et je te demanderai la mer», son troisième roman ne fait pas exception. Stéfani Meunier s’intéresse avant tout aux humains. Ses titres tombent comme un fragment de récit qui donne envie d’aller plus loin.
Des amours naîssent, s’épanouissent et se fânent tout aussi rapidement. La passion se change en indifférence quand ce n’est pas en haine. La vie n’a jamais été facile mais en échappant aux balises du mariage, il faut emprunter d’autres avenues, regarder d’une autre manière ce désir des femmes et des hommes de se rencontrer et d’avoir des enfants. Il suffit de si peu pour que tout se brise. Les couples qui résistent à l’usure des années se font de plus en plus rares.

Ruptures

Dan a fui un ménage qui battait de l’aile. Il laisse tout derrière lui pour tenter de guérir sa blessure. Il achète un motel un peu délabré et croit pouvoir trouver la paix et la guérison en s’abrutissant de travail. Il a tout laissé à sa femme Rachel qui est terriblement angoissée par son fils Marco. Elle craint toujours le pire et s’empêche de vivre. Il n’avait pas prévu qu’une femme alcoolique et son fils loueraient une chambre. Léo s’attache à Dan et une belle amitié naît. Le jeune a besoin de Dan et lui a besoin de Léo pour oublier sa douleur et retrouver un fils peut-être. C’est cette longue poussée vers la lumière, le bonheur qui constitue la trame narrative de ce roman de résilience, d’accalmie et de paix.
Un ouvrage fort sympathique, bien mené, avec des personnages qui se transforment, habités qu’ils sont par un désir de bonheur, de chaleur et de contact humain. Une réconciliation difficile dans le cas de Marco et Léo, entre les pères et les fils, les mères et les fils. Tous finissent par dompter leurs démons pour vivre une certaine paix. Un peu idyllique peut-être, mais la fiction est là pour nous faire croire que tout est possible et qu’il n’y a pas que le malheur qui enfonce ses racines.

Léo

Le jeune Léo jouera un grand rôle dans cette histoire, devenant celui qui noue des intrigues, fait en sorte que les choses arrivent et se réalisent. Un passeur fort sympathique qui s’amuse à chercher les monstres au fond des océans. Il réussira surtout à apprivoiser les monstres qui se cachent dans chacun des personnages.
Au début, on est un peu surpris par le changement de narrateur mais le lecteur s’habitue rapidement à ce saut. Nous bondissons à la fois dans l’esprit des intervenants qui présentent chacun une facette de cette histoire. Nous nous habituons à cette gymnastique et on s’amuse de ce changement de point de vue.
Nous avons besoin d’un tel roman, de croire que les humains sont bons et gentils, et qu’ils finissent par dompteur leurs démons pour vivre sans blesser ou écraser les autres. Des personnages fort attachants, un roman qui glisse tout en douceur, nous entraîne vers cette paix tant convoitée.
Après des blessures qui duraient toute une vie dans ses romans précédents, Stéfani Meunier franchit une étape dans «Et je te demanderai la mer». Tout n’est pas terminé quand une vie se brise pour une raison ou une autre. La vie est coriace, particulièrement forte et elle finit toujours par cicatriser les plus incroyables blessures. Non, le malheur n’est pas une fatalité. Il suffit de prendre le temps, de croiser les bonnes personnes. Même les enfants peuvent aider les adultes à guérir tout comme les adultes le font.
C’est juste, beau, plein de santé. C’est plutôt rare dans notre littérature parce que les jeunes écrivains sont plutôt sombres et existentiels.

«Et je te demanderai la mer» de Stéfani Meunier est publié aux Éditions du Boréal.

jeudi 9 octobre 2008

Andrée Ferretti jongle avec des questions importantes

Andrée Ferretti est associée à l’indépendance du Québec depuis fort longtemps. Il suffit de consulter sa bibliographie pour constater que cette question, au cœur du débat politique depuis cinquante ans, la préoccupe et alimente sa réflexion. Elle a publié, avec Gaston Miron, «Les grands textes indépendantistes» et «Le Parti québécois: pour ou contre l’indépendance», un pamphlet qui va droit au but. Cet aspect de sa vie a fait oublier l’écrivaine qui entrait en littérature en 1987 avec «Renaissance en Paganie». Elle publiait par la suite des nouvelles et des récits. «Bénédicte sous enquête» est son troisième roman.
Je ne savais à quoi m’attendre, ayant pour une raison ou une autre, négligé cette auteure jusqu’à maintenant. Les chemins de la lecture nous poussent souvent vers les mêmes écrivains qui finissent par constituer de véritables familles qui occupent tout notre temps ou presque.

Hollande

Sophie Bertrand, latiniste et passionnées de généalogie, archiviste à la ville de Québec, achète une veille maison de Neuville. Pendant les rénovations, elle trouve un coffret minutieusement scellé qui contient les textes d’une certaine Bénédicte née en Hollande en 1632 et qui, nous allons le découvrir, s’avère être son ancêtre. Une philosophe bannie et excommuniée de la communauté juive pour ses idées, et qui rejette tous les carcans. Guillaume Bertrand, l’ancêtre québécois de Sophie, a caché les documents dans sa maison de Neuville à la demande de Bénédicte, la mère de son épouse. Par courts fragments, nous découvrons une femme qui a vécu une double vie, dissimulant sa féminité pour vivre en homme.
«J’ai écrit au masculin les pages qui précèdent. Je m’en suis vite rendu compte, en même temps que je me découvrais impuissante à me corriger. Anomalie, s’il en est une, puisque, ce 6 février 1673, j’entreprends la présente rédaction de mes mémoires dans l’unique but de révéler à la postérité que je suis une femme. Objectif dont l’atteinte m’apparaît plus difficile que je l’eusse cru. Non seulement parce que j’ai peine à me débarrasser des habits d’homme sous lesquels je vis depuis toujours, sous lesquels j’écris mon œuvre et en discute avec moult amis et quelques savants, mais parce que j’ai de bonnes raisons de craindre un rejet méprisant de ma pensée  par la société viscéralement misogyne des philosophes.» (p.22)
Le lecteur se prend d’affection pour cette contemporaine qui revendique le droit à la pensée, à la liberté, prône la démocratie, l’amour libre et le droit de s’exprimer comme un homme.

Fiction

Andrée Ferretti multiplie les pistes. On se prend au jeu, on fouine, on tente de deviner de qui il pourrait être question même si l’auteure ne s’embourbe jamais dans les grands concepts qui fascinent son héroïne. Elle en met juste assez pour alimenter la curiosité, nous pousser vers des personnages ou des concepts qui ont secoué toutes les sociétés depuis les Grecs.
«Ils ne soupçonnent pas que ma philosophie entièrement fondée sur ma vision de l’unité du monde et sur la nécessaire affirmation de soi de chaque être suppose la puissance des femmes à gouverner autrement des sociétés différentes, transformées par les acquis d’une connaissance vraie d’un nombre croissant de phénomènes, mutation qui, libératrice des préjugés et de la peur, augmentera la liberté de chaque individu devenu dès lors rebelle à la domination des uns sur les autres.» (p.110)
Des propos qui font hurler les bien-pensants d’Amsterdam au XVIIe siècle et qui pourraient faire sourciller bien des conservateurs s’ils osaient ouvrir ce livre.

Enquête

«Bénédicte sous enquête» reprend les grandes questions que les humains se posent depuis qu’ils ont pris conscience de leur existence et de la mort. Quel plaisir de plonger dans ces textes qui bousculent la société et les religions, les croyances et les dogmes. C’est rafraîchissant dans une époque qui carbure à la bêtise de l’opinion et des sondages. Andrée Ferretti choisit la réflexion et, à la toute fin, quand l’ultime fragment est signé par Bénédicte Spinoza, on se met à rêver. Est-ce possible?
Voilà une belle matière à un autre roman… Un court ouvrage bien mené qui, par le biais de l’histoire et de la philosophie, nous ramène au temps présent. Une habile façon d’apporter les idées dans la littérature et de réfléchir à la condition des femmes au cours des siècles.

«Bénédicte sous enquête» d’Andrée Ferretti est paru chez VLB Éditeur.
http://www.edvlb.com/andree-ferretti/auteur/ferr1017

vendredi 3 octobre 2008

Donald Alarie fait sa marque discrètement

Donald Alarie ne sera jamais de «Tout le monde en parle» et il n’est pas l’homme à convoquer les médias pour marteler ce qui l’indigne dans une campagne électorale. Il vit à l’ombre des mots et des phrases depuis une trentaine d’années. Cette discrétion est le lot de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des écrivains. Pour une Marie Laberge, il y a des centaines de Donald Alarie.
Comme presque tous les écrivains au Québec, il exerce un autre métier pour survivre, devient son propre mécène pour constituer cette littérature qui fait notre fierté et constitue notre identité.
«David et les autres» prend la couleur de l’échange à voix basse un soir de septembre quand la douceur de l’air permet de s’attarder sous les étoiles. Une qualité humaine d’une justesse remarquable qui fait un clin d’œil à d’autres écrivains du Québec qui vivent dans l’ombre. Sans avoir sa notoriété, Alarie emprunte la voie d’un Jacques Poulin qui ne fait jamais de vagues, mais sait rejoindre des lecteurs qui lui sont fidèles. Depuis 1977, il a signé une vingtaine de romans, de recueils de poésie et de nouvelles, constitué une œuvre impressionnante par sa diversité et sa variété. Il présente encore une fois un roman qui tombe comme une sonate de Debussy. Un roman touchant par sa vérité, sa qualité et sa justesse. Son poids existentiel, je dirais.

Lecture et écriture


David connaît très tôt les joies de la lecture. Il ne s’en remettra jamais. Un plaisir qui l’accompagnera sa vie durant. Il éprouvera autant de plaisir à lire qu’à écrire.
«À cause d’une petite bêtise qu’il avait faite, on décida de mettre le jeune David en pénitence. Seul pendant trente minutes, dans un coin. Mais, erreur importante, on lui laisse le droit de prendre un livre. On croyait ainsi le priver de la vie. Pourtant il vivait plus que jamais, parti en voyage, avec ce livre à la main, debout près d’un mur en apparence sans intérêt.» (p.11)
Jeune homme, il étudie en lettres, devient écrivain et père d’une petite fille. Le couple vacille et ils doivent se résoudre au divorce. Rien de particulier jusque-là sauf cet arrangement où Annie, leur petite fille, reste à la maison. Les parents deviennent les nomades et prennent le relais semaine après semaine. Découlera de cette rupture une longue vie de solitaire marquée par quelques aventures et l’amitié. On croirait retrouver un personnage de Gilles Archambault, la mélancolie en moins. Cet homme tranquille prend soin de sa fille, de son père, évite le côté médiatique de la carrière d’écrivain, les jeux de société qui accompagnent les manifestations littéraires. Pour survivre, il effectue des travaux de bricolage où il croise des gens qui l’étonnent, le surprennent et l’inspirent. Il passera sa vie dans le même quartier, la même petite ville, en marge des grands événements. Parfois il croise quelques lecteurs perspicaces. Cela devient un événement.
«Et là commença, en même temps que les cheveux fraîchement coupés de l’écrivain continuaient à tomber sur le sol, ce qu’il est convenu d’appeler une discussion littéraire. David réalisa que ce coiffeur était un très bon lecteur. Tout ce que celui-ci avait noté était fort juste. Il avait même fait une lecture plus perspicace qu’un certain critique qui avait parlé de son recueil en termes recherchés, mais sans parvenir à convaincre David qu’il l’avait lu en totalité.» (p.68)
Ce récit intimiste, marqué par une légère teinte d’humour, permet à Donald Alarie de faire le tour de sa vie d’écrivain. Il est difficile de ne pas associer son héros à sa propre démarche. On reconnaît son premier éditeur Pierre Tisseyre et ceux qui l’accompagneront par la suite, des écrivains qu’il admire de loin aussi, qu’il perçoit comme des frères et qu’il n’ose pas aborder.
Le témoignage d’un homme simple, effacé qui a choisi la simplicité et qui consacre son existence à donner du sens, à écrire et à s’occuper des autres autour de lui. Il voit l’âge le bousculer doucement, le temps l’avaler irrémédiablement, sans fracas, sans bruit à l’image de sa vie. Il peut dire qu’il a vécu pleinement malgré tout.
Un roman touchant, toute de finesse, de douceur qui nous pince là où c’est le  plus sensible.

«David et les autres» de Donald Alarie est paru aux Éditions XYZ.
http://www.editionsxyz.com/auteur/80.html