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jeudi 10 avril 2008

Allen Côté effectue un retour après dix ans

Dix ans après «La ruelle au fond du cœur», Allen Côté revient avec «La société du campus», un roman qui nous entraîne dans le monde universitaire même si les enseignants et les matières académiques y prennent fort peu de place. Les personnages gravitent autour d’un bistrot où les étudiants aiment refaire le monde. La vie va dans toutes les directions quand on a vingt ans. Il faut tant de choses avant de s’installer et se laisser porter par l’amour et les passions.

Myriam, Joanna, Émile, Vincent, Yanic fréquentent les mêmes lieux et cherchent, chacun à leur façon, un peu d’espace pour oublier un passé étouffant. Yanic se remet mal du départ d’Yseult. Il dérive, parle pour engourdir son mal et partage un vaste appartement, rue des Croquemitaines, avec Émile et Vincent.
Émile vient de quitter sa petite ville de région pour étudier en théâtre. Comment ne pas reconnaître Chicoutimi dans Tremblebourg? Myriam, étudiante en psychologie, y est née également. Joanna travaille comme escorte et baise juste ce qu’il faut avec ses réguliers. Elle aime Vincent, un hockeyeur de haut niveau et s’égare dans la rédaction de son mémoire.
«Oui, je ferai ma maîtrise et j’ouvrirai mon cabinet de consultante en sexologie. J’aiderai les couples à trouver l’harmonie dans leur vie sexuelle et je leur paverai la route du bonheur. Ainsi, je serai contente de moi et le soir, je fermerai les yeux en étant certaine d’avoir rendu des gens heureux. Pour l’instant, je ferme les yeux en sachant que le plaisir que je procure est purement érotique. C’est une fragrance passagère qui n’enlève rien au mal de vivre et au manque d’estime de soi qu’ont les clients même s’ils sont souvent des gens très importants.» (p.16)

Enfance

Tous tentent de guérir une blessure profonde qui vient de l’enfance; tous ont connu une forme d’abandon et de rejet qui les fait claudiquer. Surtout Myriam! Elle plonge souvent dans des colères qui laissent ses proches pantois. Elle fuit les garçons, arrive difficilement à établir des liens avec les autres. Heureusement, il y a Joanna au grand cœur.
«J’ai vingt et un ans, bientôt vingt-deux, et tous les espoirs me sont permis. Oui, il y a de la houle et ça me donne des nausées. Je ne sais pas si c’est l’angoisse, mais il m’arrive parfois de penser perdre pied et mourir. J’ai peur d’être engloutie par un maelström de larmes. Je me laisse aller et meurs doucement en croyant rejoindre maman. Mais quelque chose me retient à la vie. Un beau jour, je découvrirai peut-être ce que c’est.» (p.47)

Monologue intérieur

«La société du campus» se présente comme un éloge à l’amitié, à ces liens qui font que jamais quelqu’un est condamné à n’être qu’un navigateur solitaire dans la vie. Myriam apprivoisera son demi-frère Émile et se réconciliera plus ou moins avec sa mère biologique. Joanna abandonnera sa vie d’escorte pour vivre avec Vincent. Même Yanic trouvera un sens à sa vie en travaillant dans un nouveau bistrot. Il faut des groupes, des alliances pour survivre dans une époque qui s’effrite et ne trouve plus aucune certitude.
«Une mascarade dans un cirque burlesque. C’est un peu ça, l’Amérique, un cirque burlesque. Et plus on consomme, plus on se sent en situation de pouvoir. On ne prend plus le temps de se faire une idée de l’essentiel. Nous sommes emportés par une vague et nous flottons dans un chambardement de valeurs, sans plus distinguer le bien du mal, le réel du faux.» (p.64)
Chacun prend la parole dans cette quête d’identité. Il en résulte des monologues fort peu personnalisés, même si le locuteur change. L’écriture reste neutre, un peu terne. Comme si chacun devait prendre du recul pour saisir sa vie et la direction qu’il entend emprunter.
Un plaidoyer discret pour la compréhension et l’acceptation en ces temps d’accommodations raisonnables. Allen Côté semble croire que les jeunes de vingt ans vivent spontanément l’ouverture et l’entraide. Ils ignorent les jugements, les anathèmes et parviennent à esquisser une société inclusive, permissive et plus tolérante.

«La société du campus» d’Allen Côté est publié chez VLB Éditeur.

jeudi 3 avril 2008

Katia Belkhodja enchante à son premier roman

 Parfois, on reste étourdi, incapable de trouver les mots en refermant un livre. Les phrases se défilent. C’est ce qui m’est arrivé avec «La peau des doigts» de Katia Belkhodja, une écrivaine née en Algérie.
Je suis devenu frénétique, moi qui souligne au marqueur jaune les passages que j’apprécie de mes lectures. Un peu plus et toutes les pages de Belkhodja devenaient un parterre de printemps engorgé de nouveaux pissenlits.
«Je t’ai reconnue à cause de tes boucles, sur l’esplanade de la Place-des-Arts. Il ne pleuvait pas. Il ne faisait pas, non plus, tout à fait beau. Pas vraiment. La moitié du ciel en nuages, sentinelles de lumières et d’ombres. Je me suis dit, comme ça : les nuages nous surveillent, avec dedans le visage des oubliés.» (p.9)
Un feu, une présence, une manière qui envoûte. Du début à la fin.

Nomades

Celia a quitté l’Algérie pour rejoindre un jeune homme à Paris. Un amoureux qui sentait le noisetier et avec qui elle a fait l’amour une seule fois.
«D’abord les lèvres, et puis les vêtements qui s’enlèvent et qui glissent, les robes et les sarouals, les jupons, les ceintures, les foulards, les bijoux, et il ne reste plus que la peau pour habiller le corps. Il ne reste que soi. Et l’autre, en face, si terriblement différent et si semblable. Et ils se fabriquent des soupirs. Explorations interrompues, tâtonnantes, cambrures, courbures d’amour et de douceur et le moment où il n’y a plus rien à explorer de là, aussi, le moment où il entre où c’est la première fois.» (p.17)
Paris et Montréal plus tard. Et cet amoureux qu’elle ne retrace jamais. Toute l’histoire devient une quête, de multiples errances. Impossible de trouver un lieu où il est possible de calmer cette frénésie. Des rencontres étonnantes, des amours qui soufflent l’âme et le corps, des folies qui poussent les jumeaux Gan, un autiste et Fril, le peintre, ou Dona à partir sans jamais se retourner. Ils sont des migrants de l’âme. Ils marchent sur une lame de rasoir, oscillants entre la folie et la lucidité; ils vont, transis, illuminés, trouvant un peu d’apaisement dans ce mouvement. Ils fuient, ne trouvent jamais, qu’importe.

Envoûtement

Katia Belkhodja entraîne le lecteur dans une ronde fantastique, avec, comme des oasis ici et là, où il est possible de reprendre son souffle. Et cette écriture qui envoûte telle une phrase de Marguerite Yourcenar qui obsède Gan.
«Attendre Marguerite Yourcenar, comme ça, en deux mille cinq, la femme prophète. Viens et libère-nous du non-sens. Et éloigne Beckett comme un diable en boîte. Je n’ai même jamais su ce qu’elle écrit, Marguerite Yourcenar. (Non, pas ce qu’elle a écrit : il paraît qu’on écrit toujours au présent, même ce qu’on a déjà écrit. Je ne savais pas, un poète me l’a dit au détour d’un chemin, il y a longtemps, avant de ne plus m’aimer. Mes amours toujours au présent, même ce qu’on a déjà aimé. Même quand on a arrêté d’écrire, arrêté d’aimer.)» (p.32)
Et dire que Katia Belkhodja a vingt ans, qu’elle est étudiante en littérature, qu’elle présente une œuvre formidable à sa première tentative. Une véritable magie emporte ce roman et les personnages.
«Et elle prend dans sa main très vieille et puis toute brune, sa main avec des taches, lézardée comme un mur, la peinture qui s’écaille, sa main, la peau comme de l’art abstrait. Elle prend la main de la cousine, Celia. Elle retourne sa main et sur chacun des doigts, pulpes brûlées, la peau. Chacun à tour de rôle posé sur sa bouche. Crevassée, ramassée, rentrée, tirée vers l’intérieur. Celia embrasse Celia, lui dit : toi non plus, tu ne seras jamais un saumon.» (p.92) 
Katia Belkhodja nous pousse à la limite de l’apnée. Ça sent le sable, la peau gorgée de miel, le soleil, le bleu du ciel si cela se peut. Tous les personnages se croisent, se perdent et se retrouvent dans une incroyable pérégrination. Ils s’aiment, se blessent, n’arrivent pas à calmer la douleur qui les possède. Des pages étonnantes de beauté, une écriture très singulière. Un enchantement. Une belle découverte.

«La peau des doigts» de Katia Belkhodja est publié chez XYZ Éditeur.

Une maison livre grands et petits secrets

Lise Bissonnette voulait une manière de chalet en ville, un lieu où elle pourrait se retirer, faire venir les mots et les phrases.
Au cours d’une promenade, il y a eu un regard sur une petite maison bleue abandonnée dans la neige. C’était près de la rivière des Prairies, du rapide du Gros-Sault. Deux mondes venaient de se heurter. Achat, rêves, projets, discussion avec l’architecte Pierre Thibault. Le refuge deviendra une maison qui accueillera tous les livres que Lise Bissonnette et Godefroy Cardinal collectionnent avec passion. Le présent et l’histoire se souriaient.
Lise Bissonnette a rapidement voulu tout savoir de cette maison construite par Pierre Gagnon et Marguerite Corbeille en 1811. Une demeure plus que modeste occupée par les descendants du couple jusqu’à une époque récente. Il n’en fallait pas plus pour plonger dans l’histoire de cette famille et les suivre sur presque deux siècles. C’était aussi faire revivre ce coin de pays. Moulin à farine et tailleurs de pierre, cageux et petits ouvriers se côtoyaient. Les Gagnon se sont débrouillés comme tous les Québécois peu lettrés de l’époque. Ce pourrait être le vécu de bien des familles.

Architecture

Regard aussi sur l’architecture et évocation de ces maisons défigurées par les vendeurs de matériaux. Pierre Thibault, l’architecte, a dû concilier passé et présent dans cette aventure.
«Cette maison aurait dû mourir. Au cours des grands massacres des années cinquante et soixante, quand le maire Jean Drapeau se fait fièrement le destructeur en chef des plus beaux bâtis de Montréal, quand la partie nord de l’île, dernière frontière, perd ses champs et chalets aux bungalows en rangée d’une génération d’enfants de locataires qui découvrent l’accès à la propriété, le quartier Bordeaux n’échappe pas aux tronçonneuses, niveleuses et autres machines. Les curés ouvrent eux-mêmes la marche, avec zèle.» (p.51)
Rénovations sauvages et démolitions ont marqué l’histoire du Québec Cette maison qui a résisté au temps par miracle devient le legs de la famille Gagnon au Québec contemporain.

Amour et parfum

Pour la fin, madame Bissonnette a imaginé une discussion entre Balzac et Théodore Banville. Une histoire d’amour et de parfum qui tourne autour de la flouve, ce foin d’odeur qui pousse comme du chiendent au Québec. Pourquoi pas! Ce projet, après tout, s’est échafaudé autour des livres. La petite maison bleue avait bien droit à sa fiction.
Édition soignée, très belles photos agrémentées de plans et de dessins. Véritable hommage à l’architecture et plaidoyer pour ces demeures modestes qui retiennent l’attention de bien peu de gens. Un bonheur pour ceux qui aiment l’histoire, l’architecture et les maisons.

«La flouve, le parfum de Balzac» de Lise Bissonnette est paru aux Éditions Hurtubise.

mercredi 26 mars 2008

«Mademoiselle Personne», un beau roman

Marie-Christine Bernard entrait en littérature en 2005 avec «Monsieur Julot». Ce récit où elle racontait sa lutte contre le cancer a remporté le prix Abitibi-Consolidated du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
L’auteure se permettait une incursion dans l’érotisme peu après sous le nom de Marie Navarre, avant de se tourner vers la littérature jeunesse. «Les Mésaventures de Grosspafine» raflait le prix Jovette-Bernier en 2007. Un ouvrage plein d’humour.
Et voici «Mademoiselle Personne», une histoire d’amour et de passion qui se situe quelque part en Gaspésie, au bord de la mer ou du fleuve qui a vu naître l‘auteure. Céleste a eu la polio enfant. Elle en garde une démarche «houleuse» qui attire les hommes comme les flammes les papillons. Elle flotte sur le monde, se montre sans partage et capable de tout pour vivre l‘amour. Trois hommes se brûleront en l‘approchant. Comme si une malédiction s’accrochait aux frémissements de sa robe blanche.

Tour de force

Les personnages de Marie-Christine Bernard donnent leur version des faits tour à tour. Une forme de déposition pour cerner une vérité fuyante, expliquer leur rôle dans une histoire de violence et de passions aveugles.
«Chaque personne a son histoire. Chaque histoire se déroule toute seule dans le temps, petit fil ondulant dans le vide sidéral. Parfois les fils se croisent et tissent un bout de trame. Puis ils repartent, chacun dans sa direction. Ainsi se tricote la grande toile de la vie. Fascinant, n’est-ce pas ? C’est à partir de cette idée que j’ai écrit tous mes romans. J’ai toujours en tête cette image de motif dans le tissu. Lignes, couleurs, textures.» (p.19)
La romancière emprunte la forme de l’oralité comme dans «Monsieur Julot». Julien, le dernier amant, Will le capitaine perdu en mer, Émile l’éternel prétendant et Céleste, qui termine le récit comme il se doit, apportent leurs tics et leur façon de dire. Surtout, ils présentent leur version d’une histoire qui sort de la banalité. Ce n’est pas sans rappeler «Les fous de Bassan» d’Anne Hébert où les personnages prenaient la parole pour faire découvrir une facette de l‘histoire.
Le défi est grand. Le lecteur emprunte plusieurs fois le même sentier et la narration doit coller au personnage. Un ton, une parole singulière doivent retenir le lecteur et lui donner envie de continuer. Un défi d’écriture que Marie-Christine Bernard relève magnifiquement. Le puzzle se complète et à chaque témoignage nous faisons un pas vers ce drame qui a brisé Céleste.

Mademoiselle Personne

Figure exceptionnelle que Céleste, une femme qui se rebaptise Mademoiselle Personne parce qu’elle n‘existe plus depuis que Will, son amant, est disparu en mer. Un personnage qui pourrait facilement envahir le grand écran. Il a toutes les caractéristiques pour séduire le lecteur comme le cinéphile.
Et quelle façon de renouveler le langage de l’amour et de la passion. On se surprend à revenir sur sa lecture pour savourer chaque mot de ces moments brûlants comme des tisons.
«L’ombre la suivait d’un pas, comme de raison. Mais je ne l’ai pas vue entrer à la suite de l’autre. Je ne voyais plus rien. Comme lorsqu’on pénètre dans une pièce un peu sombre après avoir passé l’après-midi dehors en plein soleil, au mois de janvier. Le mot, c’est ébloui. Mais ce n’est pas assez pour justifier ce qui s’est passé par la suite. En fait, j’étais brûlé. Les yeux brûlés jusqu’à l’âme. Et je n’avais pas encore vu ses yeux, à elle. Juste une esquisse d’elle, avec sa petite robe blanche et ses cheveux tout ébouriffés qui lui faisaient une auréole pailletée d’or. Son mouvement vif et langoureux à la fois. Sa fuite de petite bête furtive.» (p.120)
Le lecteur est envoûté par cette Céleste qui attend pendant toute une vie, face à la mer qu’elle insulte ou cajole selon les pulsions du jour. Comment ne pas songer à Noël Audet et «L’ombre de l’épervier», cet autre grand roman de la Gaspésie qui a donné une télésérie inoubliable. La présence amérindienne, comme un chant, accompagne Céleste et l‘enrobe de mystères, donne une dimension incantatoire et mythique à ce roman troublant.
Avec «Mademoiselle Personne», Marie-Christine Bernard s’impose comme une écrivaine importante pour notre plus grand bonheur.

«Mademoiselle Personne» de Marie-Christine Bernard est publié chez Hurtubise HMH.

jeudi 20 mars 2008

Zhimei Zhang est une véritable héroïne

Alexandre Soljenitsyne secouait le monde, en 1962, avec «Une journée d’Yvan Denissovitch». Peut-être le premier ouvrage à montrer le visage de la dictature communiste. Il devait continuer son travail de témoin dans «Le pavillon des cancéreux».
Paul Bussières, un écrivain originaire de Normandin, dans «Olympia de la Havanne» démonte la mécanique du régime cubain où l’individualisme s’efface devant un État collectiviste. Une société où la délation et les pires trahisons permettent de s’approcher du pouvoir.
Encore aujourd’hui on cherche ses mots devant un témoignage comme celui de Zhimei Zhang, une Chinoise qui a vécu le régime de Mao. Ces récits prouvent que l’homme «est parfaitement capable d’être le mal» comme l’écrit Marie-Christine Bernard dans «Mademoiselle Personne». Certains croient que la situation change en Chine avec les échanges commerciaux et les missions économiques. Pourtant, le pays reste un régime totalitaire où la dictature répète les mêmes horreurs. Demandez aux Tibétains!

Libération

Zhimei Zhang était enfant quand Mao a balayé la Chine avec son armée pour «libérer le pays». Le père de la jeune Zhimei, descendant de riches propriétaires, avait étudié au Japon et travaillé pour les envahisseurs, occupant des fonctions importantes dans une banque et au gouvernement. Aux yeux des communistes, il était un traître. La famille Zhang sera persécutée et le père réduit à balayer les rues. Les enfants sont hantés par le passé de la famille. Ils deviendront la cible de fanatiques qui succèdent aux fanatiques en s’imposant par la violence et les pires outrances.
«J’avais bien essayé d’entrer dans le moule, d’arrondir mes angles, de confesser mes pensées les plus secrètes, j’avais fait des choses qui allaient à l’encontre de ma conscience et de ma personnalité afin de démontrer ma loyauté au système. Qu’y avais-je donc gagné? J’étais malgré tout toujours une paria à l’intérieur de ma propre culture : une femme divorcée qui avait des amis étrangers et de mauvais antécédents familiaux. Je ne serais jamais acceptée et mes enfants seraient également stigmatisés. Il m’avait fallu vingt ans de ma vie pour comprendre cela.» (p.11)
Ce terrible étouffement Zhimei Zhang le raconte avec sobriété dans «Ma vie en rouge». Un combat de tous les instants, une crainte qui marque chaque geste et chaque parole. Dans un tel environnement, le père, la mère, les enfants, le mari peuvent devenir des témoins qui prouvent que vous êtes un traître.
«Un professeur d’anglais fut incarcéré parce qu’à la maternelle, son garçon de cinq ans avait été surpris à dire que l’ancien chef d’État Liu Shaoqi était une bonne personne. Il fut accusé d’avoir enseigné à dire cela à son fils. Un professeur de science politique fut écroué pour une note griffonnée dans un livre à propos du jeune Mao. Le texte disait que Mao était un lecteur vorace. Il avait ajouté dans la marge: «Moi aussi!» Il fut puni pour avoir osé se comparer au Grand Timonier.» (p.180)

Volonté

Il est assez étonnant de voir comment l’État chinois a réussi à mobiliser des hommes et des femmes dans des campagnes ineptes. Une façon de trouver des suspects ou d’identifier les têtes fortes? Les absurdités succèdent aux aberrations.
«Une campagne pour nettoyer les villes infestées de vermine devint une véritable passion nationale durant l’été 1958. Puisqu’elle était la capitale, on s’attendait à ce que Pékin fût un exemple pour le pays. «À bas les quatre nuisibles!» disait le slogan du jour. Les moineaux, les rats, les mouches et les moustiques m’aidèrent à naviguer vers le prochain test de loyauté demandé par le parti.» (p.94)
Interrogations, flagellations, déportations dans les campagnes, travail physique dans des conditions incroyables pour «se rééduquer» auprès de paysans qui n’y comprennent rien, ne la casseront pas. Malgré les pires sévices, Madame Zhang n’oublie jamais son désir de liberté et d’avoir une vie personnelle. Ce que le régime de Mao ne permet d’aucune façon.
À cinquante ans, elle a réussi à émigrer au Canada pour tout recommencer et se refaire une vie. Une femme exceptionnelle qu’il faut saluer pour son courage et sa vie de combattante.

«Ma vie en rouge» de Zhimei Zhang est publié chez VLB Éditeur
http://www.edvlb.com/zhimei-zhang/auteur/zhan1003

jeudi 6 mars 2008

Noah Richler ressasse ses rancunes

Selon l’essayiste Noah Richler, dans «Mon pays, c’est un roman», pour qu’un lieu existe, il faut des mots et des fictions pour en dessiner la carte.
«Un lieu n’est qu’un paysage jusqu’au jour où des récits lui donnent vie et lui confèrent son identité – ou, pour reprendre une expression dans le vent, sa psychogéographie. La somme des histoires consacrées à un paysage donné ou racontées à partir de celui-ci crée l’impression d’un lieu qui n’existe que dans l’imagination, mais fonctionne à la manière d’une carte, car les lieux sont aussi réels que les personnes, même s’ils sont sans voix.» (p.21)
Richler a enquêté à Iqaluit, Calgary, Saskatoon et Saint-John de Terre-Neuve, visité «les pays du Canada» pour rencontrer des écrivains, des autochtones, des migrants récemment arrivés ou les descendants des fondateurs qui cernent le pays en écrivant. Il tente de déterrer des mythes fondateurs, rôde autour des explorateurs Knud Rasmussen et John Franklin pour expliquer la pensée des Canadiens, leur manière de concevoir la réalité et de l’appréhender.
Les regards changent selon le lieu de naissance. Un Inuit ne pense pas l’univers comme Lisa Moore de Terre-Neuve ou Margaret Atwood. Des différences, mais aussi des constances.

Le Québec

Tout se gâte quand Noah Richler débarque à Trois-Pistoles pour rencontrer Victor-Lévy Beaulieu et ses sept chiens. Pourtant le romancier et l’essayiste partagent un même regard sur la société et le rôle de l’écrivain.
«Jacques Ferron, affirme VLB, a résumé la question du lieu en une phrase. Il a dit: «En écrivant, je dessine la géographie de mon pays.» Je trouve la formule fantastique. Ce que Ferron veut dire, c’est que pour la dessiner, il faut d’abord la connaître. Et pour connaître la géographie de son pays, il ne suffit pas de connaître son histoire. Il faut la vivre à travers les gens qui l’ont déjà vue.» (p.372)
Si de tels propos sont acceptables à Victoria, Winnipeg ou Vancouver, ce n’est plus le cas à Trois-Pistoles. Serait-ce que «les concepts» changent selon les régions du pays ou la langue qui les formule? Les oeillères de Noah Richler s’étirent alors.
Victor-Lévy Beaulieu, malgré ses provocations et ses outrances, demeure un écrivain totalement ancré dans sa société et préoccupé par son avenir. Richler le ridiculise, gauchit les propos des jeunes écrivains qui, visiblement, n’ont pas lu le patriarche de Trois-Pistoles. Guillaume Vigneault, Nadine Bismuth et Mauricio Segura semblent plutôt mal à l’aise devant l’insistance du Grand inquisiteur.
Richler ressasse des clichés sur le passé antisémite des Québécois, les propos de Victor-Lévy Beaulieu sur les jeunes écrivains ou Michel Tremblay et ses hésitations devant la nécessité de la souveraineté. Le fils Richler semble avoir mal digéré son enfance montréalaise.
«À cette époque-là, mon père, le romancier et essayiste Mordecai Richler, a été le seul artiste canadien ou presque à oser s’attaquer aux séparatistes et à leur vision étroite. Son combat pour une société plus démocratique et plus tolérante lui a valu des attaques brutales. À cette époque-là, le simple fait de commander un «espresso» plutôt qu’un «express » était interprété comme une provocation.» (p.376)
Il oublie de rappeler les injures et les comparaisons humiliantes que son père secouait pour peindre les Québécoises.

Dommage

Si l’avenir du Canada passe par le dialogue, il faudra d’autres interlocuteurs que Noah Richler pour inventer un débat. Et les souverainistes ne sont pas ces fanatiques qui puisent leurs idées dans les textes de Lénine. Ridicule, pour ne pas dire stupide.
Dommage! «Mon pays, c’est un roman» donne le goût de lire plusieurs romanciers moins connus par les Québécois. Les considérations de l’auteur sur le Québec et les indépendantistes gâchent cet essai remarquable. Encore une fois, on constate que les «deux solitudes» sont bien vivantes au Canada. Pourquoi des discours de tolérance valent pour l’ensemble du Canada, mais pas pour les Québécois qui ne partagent pas le rêve d’un pays qui hésite «d’un océan à l’autre».

«Mon pays, c’est un roman» de Noah Richler est paru aux Éditions du Boréal.