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jeudi 12 avril 2007

Ronald Larocque explore le merveilleux


Ronald Larocque a publié des nouvelles et enseigne la littérature au cégep de Saint-Hyacinthe. «L’homme qui lisait dans les mamelons et autres contes de l’émotion» est constitué d’une quinzaine de textes où l’imaginaire et la poésie se taillent un bel espace.
Un écrivain qu’aucune frontière ne semble vouloir arrêter et qui se grise des mots et des images que le lecteur voit s’épanouir comme de minuscules fleurs qui distillent la couleur. Elles éclatent avec les rires, étonnent et réchauffent l’âme. Une belle originalité.
Et si l’amour et la vie sont plus souvent qu’autrement au rendez-vous, la mort ne s’éloigne guère. Elle est là, brutale, impitoyable dans «Voler» ou «Cristalliser».

Réussite

Signalons «La femme aux pieds froids», certainement le texte le plus achevé et le plus évocateur du recueil.
«C’est une histoire qui prend racine dans les montagnes de l’Équateur et qui pousse à travers la terre pierreuse et noire d’un petit village quechua, pour ensuite venir fébrilement fleurir dans le cœur vivant de la modeste demeure de bois d’Antonio et d’Izarra. Ce village quechua, il se trouve du côté d’Otavalo et d’Ibarra, tout près de cette ligne fort imaginaire qui essaie de toute sa bonne volonté de séparer le monde en deux parties égales et de donner, dans la vie comme sur les cartes géographiques, un haut et un bas à l’Amérique et au monde.» (p.21)
Ajoutons «Le conte de la goutte» où il crée une belle magie avec le cycle naturel de l’eau. Signalons enfin «L’homme qui lisait dans les mamelons» et «Bouba» dont la finale est un peu faible. Un peu le problème de plusieurs textes qui manquent d’élan pour nous laisser sur le bout de notre chaise. Un quiproquo un peu facile aussi dans «Dilemme».
 
Oralité

Ronald Larocque fréquente le conte depuis des années. J’hésite à utiliser le terme parce que Larocque se tient plus du côté de la «littérature écrite» dans ce recueil de la très belle collection «Paroles» de Planète rebelle que de l’orature.
Il travaille plus comme un comédien qui mémorise ses textes, s’amuse avec des sonorités et des allitérations qu’il force un peu. Heureusement, il réussit à retenir ses élans la plupart du temps.
Reste qu’à l’écoute, l’auditeur perd la magie qui habite ses écrits les plus réussis. Le conte a d’autres exigences, il me semble, et ce que nous apprécions à la lecture, a du mal à se faufiler jusqu’à l’oreille pour la caresser et la chatouiller.

«L’homme qui lisait dans les mamelons et autres contes de l’émotion» de Ronald Larocque est paru aux Éditions Planète rebelle.

http://www.planeterebelle.qc.ca/auteurs/larocque-ronald

jeudi 5 avril 2007

Une histoire de passion amoureuse

Certains événements peuvent échapper à la conscience. Il suffit d’un choc, d’un traumatisme ou d’une émotion extrême pour qu’un trou noir vrille la mémoire. Une trop forte douleur peut, en quelque sorte, masquer une partie du vécu même si la «victime» continue de vaquer à ses occupations. Comme si toute une couche de souvenirs s’effaçait. Pourtant, ces faits subsistent dans les méandres du cerveau et peuvent être ramenés à la conscience.
Carole Massé, dans «Secrets et pardons», entraîne le lecteur dans une histoire de passion amoureuse. Alice et Jude, à l’instar de Roméo et Juliette, s’aiment dès la plus tendre enfance. Ce sont des inséparables, des êtres qui ne peuvent que s’aimer. Et, comme chez Shakespeare, la vie les sépare même si les classes sociales, dans les années 1885 à Montréal, sont moins hermétiques que chez les Capulet et les Montaigu.
Jude est pauvre, fils de couturière, tandis qu’Alice est fille d’un avocat qui joue au seigneur et dirige ses domestiques d’une main de fer. Il se targue de constituer la petite élite qui émerge à Montréal en cette fin du XIXe siècle.

Trou de mémoire

Les parents, tout comme les domestiques, n’apprécient guère cette connivence entre des adolescents qui s’attirent comme des aimants.
Et quand la passion devient physique, connue de tous, le jeune homme est chassé. Après une sévère correction, Alice se retrouve au pensionnat où elle veut mourir. Frappée par une forme d’amnésie globale transitoire, elle oublie Jude, épouse un marchand plus vieux qu’elle et se plaît à effectuer des observations scientifiques dans ses loisirs. Personne ne veut lui rappeler cet amour de jeunesse.
Quelques années plus tard, Jude rentre d’un long périple aux États-Unis. Il croit qu’Alice l’a trahi et maîtrise mal sa rancune. Il a beau se noyer dans la violence et s’épuiser dans son travail de sculpteur, il n’arrive pas à l’oublier dans les bras de Marie. Le hasard les met en contact et Alice, femme mariée et mère de famille, est perturbée.
En suivant des cours de peinture, Alice voit des formes surgir sur sa toile, retrouve peu à peu sa mémoire, un amour qui flambe à nouveau.
«Alice n’écoute pas et revient à sa toile. Dans un geste rapide et nerveux, elle agrandit le point noir, puis termine le feuillage. En examinant ce qu’elle vient de faire, elle doit reconnaître que sa touche est plus vibrante et énergique qu’avant, même que la ramure a acquis du volume. Tout à coup, elle tressaille, n’en croit pas ses yeux ! Ce point au centre, la « prunelle », comme elle l’appelle, mais… c’est un tronc d’arbre ! Elle le voit ! Elle le voit avec netteté!» (p.268)

Modernité

Le lecteur avance en aveugle dans ce roman de fin de siècle qui annonce la modernité et l’éveil des francophones de Montréal. Carole Massé navigue entre des courants de pensée qui s’affirment, les idées des Patriotes qui n’ont pas été oubliées. Une petite bourgeoisie naît, certains individus se distinguent à force de talent et de travail. Plusieurs professions éloignent aussi du travail de la terre et de la domesticité. La culture, l’éducation et les arts permettent d’esquisser le profil d’une nation, d’une collectivité qui doit assumer son passé pour se tourner avec confiance vers l’avenir. Il y a aussi des Arthur Roy, l’époux d’Alice, qui sacrifie tout pour s’infiltrer dans le monde anglophone de la haute finance.
L’écrivaine brosse une véritable fresque de la société montréalaise de la fin du XIXe siècle, déploie son histoire par petites touches, ramène Jude et Alice l’un vers l’autre dans une toile qui se précise peu à peu. Le lecteur vit l’histoire de Roméo et Juliette à rebours. Ce travail minutieux happe le lecteur même si, au début, il se sent un peu perdu. «Les amants de Montréal» nous plongent dans un monde fascinant.
Une langue soignée, minutieuse et riche permet de savourer ce voyage au pays de l’amour et de la mémoire, de plonger dans une ville étonnamment moderne et contemporaine.

«Secrets et pardons» de Carole Massé est publié chez VLB Éditeur.

dimanche 1 avril 2007

Ces jeunes abandonnés à la violence des villes

Pascal Millet a sans doute été marqué par la violence qui a éclaté dans les banlieues de Paris. Une folie qui se manifestait dans les rues, faisait flamber les voitures et fracassait toutes les vitrines. Une rage irrationnelle, le symptôme d’un malaise beaucoup plus fort et prenant.
Il faut un certain temps avant de comprendre où se situe ce roman, où les personnages évoluent et circulent. Ce pourrait être dans toutes les grandes villes du monde, y compris Montréal. Deux garçons, Pierrot l’ainé et Julien le plus jeune, découvrent le corps de leur mère en revenant de l’école. Seule, abandonnée par son mari, mère de deux garçons turbulents et délinquants sur les bords, elle n’en peut plus. Surtout qu’elle venait d’apprendre qu’elle était larguée par une rationalisation qui se traduit toujours par des congédiements et encore plus de pauvreté.
Elle s’est pendue. Les deux garçons décrochent le corps de leur mère et décident de partir. Pierrot est imbibé des images de la télévision, des films où l’on présente l’Amérique mythique, fabuleuse où chacun des arrivants peut devenir un héros en se mesurant aux Indiens ou en adoptant la façon de vivre de ces êtres libres. Des images véhiculées par le cinéma américain, faisant de John Wayne un héros sans peur et sans reproche, capable de tuer froidement, sans sourciller. On sait où cette projection nous a mené en Afghanistan et en Irak.

La cavale

Les deux frères ramassent tout ce qu’ils peuvent trouver d’argent, passent faire la peau à un truand pour en avoir encore un peu plus et ils partent. Il faut rejoindre la mer, trouver un grand bateau blanc qui les mènera vers la vraie vie en Amérique où il est possible de devenir un héros en tournant la tête.
Pierrot, le plus vieux, est poussé par une violence terrible qui lui permet de tuer comme les héros dans les films sans sourciller. Julien, le plus jeune, s’ennuie de sa mère, trimbale un zeste d’humanité qui fait qu’il s’attache un chien errant.
Les deux rencontres des clochards, des sans-abris, des truands, des garçons qui vivent de rapines, se faufilent, échappent aux filets de la société qui veut que des garçons de cet âge doivent se trouver à l’école.
Ils approcheront de la mer, ils verront la mer mais pas le grand bateau blanc qui les pousserait vers le rêve et la liberté. Pierrot ne s’en sortira pas et Julien se retrouve comme soulagé d’être rattrapé par la société et pris en charge. Il n’en peut plus de cette vie d’errance, de violence, de morts où il faut toujours être le plus fort.

Conte

Pascal Millet nous entraîne dans une sorte de conte où la violence pousse les personnages dans une démence que la société semble entretenir et peaufiner je dirais dans sa façon de se comporter et de vivre.
Cette société qui relègue ceux et celles qui n’ont pas le pas de l’économie dans des ghettos où ils n’ont que la force et la violence pour survivre.
Un texte d’une dureté et d’une beauté fascinante, d’une humanité qui crie à chaque page. Millet réussit à nous présenter un problème actuel par le regard halluciné de deux jeunes garçons qui doivent se réfugier dans le fantasme et user de violence pour survivre. Nous faisons face à tous les ostracismes de la société, à ces rejets, ces refus, ces protections qui font que des gens sont parqués dans des ghettos et des banlieues pour ne pas déranger la bonne conscience des possédants. De quoi remettre en question bien des certitudes et nous pousser au bord du tolérable et de l’acceptable. Millet réussit cet exploit en suivant simplement deux garçons abandonnés du monde et de la société. Les images demeurent en nous longtemps après avoir lu la dernière phrase.

«L’Iroquois» de Pascal Millet a été publié chez XYZ Éditeur.

Un portrait de la société plutôt troublant

Sylvain Trudel, l’auteur de l’incomparable «Le souffle de l’Harmattan», ne cesse de s’attarder à la condition humaine, de  tourner autour de ces jeunes qui sont de plus en plus perdu dans une société qui perd ses balises, transforment les humains en des consommateurs frénétiques.
Le lecteur qui va s’aventurer dans «La mer de la tranquillité» ne sortira guère rassuré sur l’avenir du monde. Dans ces nouvelles dures, aiguisées comme des lames de rasoir, l’écrivain s’attarde aux largués de la société, à ceux et celles qui hantent les rues de Montréal, n’ont pas de lieu pour s’arrêter, se reposer et sourire tout simplement.
Ces itinérants tentent de trouver l’espoir au bout de la ruelle, une manière de se rassurer. Ils hésitent entre l’utopie, le désir de convertir et de changer la société, de se sacrifier pour le meilleur des mondes ou encore ils fixent une tache sombre sur le ciment, près du pont Jacques-Cartier d’où un désespéré s’est jeté. Un garçon qui en plongeant vers la mort, est devenu quelqu’un qu’on regardait, qu’on voyait. Il s’est peut-être senti exister alors.
Un errant, dans un parc, écoute un homme qui a toute sa vie derrière et qui ne trouve plus de raison de continuer. Une nouvelle troublante que celle de «La mer de la tranquillité» qui coiffe l’ensemble du recueil. Comme si l’incertitude, la peur, l’angoisse de vivre se rejoignaient dans la vieillesse et la jeunesse.

Troublant

On ne cesse de le répéter. Les jeunes ont de plus en plus de difficulté à se faire une place dans la société moderne. Sylvain Trudel en est bien conscient et semble croire que ce n’est facile pour personne, même pour ceux et celles qui se sont conformés à toutes les règles. L’époque contemporaine a comme bouché tous les horizons. Il n’y a plus d’élan qui fait croire en demain avec la pollution, le réchauffement de la planète et l’épuisement des ressources.
Ce petit livre pourrait servir d’introduction à bien des discussions dans les collèges, motiver des jeunes à discuter et à tenter de repenser le monde. Ils sont dix millions semblent-ils à le faire dans des ONG, à se parler, à discuter, à inventer des manières de faire du commerce équitable, à croire avec Laure Waridel que mettre un sac de café dans son panier est un geste politique.
Les personnages de Sylvain Trudel n’en sont pas là. Ils cherchent une direction dans la vie, un trottoir où ils peuvent avancer sans se heurter à des murs. C’est peut-être ce qu’il y a de pire : la perte de sens, de croyances, cette douleur de vivre et la hantise de la mort. Parce que se gaver de marchandises fabriquées au plus bas prix en exploitant les enfants, est aussi une forme de mort et de suicide.
Des nouvelles écrites dans une langue superbe. Sylvain Trudel reste incroyablement efficace et pertinent.


«La mer de la tranquillité» de Sylvain Trudel est publié chez Les Allusifs.

Paul Auster est un écrivain fascinant


Paul Auster nous a habitués aux histoires étranges et à des situations tordues qui nous plongent dans des mondes inconnus. Il aime les bascules, les trappes qui nous permettent de passer d’un univers à l’autre. C’est le nœud de ses nombreux romans. Un personnage fait sa vie et arrive un croisement, un moment qui fait que tout bascule. Comme si le monde était fait de trous qui permettent de passer d’une dimension à une autre.
Il en est ainsi dans la vie, même si le saut n’est pas tout à fait aussi radical. Il peut arriver que quelqu’un heurte un mur, vive une maladie ou une situation qui change complètement sa vie et le plonge dans un autre univers.
Dans sa trilogie new-yorkaise, Paul Auster nous entraîne dans un monde étrange. Il suffit d’un croisement où deux lignes s’emmêlent et son héros se retrouve à la rue, perdu comme un itinérant qui a perdu toutes ses références et qui doit apprendre la vie sauvage des villes. C’est là une constance dans l’œuvre de cet écrivain américain beaucoup plus populaire en France et au Québec que dans son propre pays.
La vie n’est pas une ligne lisse et droite. Il peut arriver que tout change, que tout se modifie. La vie est comme une sculpture qui comprend plusieurs facettes et qui tourne sans que l’on ne sache trop pourquoi.

L’œuvre de fiction

Paul Auster aime bien aussi faire sentir au lecteur qu’il est dans une entreprise d’écriture. Il arrive souvent que le récit prenne la forme d’un roman policier où un personnage enquête sur une autre personne, rédige des rapports. Toute l’intrigue repose sur une entreprise d’écriture. Souvent aussi, le personnage qui enquête se rend compte qu’il est en train de s’épier et de se filer soi-même. Tordu, impossible? Il s’agit d’une allégorie de l’écrivain qui épie son personnage, le suit, le pourchasse, le tient sous observation tout en fouillant dans sa propre vie et dans ses propres comportements pour nourrir son œuvre de fiction.
Encore une fois, «Dans le scriptorium», nous basculons dans un monde étrange. Un homme âgé se retrouve dans une chambre, seul. Il a perdu la mémoire et son nom, Mr. Blank qui signifie blanc en français. Espace blanc comme trou de mémoire. Il ne sait pas pourquoi il est là, ne se souvient d’à peu près rien. Tout ce qu’il dit est enregistré et on photographie le moindre de ses gestes. Nous sommes au cœur d’une œuvre qui est en train de s’écrire, de s’élaborer, de se donner un passé et une sorte d’avenir.
Paul Auster nous enferme dans l’œuvre en cours, se permet de faire agir certains personnages que les familiers de cet écrivain vont reconnaître. Je pense à Anna Blume, Samuel Farr et John Trause. Des personnages qui s’occupent de l’écrivain en quelque sorte, de celui qui a inventé des histoires, qui les a mis au monde pour leur donner une vie à soi. L’écrivain a oublié, tout perdu et ce sont ses personnages qui doivent le nourrir, le dorloter et lui rappeler qui il est. Le titre même du roman est un indice du projet d’écriture. Scriptorium étant l’endroit où les moines écrivaient les manuscrits ou oeuvraient comme copistes dans les monastères. Nous sommes dans le livre avec ses personnages, les manuscrits, le monde tout en blanc qui permet la rédaction et l’écriture.
Un univers étrange, fascinant, très contemporain quand nous voyons les dirigeants de l’État tenter d’inventer une guerre pour motiver la population et garder une cohésion dans le pays. On se croirait dans les jours qui ont précédé l’envahissement de l’Afghanistan par les États-Unis.
Paul Auster réussit à nous inventer une histoire avec à peu près rien. Il crée un mystère avec un personnage qui ne sait plus rien de sa vie et de son passé. Il réussit à glaner ici et là des souvenirs en se frottant à certains personnages qui l’aiment ou le détestent.
Le pire, c’est qu’à partir de ce grand vide, Auster réussit à nous garder, à créer un fil étrange qui nous fait suivre ce personnage, nous plonge dans un monde où il n’arrive rien, où marcher et respirer est la seule action.
C’est peut-être le propre des grands écrivains qui peuvent vous embarquer dans une intrigue en n’ayant que quelques mots, peu d’espace, presque rien. Encore une fois, il boucle le tout et tout recommence à la fin. C’est le propre de l’écriture. Toujours recommencer, toujours refaire le monde, reprendre le même processus et repasser sur les mêmes mots en les modifiant peut-être ou peut-être pas non plus.

«Dans le scriptorium» de Paul Auster est paru chez Actes-Sud-Leméac.

jeudi 29 mars 2007

L’écriture comme méthode d’autodéfense

Depuis le temps, tout le monde le sait. L’écrivain puise dans sa vie et éventre souvent des secrets de famille. Pour se disculper, il confie le tout à des personnages et maquille son histoire en se drapant d’une fausse neutralité. «Il faut tout dire en littérature», répète Victor-Lévy Beaulieu après avoir chipé la sentence à James Joyce.
Certains romanciers refusent cette mascarade en pratiquant l’autofiction. Cette appellation donne un vernis de modernité à une entreprise plutôt ancienne. Le lecteur croit alors plonger dans l’intimité de l’écrivain qui devient le personnage. Un genre risqué puisque le public confond auteur et héros de fiction dans la vie de tous les jours.
Christine Angot, en France, est allée loin dans cette démarche en se complaisant dans ses romans à multiplier les prouesses sexuelles réelles ou inventées. Elle prenait la succession d’Henry Miller et, jusqu’à un certain point, de Marcel Proust. Que dire aussi de Jack Kerouac!

Une quête

Au Québec, plusieurs écrivains ont emprunté cette route avec plus ou moins de bonheur. Marie-Sissi Labrèche s’avère une exception. Ses premiers romans, «Borderline» et «La Brèche», montrent un désarroi, une quête d’attention qui passe par une sexualité débridée. Il s’en dégage une fragilité émotionnelle où l’écrivaine se propulse à la frontière d’une frénésie qui risque de l’avaler. Elle a senti ce danger et dans ce troisième ouvrage, elle tente de prendre un certain recul pour affronter l’univers qui la tourmente depuis ses premières phrases.
Elle reste fidèle à l’autofiction tout en inventant une trame romanesque qui lui permet de confronter les deux facettes du récit, d’explorer ce monde qui la hante. L’écriture devient une arme qui permet de repousser la folie, de rompre avec la malédiction des femmes de sa famille, cette démence qui se transmet de génération en génération
«En fait, ce livre, je l’écris non pas contre toi, mais pour moi, pour laisser toute la place à mon avenir. Même si je raconterai des choses qui te sont familières, j’y injecterai beaucoup de fiction, car comme disait Oscar Wilde: «Prêtez-moi un masque et je vous dirai la vérité.» Il paraît que c’est lorsqu’on est dans la fiction que la vérité se pointe le bout du nez, c’est dans la fiction qu’on peut évacuer le plus de méchanceté et le plus de bonté aussi.» (p.14)

La malédiction

«La lune dans le HLM» permet à l’écrivaine de confronter le monde de sa mère, son héritage familial de folie. La narratrice a migré en Europe et fait sa vie d’écrivaine. Elle revient au Québec, le temps d’écrire un scénario à partir de son roman «Borderline», retrouve sa mère qui vit dans un appartement insalubre avec une poule, au milieu des bataillons de coquerelles. Une misère terrible, physique et psychique.
Comment arracher cette mère à sa folie, comment éviter le trou noir qui l’aspire depuis sa naissance. Tout le roman illustre cette lutte, la hantise qui marque les œuvres de la jeune romancière. Le lecteur connaît ainsi les deux faces d’une approche qui se veut une appropriation de soi et une libération. L’écriture devient entreprise de salut. Comme si en plongeant dans les mots, Marie-Sissi Labrèche subjuguait cet héritage et parvenait à trouver une forme d’équilibre. Une écriture thérapeutique à la limite qui permet d’installer la paix en soi et d’accepter ce legs.
«Tu as trop besoin de moi et je te dois tout, car si je suis devenue ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à toi. Tu m’as transmis tout ce qu’il y avait de meilleur en toi, l’honnêteté, la sincérité, la gentillesse envers autrui, et surtout la capacité de créer. Par ta folie, tu m’as permis d’avoir accès à mon inconscient facilement, et cet inconscient ne me sert qu’à te faire du mal.» (p.245)
Marie-Sissi Labrèche, dans la fiction comme dans l’autofiction, décrit un phénomène que nous refusons souvent de voir même s’il est de plus en plus présent. Une personne sur dix souffrirait de problèmes psychologiques selon certaines statistiques.
Cette forme d’écriture est terriblement exigeante mais combien touchante et attachante. Elle écrit avec la pointe d’un diamant! Un roman généreux et d’une franchise qui laisse le lecteur sans mots.

«La lune dans le HLM» de Marie-Sissi Labrèche est publié chez Boréal Éditeur.