Pascal Millet a sans doute été marqué par la violence qui a éclaté dans les banlieues de Paris. Une folie qui se manifestait dans les rues, faisait flamber les voitures et fracassait toutes les vitrines. Une rage irrationnelle, le symptôme d’un malaise beaucoup plus fort et prenant.
Il faut un certain temps avant de comprendre où se situe ce roman, où les personnages évoluent et circulent. Ce pourrait être dans toutes les grandes villes du monde, y compris Montréal. Deux garçons, Pierrot l’ainé et Julien le plus jeune, découvrent le corps de leur mère en revenant de l’école. Seule, abandonnée par son mari, mère de deux garçons turbulents et délinquants sur les bords, elle n’en peut plus. Surtout qu’elle venait d’apprendre qu’elle était larguée par une rationalisation qui se traduit toujours par des congédiements et encore plus de pauvreté.
Elle s’est pendue. Les deux garçons décrochent le corps de leur mère et décident de partir. Pierrot est imbibé des images de la télévision, des films où l’on présente l’Amérique mythique, fabuleuse où chacun des arrivants peut devenir un héros en se mesurant aux Indiens ou en adoptant la façon de vivre de ces êtres libres. Des images véhiculées par le cinéma américain, faisant de John Wayne un héros sans peur et sans reproche, capable de tuer froidement, sans sourciller. On sait où cette projection nous a mené en Afghanistan et en Irak.
La cavale
Les deux frères ramassent tout ce qu’ils peuvent trouver d’argent, passent faire la peau à un truand pour en avoir encore un peu plus et ils partent. Il faut rejoindre la mer, trouver un grand bateau blanc qui les mènera vers la vraie vie en Amérique où il est possible de devenir un héros en tournant la tête.
Pierrot, le plus vieux, est poussé par une violence terrible qui lui permet de tuer comme les héros dans les films sans sourciller. Julien, le plus jeune, s’ennuie de sa mère, trimbale un zeste d’humanité qui fait qu’il s’attache un chien errant.
Les deux rencontres des clochards, des sans-abris, des truands, des garçons qui vivent de rapines, se faufilent, échappent aux filets de la société qui veut que des garçons de cet âge doivent se trouver à l’école.
Ils approcheront de la mer, ils verront la mer mais pas le grand bateau blanc qui les pousserait vers le rêve et la liberté. Pierrot ne s’en sortira pas et Julien se retrouve comme soulagé d’être rattrapé par la société et pris en charge. Il n’en peut plus de cette vie d’errance, de violence, de morts où il faut toujours être le plus fort.
Conte
Pascal Millet nous entraîne dans une sorte de conte où la violence pousse les personnages dans une démence que la société semble entretenir et peaufiner je dirais dans sa façon de se comporter et de vivre.
Cette société qui relègue ceux et celles qui n’ont pas le pas de l’économie dans des ghettos où ils n’ont que la force et la violence pour survivre.
Un texte d’une dureté et d’une beauté fascinante, d’une humanité qui crie à chaque page. Millet réussit à nous présenter un problème actuel par le regard halluciné de deux jeunes garçons qui doivent se réfugier dans le fantasme et user de violence pour survivre. Nous faisons face à tous les ostracismes de la société, à ces rejets, ces refus, ces protections qui font que des gens sont parqués dans des ghettos et des banlieues pour ne pas déranger la bonne conscience des possédants. De quoi remettre en question bien des certitudes et nous pousser au bord du tolérable et de l’acceptable. Millet réussit cet exploit en suivant simplement deux garçons abandonnés du monde et de la société. Les images demeurent en nous longtemps après avoir lu la dernière phrase.
«L’Iroquois» de Pascal Millet a été publié chez XYZ Éditeur.