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jeudi 29 mars 2007

L’écriture comme méthode d’autodéfense

Depuis le temps, tout le monde le sait. L’écrivain puise dans sa vie et éventre souvent des secrets de famille. Pour se disculper, il confie le tout à des personnages et maquille son histoire en se drapant d’une fausse neutralité. «Il faut tout dire en littérature», répète Victor-Lévy Beaulieu après avoir chipé la sentence à James Joyce.
Certains romanciers refusent cette mascarade en pratiquant l’autofiction. Cette appellation donne un vernis de modernité à une entreprise plutôt ancienne. Le lecteur croit alors plonger dans l’intimité de l’écrivain qui devient le personnage. Un genre risqué puisque le public confond auteur et héros de fiction dans la vie de tous les jours.
Christine Angot, en France, est allée loin dans cette démarche en se complaisant dans ses romans à multiplier les prouesses sexuelles réelles ou inventées. Elle prenait la succession d’Henry Miller et, jusqu’à un certain point, de Marcel Proust. Que dire aussi de Jack Kerouac!

Une quête

Au Québec, plusieurs écrivains ont emprunté cette route avec plus ou moins de bonheur. Marie-Sissi Labrèche s’avère une exception. Ses premiers romans, «Borderline» et «La Brèche», montrent un désarroi, une quête d’attention qui passe par une sexualité débridée. Il s’en dégage une fragilité émotionnelle où l’écrivaine se propulse à la frontière d’une frénésie qui risque de l’avaler. Elle a senti ce danger et dans ce troisième ouvrage, elle tente de prendre un certain recul pour affronter l’univers qui la tourmente depuis ses premières phrases.
Elle reste fidèle à l’autofiction tout en inventant une trame romanesque qui lui permet de confronter les deux facettes du récit, d’explorer ce monde qui la hante. L’écriture devient une arme qui permet de repousser la folie, de rompre avec la malédiction des femmes de sa famille, cette démence qui se transmet de génération en génération
«En fait, ce livre, je l’écris non pas contre toi, mais pour moi, pour laisser toute la place à mon avenir. Même si je raconterai des choses qui te sont familières, j’y injecterai beaucoup de fiction, car comme disait Oscar Wilde: «Prêtez-moi un masque et je vous dirai la vérité.» Il paraît que c’est lorsqu’on est dans la fiction que la vérité se pointe le bout du nez, c’est dans la fiction qu’on peut évacuer le plus de méchanceté et le plus de bonté aussi.» (p.14)

La malédiction

«La lune dans le HLM» permet à l’écrivaine de confronter le monde de sa mère, son héritage familial de folie. La narratrice a migré en Europe et fait sa vie d’écrivaine. Elle revient au Québec, le temps d’écrire un scénario à partir de son roman «Borderline», retrouve sa mère qui vit dans un appartement insalubre avec une poule, au milieu des bataillons de coquerelles. Une misère terrible, physique et psychique.
Comment arracher cette mère à sa folie, comment éviter le trou noir qui l’aspire depuis sa naissance. Tout le roman illustre cette lutte, la hantise qui marque les œuvres de la jeune romancière. Le lecteur connaît ainsi les deux faces d’une approche qui se veut une appropriation de soi et une libération. L’écriture devient entreprise de salut. Comme si en plongeant dans les mots, Marie-Sissi Labrèche subjuguait cet héritage et parvenait à trouver une forme d’équilibre. Une écriture thérapeutique à la limite qui permet d’installer la paix en soi et d’accepter ce legs.
«Tu as trop besoin de moi et je te dois tout, car si je suis devenue ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à toi. Tu m’as transmis tout ce qu’il y avait de meilleur en toi, l’honnêteté, la sincérité, la gentillesse envers autrui, et surtout la capacité de créer. Par ta folie, tu m’as permis d’avoir accès à mon inconscient facilement, et cet inconscient ne me sert qu’à te faire du mal.» (p.245)
Marie-Sissi Labrèche, dans la fiction comme dans l’autofiction, décrit un phénomène que nous refusons souvent de voir même s’il est de plus en plus présent. Une personne sur dix souffrirait de problèmes psychologiques selon certaines statistiques.
Cette forme d’écriture est terriblement exigeante mais combien touchante et attachante. Elle écrit avec la pointe d’un diamant! Un roman généreux et d’une franchise qui laisse le lecteur sans mots.

«La lune dans le HLM» de Marie-Sissi Labrèche est publié chez Boréal Éditeur.

jeudi 22 mars 2007

Marc-Urbain Proulx questionne la région

Les prochaines décennies, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, selon les données cumulées par Marc-Urbain Proulx dans «Le Saguenay-Lac-Saint-Jean face à son avenir», ne sont guère rassurantes. Les ressources naturelles s’épuisent, la population vieillit, les jeunes en âge de fonder des entreprises migrent, les investissements des grandes multinationales n’augmentent plus le nombre d’emplois même si la productivité est en hausse.
Bien plus, la région est peu innovatrice, crée peu d’emplois malgré la présence importante de chercheurs à l’Université du Québec à Chicoutimi, dans l’entreprise privée et dans les quatre cégeps. Les gens du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont tendance à ignorer «les ensembles» qui permettraient d’innover et d’explorer de nouvelles voies. Peu ou pas de première et seconde transformation non plus.
Pourtant la région compte sur un éventail d’organismes qui planifient le développement et pensent l’aménagement du territoire. Il semble cependant que ces structures cherchent plus à maintenir leur propre existence, à consolider leurs emplois qu’à influencer la situation socioéconomique. La région décline lentement depuis les années 80, époque où elle a atteint son apogée.
Marc-Urbain Proulx, des statistiques plein les mains, lance un cri d’alarme. Il faut changer ses façons de faire pour arrêter la glissade, déchirer les clichés et changer les vieux discours. Autrement dit, il faut forger une nouvelle réalité et écrire un autre scénario.
Si la tendance se maintient, comme on dit, la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean diminuera de vingt pour cent d’ici 2025. Où trouver les travailleurs spécialisés dont la région a besoin maintenant, comment créer de nouveaux emplois, retrouver une vigueur économique et devenir un carrefour en Amérique du Nord avec les vastes territoires nordiques. Le défi est emballant.

Un peu d’histoire

L’énergie hydroélectrique a permis de développer l’industrie de l’aluminium, des pâtes et du papier. L’agriculture et la forêt ont connu une grande prospérité avant de péricliter. L’ensemble de ces ressources ont fait la prospérité de la région, de la Société des vingt-et-un à nos jours. À partir des années 80, les nouvelles technologies ont permis d’accroître la productivité tout en coupant dans les emplois en forêt, en agriculture, plus récemment dans les secteurs de l’aluminium, du bois d’œuvre, des pâtes et du papier. L’appropriation des plus importantes entreprises régionales par des intérêts internationaux a aussi des effets néfastes sur l’emploi et l’inventivité.
Peut-être que la région a du mal à prendre son avenir en main parce que le virage vers la modernité s’est fait, historiquement, grâce aux capitaux étrangers. Les investissements massifs sont venus de l’extérieur, particulièrement dans le secteur de l’aluminium et du papier. Le Lac-Saint-Jean a subi ce bond dans l’avenir. La hausse des eaux a laissé de profondes cicatrices. On peut parler d’une cassure qui a marqué l’imaginaire de toute une population.
Malgré les blessures, l’avenir passe encore par la forêt, l’agriculture, l’électricité, l’éolien, le solaire, le gaz naturel et des ressources encore négligées. Le Saguenay-Lac-Saint-Jean se situe aux portes du Grand Nord, là où tout est possible. Tourisme international, innovations culturelles, nouvelles activités industrielles, parc de la nordicité érigé avec la complicité des Ilnus, des Cris et des Inuits. Les nouvelles technologies pourront jouer leur rôle dans cette autre approche du monde.
La région doit absolument devenir inventive, créatrice d’emplois si elle veut redresser la trajectoire du déclin. La multidisciplinarité est la clef de cette renaissance.
Marc-Urbain Proulx propose d’inventer des cercles de créativité où il sera possible d’aborder les sujets qui permettront de s’installer dans le futur. Cette table de discussion secouera peut-être la fatalité qui s’est installée depuis vingt ans et que l’on dépoussière en temps d’élections.
Chose certaine, la région ne peut attendre que le développement vienne des gouvernements et des multinationales. Plusieurs dirigeants doivent comprendre cette réalité. Peut-être aussi envisager de laisser leur place s’ils sont incapables de relever les défis.
« Les élections traduisent un manque d’intérêt des citoyens à briguer des postes électifs (22 pour cent des conseils municipaux ont été élus en totalité par acclamation). Finalement, on observe un taux de renouvellement (nouvel élu) faible puisque 73,5 pour cent des maires sont réélus. » (p. 92)
La démocratie cherche son souffle au Saguenay-Lac-Saint-Jean et ce n’est guère propice à des lendemains qui chantent. L’avenir de la région et des jeunes générations demande un grand  virage. Marc-Urbain Proulx offre un outil exceptionnel. Espérons que nous saurons l’utiliser.

«Le Saguenay-Lac-Saint-Jean face à son avenir» de Marc-Urbain Proulx est paru aux Presses de l’Université du Québec.

jeudi 15 mars 2007

La culture québécoise est-elle en mutation?


Nos sociétés vivent des changements accélérés. Il semble que ce soit aussi le cas en Chine et en Inde. Ces pays s’imposent de plus en plus comme des puissances économiques mondiales. Plusieurs individus peinent à suivre. Certains s’affolent et prêchent un retour aux valeurs d’autrefois. L’élection de gouvernements plus conservateurs témoigne de cette crainte de l’avenir.
Alain Roy et Gérard Bouchard, dans un essai intitulé «La culture québécoise est-elle en crise?», ont demandé à des intellectuels de réfléchir à cette question. Cent quarante et un braves ont pris la peine de répondre.
Qu’ils soient convaincus d’un état de crise ou pas, tous se rejoignent. Que ce soit au sens large ou étroit, les répondants questionnent les mutations actuelles. Peu importe s’ils regardent par la lorgnette de l’optimisme ou du pessimisme.
Les sociétés changent plus rapidement qu’il y a cent ans. Les communications sont certes responsables de cette accélération et de ce métissage planétaire. Tout devient difficile à saisir et à analyser.
Le Québec, avec l’Occident, vit une période de turbulence. La mondialisation du commerce et la circulation des «produits culturels» bousculent les références. Il semble pourtant, si on en croit John Saul dans son essai «Mort de la globalisation», que cette «euphorie» est en train de se résorber. Les états-nations reprennent en main leur économie, rejettent les diktats de la Banque mondiale du commerce. La culture vivra-t-elle ce repli?
Le Québec n’échappe pas à l’accélération de l’histoire, à la perte de sens, à la montée de l’individualisme et à la dictature des «arts de détente» qui squattent la télévision et refoulent la «culture moins rieuse» dans la marge. Cette quête du divertissement impose une culture formatée que l’on recycle comme du papier journal. Plusieurs répondants le déplorent avec justesse.
Plusieurs affirment aussi que la culture doit vivre en «état de crise permanente» pour évoluer. D’autres s’accrochent à la nostalgie du passé. Alain Roy et Gérard Bouchard tentent de transcender la question et d’explorer des avenues.

Alain Roy

 Alain Roy, comme la plupart des répondants, se nourrit de perceptions et résiste mal à la tentation de tirer des conclusions rapides et émotives. Il s’attarde à des épiphénomènes ou des anecdotes qui ne permettent pas d’évaluer l’état de la culture au Québec.
«L’avidité de notre besoin de reconnaissance se traduit par une attention démesurée aux moindres échos venus de l’extérieur, et plus particulièrement aux échos positifs. Souvent, ce phénomène prend des proportions pathétiques, par exemple lorsque des journalistes réalisent des vox pop à la sortie des cinémas et des théâtres parisiens. Il faut vraiment que notre manque d’estime soit grand pour que nous en soyons à grappiller des marques d’appréciation sur les trottoirs d’outre-mer.» (p.101)
Il faut plus que quelques cas pour diagnostiquer l’état d’une culture. M. Roy tire des conclusions fort suggestives et peu appuyées.

Gérard Bouchard

Gérard Bouchard reste prudent. Oui, les cultures s’interpénètrent, s’influencent tout comme les sociétés qui doivent absorber le choc des migrations. Les trous dans les frontières apportent une conscience planétaire nécessaire à la pensée écologique et au développement durable.
Bien sûr, il est difficile de prévoir la marche des sociétés occidentales après la perte du sacré, la négation du religieux et la montée de l’individualisme. Il ne faut surtout pas conclure trop rapidement.
«Nous ne vivons pas dans une société sans mythes, les signes de dynamisme sont nombreux (l’Occident est traversé par de grandes utopies très nobles, mobilisatrices), nous sommes loin d’une situation de chaos social, la sortie de régime que nous effectuons ne donne pas sur le vide culturel ni sur un état dont nous ne savons rien.» (p.132)
Bien dit !
La région n’est pas en reste dans cette réflexion. Une centaine de personnes, lors du premier volet des «Rendez-vous stratégiques» de l’Institut du Nouveau Monde, les 2 et 3 février, pointaient les médias et les institutions d’enseignement pour expliquer le «peu de visibilité» de notre culture. Le second rendez-vous, qui se tient les 16 et 17 mars au Patro de Jonquière, permettra de discuter de la «culture à l’heure d’Internet». Il sera intéressant de comparer les réflexions des participants aux propos des deux essayistes.

«La culture québécoise est-elle en crise?», de Gérard Bouchard et Alain Roy est paru aux Éditions Boréal.

La culture québécoise est-elle en mutation?

Nos sociétés vivent des changements accélérés. Il semble que ce soit aussi le cas en Chine et en Inde. Ces pays s’imposent de plus en plus comme des puissances économiques mondiales. Plusieurs individus peinent à suivre. Certains s’affolent et prêchent un retour aux valeurs d’autrefois. L’élection de gouvernements plus conservateurs témoigne de cette crainte de l’avenir.
Alain Roy et Gérard Bouchard, dans un essai intitulé «La culture québécoise est-elle en crise?», ont demandé à des intellectuels de réfléchir à cette question. Cent quarante et un braves ont pris la peine de répondre.
Qu’ils soient convaincus d’un état de crise ou pas, tous se rejoignent. Que ce soit au sens large ou étroit, les répondants questionnent les mutations actuelles. Peu importe s’ils regardent par la lorgnette de l’optimisme ou du pessimisme.
Les sociétés changent plus rapidement qu’il y a cent ans. Les communications sont certes responsables de cette accélération et de ce métissage planétaire. Tout devient difficile à saisir et à analyser.
Le Québec, avec l’Occident, vit une période de turbulence. La mondialisation du commerce et la circulation des «produits culturels» bousculent les références. Il semble pourtant, si on en croit John Saul dans son essai «Mort de la globalisation», que cette «euphorie» est en train de se résorber. Les états-nations reprennent en main leur économie, rejettent les diktats de la Banque mondiale du commerce. La culture vivra-t-elle ce repli?
Le Québec n’échappe pas à l’accélération de l’histoire, à la perte de sens, à la montée de l’individualisme et à la dictature des «arts de détente» qui squattent la télévision et refoulent la «culture moins rieuse» dans la marge. Cette quête du divertissement impose une culture formatée que l’on recycle comme du papier journal. Plusieurs répondants le déplorent avec justesse.
Plusieurs affirment aussi que la culture doit vivre en «état de crise permanente» pour évoluer. D’autres s’accrochent à la nostalgie du passé. Alain Roy et Gérard Bouchard tentent de transcender la question et d’explorer des avenues.

Alain Roy

 Alain Roy, comme la plupart des répondants, se nourrit de perceptions et résiste mal à la tentation de tirer des conclusions rapides et émotives. Il s’attarde à des épiphénomènes ou des anecdotes qui ne permettent pas d’évaluer l’état de la culture au Québec.
«L’avidité de notre besoin de reconnaissance se traduit par une attention démesurée aux moindres échos venus de l’extérieur, et plus particulièrement aux échos positifs. Souvent, ce phénomène prend des proportions pathétiques, par exemple lorsque des journalistes réalisent des vox pop à la sortie des cinémas et des théâtres parisiens. Il faut vraiment que notre manque d’estime soit grand pour que nous en soyons à grappiller des marques d’appréciation sur les trottoirs d’outre-mer.» (p.101)
Il faut plus que quelques cas pour diagnostiquer l’état d’une culture. M. Roy tire des conclusions fort suggestives et peu appuyées.

Gérard Bouchard

Gérard Bouchard reste prudent. Oui, les cultures s’interpénètrent, s’influencent tout comme les sociétés qui doivent absorber le choc des migrations. Les trous dans les frontières apportent une conscience planétaire nécessaire à la pensée écologique et au développement durable.
Bien sûr, il est difficile de prévoir la marche des sociétés occidentales après la perte du sacré, la négation du religieux et la montée de l’individualisme. Il ne faut surtout pas conclure trop rapidement.
«Nous ne vivons pas dans une société sans mythes, les signes de dynamisme sont nombreux (l’Occident est traversé par de grandes utopies très nobles, mobilisatrices), nous sommes loin d’une situation de chaos social, la sortie de régime que nous effectuons ne donne pas sur le vide culturel ni sur un état dont nous ne savons rien.» (p.132)
Bien dit !
La région n’est pas en reste dans cette réflexion. Une centaine de personnes, lors du premier volet des «Rendez-vous stratégiques» de l’Institut du Nouveau Monde, les 2 et 3 février, pointaient les médias et les institutions d’enseignement pour expliquer le «peu de visibilité» de notre culture. Le second rendez-vous, qui se tient les 16 et 17 mars au Patro de Jonquière, permettra de discuter de la «culture à l’heure d’Internet». Il sera intéressant de comparer les réflexions des participants aux propos des deux essayistes.

«La culture québécoise est-elle en crise?», de Gérard Bouchard et Alain Roy est paru aux Éditions Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/alain-roy-454.html

jeudi 8 mars 2007

Jean Désy fait de sa vie une aventure

Jean Désy, médecin et romancier originaire de Kénogami, sillonne le Nord du Québec depuis des décennies. Un pays de neige et de froid que la plupart des Québécois méconnaissent.
Dans les nouvelles télévisées, à part la météo, on parle du Nunavik pour montrer des jeunes qui inhalent des vapeurs d’essence ou des drogues. Les suicides aussi font les manchettes. Pour beaucoup, ce territoire n’est que rivières qui servent à produire de l’électricité. Un espace à peu près vierge que des exploitants peu scrupuleux transforment en dépotoir. On a vu des images révoltantes à Radio-Canada. Des entreprises minières ont tout saccagé, y laissant la désolation après leur passage.
Territoires des Cris, des Inuits, des aurores boréales et des ours polaires que la fonte de la banquise menace; pays où se heurtent la modernité et les traditions. La sédentarisation a fait perdre pied à ces nomades qui cherchent des balises.
«Un jour que je lui rendais visite, madame Annanack me dit: «Il faudrait qu’ils retournent dans la toundra.» Elle pensait à ses petits-enfants, à deux de ses petits-fils qui s’étaient pendus trois mois plus tôt, à quelques jours d’intervalle, le premier après une peine d’amour, le second à cause du suicide de son frère.» (p.112)

Fascination

Jean Désy, dans plusieurs de ses ouvrages, décrit ces espaces où il a œuvré comme médecin dans des conditions de travail à faire frémir. Il nous entraîne aussi dans des expéditions où la moindre erreur peut coûter la vie. Désy ne maquille rien de ce pays aux humeurs climatiques imprévisibles et à la beauté époustouflante.
«Un jour, je mourrai dans la toundra. Je ne veux pas mourir dans un hôpital, jamais ! Je passe ma vie à l’hôpital, auprès des malades, convaincu que ce n’est pas là qu’il faut mourir : trop de soignants épuisés, trop de microbes, trop de tristesse entre les murs défraîchis. J’ai dit à Samuel que je n’en pouvais plus d’entendre les cris d’Akinésie ou des autres malades chroniques. Et cette histoire sordide de petite fille violée… Soigner les femmes enceintes, les bébés, les vieillards, ça me va. C’est pour ça que j’ai été formé. Mais endurer les cris des malades d’Alzheimer, leurs odeurs…  Endurer la folie des autres…» (p.75)

Là où tout est possible

Dans «Au nord de nos vies», Jean Désy reprend neuf textes qu’il a publiés dans «Médecin du Québec». Julien, son héros, avec quelques infirmières, tente de sauver des vies, se questionne devant les jeunes qui jouent avec des armes et se blessent, les viols d’enfants qui arrivent quand l’alcool et la drogue tuent la raison. Il parcourt ce pays vaste comme un continent, déchiré entre le Nord et le Sud, tente d’échapper, peut-être, au vertige de la civilisation. Il est lui aussi un nomade que le monde étouffe, semblable aux Inuits «tués dans leur esprit» par la quincaillerie de la consommation.
Plusieurs époques se heurtent dans ces villages cernés par le blizzard, où les hommes et les femmes sont minés par tout ce que les avions apportent à chaque semaine du Sud.
Que ce soit dans «Au nord de nos vies» ou «L’île de Tayara», Jean Désy sait ressusciter des désirs que nos vies parfaitement organisées ont étouffés. Il insuffle l’envie de se surpasser et de faire de nos jours une véritable aventure. Cet écrivain unique est un souffleur de rêves qui fait de ses jours une fiction et de ses romans, une quête. Un humaniste qui témoigne d’une grande compassion envers les hommes et les femmes du Nord.
On devrait lire «Le coureur de froid», «L’île de Tayara», «Carnets de l’Ungava», et «Au nord de nos vies», dans les écoles. Les jeunes apprendraient que l’aventure existe près de la baie d’Hudson, dans un pays où tout échappe au rationnel. Il suffit de lever la tête et l’espace est là, hypnotisant et dangereux. Un pays où la quête va de soi, où l’on peut aller au-delà du quotidien pour effleurer, peut-être, une forme de sagesse. L’ailleurs est ici. Là, tout près, dans une immensité qui change ceux et celles qui ont le bonheur d’y vivre et d’y croiser des êtres exceptionnels.

«Au nord de nos vies» de Jean Désy est publié chez XYZ Éditeur.

jeudi 1 mars 2007

L’avenir du Québec passe par les régions

«Y a-t-il un avenir pour les régions?», répète Roméo Bouchard dans un essai paru l’automne dernier. L’auteur était au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, en septembre, le temps d’une une table de discussion et, depuis, peu d’écho à ce livre important.
Il était aussi à l’émission «Il va y avoir du sport» de Marie-France Bazzo, à Télé-Québec, où l’on se demandait s’il faut fermer les régions. Une question provocatrice et un débat futile. Marc-Urbain Proulx, Roméo Bouchard, tout comme Jean Tremblay dernièrement, avaient la mission impossible de faire entendre la raison dans un cirque du «pour et contre».
Faut-il fermer des régions du Canada pour protéger Toronto et Vancouver; vider les provinces pauvres des Maritimes et déporter les gens vers Montréal et Toronto? Montréal décline devant Toronto qui s’agenouillera bientôt devant Vancouver. Les pôles économiques glissent vers l’Ouest et l’émergence de la Chine va donner un élan aux agglomérations du Pacifique. L’économie suit une forme de dérive des continents.

Constat

Roméo Bouchard, journaliste, agriculteur et fondateur de l’Union paysanne, originaire de Normandin, scrute les politiques de développement du Québec depuis quarante ans dans «Y a-t-il un avenir pour les régions?». Des débuts de la Révolution tranquille à nos jours, le portrait est affligeant.
Les politiciens, qu’importe leur allégeance, tout en répétant que le Québec a besoin de régions dynamiques, pratiquent une politique centralisatrice.
Tous les gouvernements jonglent avec une même vision urbaine qui ne peut s’appliquer dans les territoires que sont la Gaspésie, l’Abitibi, le Grand Nord et le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les régions doivent imaginer des solutions régionales aux problèmes régionaux. Il n’y a pas de baguette magique. La Gaspésie n’est pas l’Abitibi, encore moins la Mauricie.
Dans ce modèle nord-sud, les régions fournissent l’électricité, la forêt, les mines et de moins en moins de produits agricoles. Les ressources naturelles sont exploitées à grande échelle sans que les régionaux en profitent comme ils le devraient.

Expérience

En Gaspésie, au début des années 70, le Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ) devait régler tous les problèmes. La raison devait triompher. Conséquences: l’industrie forestière a été démantelée, des villages fermés et l’exploitation industrielle a vidé la mer.
Quarante ans plus tard, partout dans les régions, cette approche a permis de dilapider les ressources. La population décline et la main-d’œuvre est de moins en moins qualifiée pour relever les défis. La migration des jeunes rogne la vitalité de ces territoires avec le vieillissement des habitants. La désertification des territoires est devenue une réalité.
Le Saguenay-Lac-Saint-Jean cherche son avenir en tâtonnant. L’industrie forestière a des copeaux dans l’engrenage depuis des années. «L’Erreur boréale», de Richard Desjardins, a permis aux responsables de se dédouaner tout en refusant d’analyser la situation. Rien ne va dans nos forêts et ce n’est pas Desjardins qui a créé le problème. Rien ne va dans l’agriculture et personne n’a signé «L’Erreur laitière». On pourrait multiplier les exemples.

Politiciens

Pour contrer la «désintégration des régions» comme l’écrivait Charles Côté, il faut repenser des politiques qui provoquent l’appauvrissement des régionaux et le saccage des territoires.
Roméo Bouchard prône des mesures de repeuplement, des lois qui assurent des redevances aux régionaux pour l’exploitation de leurs ressources naturelles. Tout cela ne peut advenir sans une immigration soutenue par Québec, des gouvernements régionaux responsables et pourvus de budgets. Comment exploiter la forêt autrement, transformer plus en région, profiter au maximum de l’électricité et régénérer l’agriculture?
Les gouvernements ne semblent guère préoccupés par ces questions. L’énergie éolienne se développe actuellement dans une joyeuse anarchie. La Gaspésie, encore une fois, sert de terrain de jeu à ces «développeurs». Que ferons-nous du solaire et de l’eau? Les citoyens ont-ils tort de s’inquiéter?
Faut-il attendre vingt ans encore avant de donner un second souffle aux régions, se laisser anesthésier localement par les investissements des grandes entreprises avant de réagir? Les politiciens, pendant cette campagne électorale, vont-ils répondre à ces questions. Il en va pourtant de l’avenir du Québec.
«Y a-t-il un avenir pour les régions?» de Roméo Bouchard, questionne ce passé récent et ouvre une porte sur l’avenir. Dans vingt ans, si rien ne change, le Québec sera un pays en lambeaux et les régions des dépotoirs. À moins de faire preuve de créativité, comme le suggère Marc-Urbain Proulx.

«Y a-t-il un avenir pour les régions?» de Roméo Bouchard, est paru chez Écosociété.