Stefani Meunier signe un premier roman qui me fait penser à «L'étranger» d'Albert Camus. Qui a oublié Meursault, son détachement, son impossibilité à être du bord des humains? Une même ambiance dans le roman de Mme Meunier, un même sentiment d'être «étranger» aux autres. Sans la froideur et l’indifférence cependant.
Des prénoms ici et là, des hommes avec qui la jeune femme chemine, des rencontres et la solitude. La narratrice n’arrive pas à s'attacher aux gens, à s'enraciner et à vivre l'amour. Une solitaire heureuse et peut-être que c'est là son problème. Elle adore sa maison des Laurentides, son bord de lac, les promenades dans la forêt où la végétation s'ancre profondément dans la terre. Tout comme elle était bien dans son appartement de Montréal. Bien dans sa solitude.
Elle rencontre un musicien. Il a l'âge d’être son père. Elle pourrait être sa fille. Un instable, un survenant qui a toujours fuit. Il est musicien et chanteur. Il a fait carrière sans connaître la gloire, vécu l'amour sans s'accrocher. La narratrice voit peut-être en cet homme ce qu'elle sera dans quelques années. L'un et l'autre se confient, se questionnent et s'aident à devenir de meilleurs humains.
«Je croyais que je n'avais plus de coeur quand j'ai rencontré le vieil artiste. Peut-être qu'en effet, je n'en avais plus. Ou bien que j'avais voulu l'endormir, que je ne le savais pas mais qu'il était là, presque intact. C'était un vieil homme. C'est peut-être ce qui explique que je ne l'ai présenté à personne. Je n'aurais pas su comment le présenter. Je n'aurais pas su définir notre relation. C'était de l'amitié, et c'était peut-être autre chose. Mais je n'aurais pas voulu avoir à expliquer ce que c'était.» (p.11)
Les longues périodes de réclusion succèdent à ces moments où elle se noie dans la frénésie des bars. Dans ces aquariums, elle brille. Tous parlent, rient, dansent, jouent le jeu de la séduction, s'amusent et les rencontres, l'alcool aidant, deviennent possibles. La mécanique des amours fonctionne.
Intime
Dans l'intimité, la narratrice se referme comme une noix et après quelques émois, le désir d’être seule face à son lac, dans la forêt où les lièvres prennent la couleur de leur environnement, devient plus fort.
«Je me suis demandé pourquoi je me trouvais intéressante seulement quand j'étais seule. C'était peut-être parce que, quand j'étais seule, je ne jouais pas. Mais ce n'était sûrement pas ça. Depuis le temps que j'essayais d'être quelqu'un d'autre, peut-être que j'en étais venue à me jouer la comédie à moi-même, sans trop m'en rendre compte, comme ce clown qui n'a plus de visage. » (p.35)
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L'auteure tente de mettre le doigt sur ce qui empêche la narratrice de toucher les gens qu’elle côtoie. Le vieux musicien va l’aider en témoignant. Elle va raconter la migration de son père venu de France qui a fait d'elle une étrangère, les déceptions amoureuses, cette voix de femme qu'elle idolâtre.
«Moi, mon premier amour, c'était une voix. Une voix de femme. C'était un amour si fort que je n'ai pu aimer que des voix d'hommes, par la suite. Il n'y aura jamais eu qu'une seule voix de femme. J'en suis tombée amoureuse un dimanche. Je m'en souviens, même si j'avais seulement six ans, parce qu'il y avait Les Beaux Dimanches à la télé.» (p.49)
Stéfani Meunier possède un grand pouvoir d’évocation et une écriture étonnante et originale. Un roman qui montre qu'il est de plus en plus difficile de se retrouver dans un monde fait de contacts furtifs, d'images et d'émotions préfabriquées. Une belle façon de secouer les clichés et de s'accrocher à ce pays de montagnes, de lacs et de forêts. Et quel bel hommage à Monique Leyrac. Un roman vrai, touchant. C’est dire peu et tout.
«L'étrangère» de Stéfani Meunier est paru aux Éditions du Boréal.