NOS LENDEMAINS DE FEU de Julie Stanton nous plonge dans le sujet de l’heure, soit les bouleversements climatiques, la pollution qui met en danger toutes les espèces vivante. L’avenir se referme comme un coquillage devant les nouvelles générations. Il est plutôt rare que la poésie s’aventure de ce côté-là du monde, s’ouvre aux horizons de la planète et à son sort. On est habitué au terrible « je » qui enfle et prend toute la place sans jamais se préoccuper de l’environnement qui n’en peut plus de nos folies, nos angoisses et nos pillages. Bien sûr, il y a eu le courant identitaire et nationaliste dans les années 1970 avec Gaston Miron, Gilbert Langevin et Yves Préfontaine, mais avec l’échec du référendum de 1980, l’individualisme s’est installé dans les champs de la poésie et peu nombreux sont ceux et celles qui ont osé emprunter les chemins de la collectivité pour imaginer le territoire improbable qui n’a cessé de fuir et d’être saccagé.
Deux temps dans Nos lendemains de feu dédié aux petits-enfants de la poète. D’abord Les paradis perdus où madame Stanton se souvient d’un éden qui lui a glissé entre les doigts par distraction ou par manque de conscience, peut-être aussi, comme beaucoup de notre génération, qu’elle a été happée par l’avenir, se laissant séduire par le chant des technologies qui avaient réponse à tout.
Délestée
de l’aura des années-lumière, tu imaginais
ce qui te conduirait aux années-
charnières. Un signe peut-être surgirait de
la Symphonie du Nouveau Monde, de la
relecture de George Orwell ou de
Nostradamus. Et si demain se réduisait au
néant ?
Vois
La fonte du Groenland
Le Brésil sous la boue
Le déchaînement de l’Etna
Tends le cou au-delà de ta béatitude. En
Californie, Paradise a cédé à l’enfer, le
Portugal retient son souffle, la Grèce
flambe, l’Amazonie se meurt. Jusqu’aux
ruines qui s’ajoutent aux ruines. (p.15)
Nous subissons des dérèglements terribles. Une canicule meurtrière frappe la côte Ouest de l’Amérique, particulièrement la Colombie-Britannique, déclenchant des incendies qui détruisent tout sur leur passage. L’enfer, le véritable, sans Lucifer. Et les scientifiques prévoient que le phénomène va se reproduire de trois à quatre fois par année. Tout se déglingue et les terres fertiles sont maintenant des déserts. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la poète respirait dans le bonheur, s’abandonnait à des instants d’extase dans son île cernée par une luminosité qui lui coupait le souffle et la laissait sans mots. Des moments où elle pouvait imaginer que l’avenir était juste là, un peu en dessous de l’horizon, dans l’étal de la marée et que la vie était inépuisable de surprises et d’éblouissements.
Le soir s’égrenait en éternité. Âme à nue
dans l’opalescence de la plage, tu cherchais
le meilleur angle pour accueillir le vertige. (p.13)
Un repli sur soi, une méditation où Julie Stanton constate que les humains ont été des prédateurs insatiables. Tout ce qui était enchantement n’est plus qu’illusion. Tout ce qui faisait soupirer devant un soleil qui se noyait dans la mer étale risque de s’évanouir à jamais avec la fonte des glaciers, les ouragans qui mordent les côtes de l’Amérique, le smog comme un bâillon sur les villes. Et que dire de cette pandémie qui ne cesse de s’inventer des variants de plus en plus féroces ? Qui aurait prédit, il y a quelques mois, que nous déambulerions partout au Québec avec un masque ?
Les petits-enfants
des enfants de tes enfants, que sauront-ils
de la forêt boréale naguère opulente, de la
taïga du Grand Nord, de ses tapis de
bruyère, de son lichen, de ses mousses ? (p.18)
Constat, crainte, regrets, angoisse devant l’avenir, l’aveuglement planétaire qui n’a jamais voulu lire les signes de la catastrophe et qu’il était primordial et nécessaire de modérer nos appétits.
APPROCHE
Questionnements dans un premier mouvement, constats alarmants et au cœur du poème, une voix qui s’impose, celle de la conscience peut-être, pour tirer les choses au clair. Ce peut être aussi d’autres compagnons que Julie Stanton fréquente qui viennent à la rescousse. René Lapierre, Nicole Brossard, Jack Kerouac, Walt Whitman, Michaël Trahan, Suzanne Jacob, Léonard Cohen, Paul-Marie Lapointe et Jean-Marc Degent. Des allumeurs de réverbères qui se joignent à elle, murmurent et tissent une communauté de pensée et de paroles.
Incontestablement
ta désinvolture n’aura servi qu’à élargir les
zones de faille. Tu n’as pas su freiner la
montée des aubes meurtrières, pas su
épargner la vulnérabilité de la tortue des
bois dans le clairières des Appalaches.
Si loin si proche
L’exode des animaux sans feu ni lieu
Celui des réfugiés climatiques
Pèsent sur tes épaules
La couche est dure lorsqu’on se bat seul,
son village à bras-le-corps. Qui dort où ? (p.26)
Conscience des ravages d’un appétit de modernité insatiable, de nos aveuglements crasses devant la mort qui circule dans les rues au volant de grosses cylindrées, se roule dans les fleuves et les rivières, voyage avec les vents et assèche les terres les plus fertiles.
PAROLES
La poète pourrait s’abandonner à la désespérance, répéter que tout est consommé, qu’il n’y a plus rien à faire. Ce serait trop facile. Julie Stanton a toujours cru au pouvoir des mots. Non. Les enfants de nos enfants sont là. Ils s’imposent et inventent leur parole dans Résistants de l’ombre, la deuxième partie du recueil. Ils parlent haut et fort et c’est non. Jamais. Pas de compromis. Ils ne seront pas nos héritiers, surtout pas de l’aveuglement des prédateurs que nous sommes et qui ont étranglé la planète.
Merci pour ce que vous avez bâti entre
courage et mégalomanie mais non merci
pour les tas d’immondices si gigantesques
que nous sommes incapables d’atteindre
l’interrupteur nous refusons à seize ans
d’hériter du fatal boomerang de votre
splendide désastre les deux pieds dans la
gueule du cratère ! (p.68)
Ils vont le défaire ce monde, le secouer aux quatre vents et le retrouver dans sa quintessence. Ils rêvent d’une autre beauté, d’autres villes, d’autres regards. La parole se renverse. Ils sont partout, porteurs d’un langage différent et d’une poésie régénérée. Ils s’éloignent avec l’avenir dans leurs sacs à dos, n’acceptent pas la mort que nous avons fini par domestiquer.
… nous sommes nés
sans notre consentement mais nos ailes
farouches nos crises d’anxiété des instants
paradisiaques des bonheurs atroces il y va
de notre survie de dérégler vos boussoles
pour parvenir à l’imprévu. (p.81)
Il y a l’espace pour des lendemains qui chantent et Julie Stanton fait confiance à ces jeunes. C’est à eux de rejeter l’héritage et de faire une aventure de leur vie qui dépasse les limites de notre entendement. « L’espoir luit comme brin de paille », mais pour cela il faut un autre langage et un regard neuf sur ce qu’est le monde.
… oui oui de
nouvelles racines tirées du vieux nous
sommes abonnés au recyclage. (p.89)
Terrible legs que nous laissons à ces jeunes, comme si nous leur demandions d’inventer le futur parce que nous avons courtisé la mort en nous abandonnant à nos bonheurs égoïstes. L’avenir sera collectif ou il ne sera pas. « … nous n’irons pas plus loin que la prochaine génération pas de panique c’est demain. »
STANTON. JULIE, Nos lendemains de feu, Éditions Écrits des forges, Trois-Rivières, 2021, 16,00 $.
https://www.ecritsdesforges.com/produit/nos-lendemains-de-feu/
Julie Stanton n'a pas été seulement la mentore de mon livre: quand votre guerre a-t-elle pris fin? Elle est aussi mon guide dans ce monde étranger ou je me sens des fois encore perdue. Mon inspiration, amie de plume et d'âme.
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