LE GOUVERNEMENT DU
QUÉBEC, en 1981, envoie des forces policières pour
saisir les filets de pêche des Mi’gmaq à la réserve Listiguj de Ristigouche.
Une intervention policière qui tourne à l’émeute et à la crise sociale. Éric
Plamondon nous replonge dans un moment particulièrement tragique que peu de Québécois
aiment se rappeler. Le sort des Autochtones refait surface, malheureusement, trop
souvent dans l’actualité. Que l’on songe aux événements d’Abitibi ou encore de
Uashuat tout près de Sept-Îles. Des femmes agressées, violées par des proches
ou qui disparaissent sans laisser de traces.
Le territoire de la réserve mi’gmaq de Listiguj se situe à la frontière du Québec et du Nouveau-Brunswick, le long de la rivière Ristigouche, renommée pour ses nombreux saumons, mais aussi comme du dernier lieu de résistance de la colonie française. Là où s’est scellé le sort des Acadiens et celui des Québécois par ricochet. Un pont lie les deux provinces, une frontière entre le monde autochtone dépossédé de tout et celui des Blancs qui prennent des décisions étranges. Le gouvernement de René Lévesque est au pourvoir à Québec en 1981 et entend tenir tête à Ottawa, oubliant les autochtones et leurs droits. L’intervention policière est brutale. Des arrestations, des blessés, une justice expéditive, une autre étape d’une guerre d’occupation.
Le territoire de la réserve mi’gmaq de Listiguj se situe à la frontière du Québec et du Nouveau-Brunswick, le long de la rivière Ristigouche, renommée pour ses nombreux saumons, mais aussi comme du dernier lieu de résistance de la colonie française. Là où s’est scellé le sort des Acadiens et celui des Québécois par ricochet. Un pont lie les deux provinces, une frontière entre le monde autochtone dépossédé de tout et celui des Blancs qui prennent des décisions étranges. Le gouvernement de René Lévesque est au pourvoir à Québec en 1981 et entend tenir tête à Ottawa, oubliant les autochtones et leurs droits. L’intervention policière est brutale. Des arrestations, des blessés, une justice expéditive, une autre étape d’une guerre d’occupation.
OCÉANE
Océane, une jeune mi’gmaq est à l’école ce jour-là. Elle étudie de l’autre
côté de la rivière, hors de la réserve. Quand elle tente de rentrer chez elle
après sa journée, le pont est bloqué. Elle suit des garçons et réussit à
traverser en se glissant dans la structure. La jeune fille est arrêtée, violée
par des policiers qui se permettent tout. Je ne peux que penser aux témoignages
de ces femmes en Abitibi qui pointent les policiers du doigt. Un geste qui
semble fréquent quand il s’agit de jeunes femmes autochtones. Les adolescentes
sont traitées comme du bétail et les mâles conquérants s’en servent avant de
les rejeter. Des événements similaires ont été racontés maintes fois dans notre
littérature. Louis Hamelin dans Cowboy
nous fait voir de façon exceptionnelle cette situation dans les réserves. J’ai
vécu cette cohabitation difficile alors que je travaillais dans les forêts du
nord de l’Abitibi. Le racisme s’y exprimait dans la plus absurde des cruautés.
Des hommes n’hésitaient pas, après avoir avalé quelques bières, à faire des
raids dans la réserve tout près pour « tasser » les hommes et violer leur femme
et leurs filles. Je raconte cela dans La
mort d’Alexandre en 1982. Personne n’en a parlé, bien sûr. Lucie Lachapelle
s’attarde aussi à cette situation déplorable dans Rivière Mékiskan. La situation ne semble pas vouloir changer malgré
de nombreuses dénonciations. David Adam Richards aborde le même événement de
façon saisissante dans Enquête dans la réserve
paru en 2013.
HISTOIRE
Éric Plamondon a sa façon de nous plonger dans cette page d’histoire.
La bataille de la Ristigouche, haut lieu de l’Amérique française, redevient le
théâtre d’un affrontement entre Québec et Ottawa. Les nations indiennes,
aujourd’hui comme hier, ont souvent été au coeur de ces luttes de pouvoir.
Toute la communauté mi’gmaq est traumatisée par l’intervention soudaine des
policiers et leur brutalité.
Dany fait ce qu’il peut avec sa jambe de bois. Le policier tire,
arrache la chemise, le plaque à terre, un coup de genou dans les côtes l’air de
rien, un oing sur la nuque parce qu’il faut qu’il obtempère. La clé de bras
disloque l’épaule. Un cri de douleur jaillit, étouffé par un fuck you hargneux.
Ils sont maintenant quatre sur le dos de l’homme à terre. Il n’avait qu’à
obéir. Refus de se plier aux ordres d’un représentant de l’autorité. Il n’avait
qu’à ne pas traîner. Ils lui maintiennent les jambes et lui passent les
menottes. Un coup de matraque dans le dos pour finir. Les forces de l’ordre sont
en train de sauver le Québec des terribles agissements de ces sauvages qui ne
veulent jamais rien entendre. Il faut les discipliner, leur apprendre. On est
dans la province de Québec, sur le territoire provincial. Quiconque s’y trouve
doit obéir aux lois et aux injonctions venues de la capitale. Le ministre a
dit, la police exécute. Elle répand la parole de l’ordre par le bout des
fusils, les gaz lacrymogènes et les barreaux de prison. (p.32)
Éric Plamondon raconte l’histoire de façon horizontale et verticale,
je dirais. Nous suivons Océane dans les jours qui suivent l’occupation. Il remonte
aussi dans le temps pour s’intéresser à la présence autochtone en Gaspésie
jusqu’à l’arrivée des premiers migrants sur le continent américain dans un
passé très lointain. Autrement dit, nous basculons dans le temps et l’espace,
vivons la présence autochtone dans ces lieux où ils chassent et pêchent depuis
des milliers d’années. L’arrivée des Européens chambarde tout. Les envahisseurs
s’emparent de tout et font fi des droits et des lois. Le non-respect des
traités signés avec les premières nations est un exemple désolant de cette
manière d’agir. Il suffit de lire Thomas King, particulièrement L’indien malcommode, pour avoir mal à
l’âme devant les tractations et les sévices que les Blancs imposent aux
premiers occupants. La réalité dépasse toujours la fiction.
Les manœuvres de Pierre Pesant, dans Taqawan, sont particulièrement odieuses. Sous des dehors
empathiques, plaidant en faveur des mi’gmaq, il contribue à l’enlèvement des
jeunes indiennes pour en faire des prostituées.
AVENTURE
Des morts, des meurtres, des gens qui tuent et s’en tirent sans
aucune conséquence. J’ai du mal à prendre au premier degré toutes les
tribulations de Leclerc et William, son complice indien, qui se comportent en
véritable Rambo. Plamondon caricature la mythologie que le cinéma américain
fait de la Conquête de l’Ouest et des affrontements avec les nations indiennes.
Océane devient un prétexte entre deux forces qui se confrontent dans la plus
terrible des violences.
Yves, un simple garde-pêche tue sans aucune émotion et se débarrasse
des corps comme s’il faisait cela tous les jours. La loi du plus fort s’impose
et les lois, les édits sont bafoués. C’est gros, c’est énorme, mais il faut
voir plus loin, celle d’une dépossession et la poussée implacable de ce que
nous nommons la civilisation.
C’est un drôle de concept, la terre natale. Ce sont de drôles de
concepts, le territoire, la culture, la langue, la famille. Comment ça
fonctionne, dans la tête des humains ? Ils sont les enfants de leurs parents.
Ils naissent au sein d’une communauté à un moment précis quelque part. Mais
d’où vient cette incroyable force collective qui mène le monde depuis toujours :
défendre son territoire, son identité, sa langue ? D’où vient cette nécessité,
comme innée, depuis le fond des âges, qui veut que l’espèce humaine se batte et
s’entretue au nom d’un lieu, d’une famille, d’une différence irréductible ?
Pourquoi mourir pour tout ça ? (p.110)
C’est ce que j’aime chez Éric Plamondon. Il ne se contente pas d’une
aventure rocambolesque, mais se questionne sur la nature de l’humain et ses
agissements, le milieu, le comportement des saumons par exemple, la nature qui
devient agissante. Et nous sommes peut-être seulement des bêtes qui défendent
un espace et un lieu pour se nourrir et se reproduire. Notion dépassée ?
Peut-être tout simplement que ce désir réside dans notre ADN et nous pousse à
protéger un territoire pour soi et sa descendance.
BRUTALITÉ
Nous basculons dans un monde rude où tous agissent sans scrupules,
s’approprient des terres, utilisent les femmes comme du bétail. Le vieil indien
redresseur de torts et le garde-pêche sont aussi impitoyables et insensibles
que les envahisseurs. Bien sûr que les bons vont triompher et qu’Océane sera
libérée des mains des exploiteurs. Elle s’exilera dans la ville, étudiera pour
s’arracher à la misère et à toutes les humiliations qui écrasent son peuple. C’est
le sort des autochtones maintenant. Tous doivent acquérir un savoir et arriver
à vivre à la manière de ceux et celles qui se sont approprié leur pays. Ceux
qui survivent dans les réserves font face à des problèmes quasi insurmontables
de misère et de dépendance.
Éric Plamondon nous plonge dans une actualité dérangeante, ne se
tient jamais dans la demi-mesure. Le monde se fait et se défait.
Un livre qui éclaire nos rapports avec des populations qui ont tout
perdu et qui survivent sur des réserves trop étroites. Il faut en parler encore
et encore dans l’espoir que les choses changent et que des Mi’gmaq, les Innus,
les Algonquins ou les Hurons retrouvent leur fierté d’être, arrivent à vivre selon
leurs traditions et leur manière de voir le monde. Un roman qui transcende
l’action et les agissements des personnages pour nous plonger dans la violence de
ceux qui envahissent un espace et en chassent les occupants. C’est toute
l’histoire de l’Amérique qui refait surface dans ce roman. Il ne faut pas
l’oublier.
TAQAWAN
de ÉRIC PLAMONDON,
roman paru au QUARTANIER.
PROCHAINE
CHRONIQUE : LE
PLONGEUR
de STÉPHANE LARUE.
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