DEPUIS QUAND je lis Monsieur Archambault ? Il me semble que j’ai commencé à partir de son premier ouvrage : « Une suprême discrétion ». Peut-être que je l’ai découvert plus tard et que je l’ai fréquenté à rebours, remontant aux sources tout en attendant les nouveautés. Je ne sais plus très bien. Ce doit être cette impression qu’il donne à tous ceux et celles qui le suivent. La certitude d’avoir toujours été là. Il est de ceux qui ont marqué ma vie avec Marie-Claire Blais, Victor-Lévy Beaulieu, Jacques Poulin, Gaétan Soucy, Gabrielle Roy, Alain Gagnon, Nicole Houde et bien d’autres. Des auteurs que j’attendais fébrilement et toutes leurs publications ont été une fête. Et quand le narrateur se demande s’il y a encore un brave qui se penche sur ses phrases, et si ses livres intéressent des gens, ça me fait sourire. Je suis là, Monsieur Archambault, toujours là à souhaiter que « Les années s’écoulent lentes et légères », autant de mon côté que de celui de votre aventure d’écrivain.
Des nouvelles en cet hiver imprévisible et plein des turbulences qui viennent du Sud. Vingt-deux où j’ai retrouvé cette voix, cette petite musique que j’aime, ce « je ». Peut-être que c’est, Monsieur Archambault, lui-même, ou encore un déguisement, un masque… Je sais, je me répète. Je suis devant un même narrateur qui fait de nous son confident. C’est peut-être l’un des secrets de Monsieur Archambault. Et comment ne pas se tourner vers le passé quand on constate que la route a été longue, trop peut-être ?
L’écrivain est bien installé dans la saison de la mémoire, des souvenirs, des histoires que l’on transforme, que l’on embellit certainement ou que l’on réinvente pour se prouver que l’on est là avec toute sa tête et son imagination ; se demandant si on peut réussir un texte et surtout, pour faire la part des choses, se faufiler entre le superflu et l’essentiel. Voilà ! J’écris comme si j’accompagnais Monsieur Archambault, comme si nous allions tous les deux en hésitant un peu sur les trottoirs de la ville qui deviennent trop étroits.
C’est peut-être ça la magie de Monsieur Archambault. Il nous entraîne dans son monde et nous ne pouvons que nous ajuster à son pas.
SOLITUDE
Un solitaire peu bavard avec les amis, ses enfants de plus en plus étrangers et occupés à en découdre avec le quotidien. Et il y a des amours, ces femmes qui retournaient l’âme et qui l’ont accompagné avant que leurs routes ne se séparent. Certaines ont perdu leur visage, tandis que d’autres restent à l’avant-scène.
« Elle était la vie même, à la fois douce et exubérante alors que moi, j’étais le perpétuel hésitant, le raisonneur. Pour un peu, je lui aurais conseillé de me laisser au désarroi derrière lequel je me dissimulais. J’avais été un enfant triste, me rappelait ma mère les dernières années de sa vie. Il paraît que je ne sanglotais pas. Le trépignement n’était pas non plus mon affaire. Je n’ai pas non plus pleuré lorsque Roxane m’a quitté. Je n’ai rien fait pour la retenir. » (p.15)
Le temps embellit tout, certainement. Enfin, tout ce que l’on gagne ou que l’on perd, tous ces moments de passion, avec ce désir de laisser des traces ou son nom sur la page de quelques livres, des histoires qui ont eu la vie des météorites.
Peut-être que nous devenons tous des solitaires en accumulant les années. Et comment éviter de fouiller dans ses souvenirs quand quelqu’un vous oblige à vous regarder dans un miroir ? L’aventure se trouve alors dans les territoires du vécu.
Cette description de l’enfant seul et triste que je cite plus haut donne l’image de l’adulte qui ne pourra s’abandonner aux grandes marées qui brassent l’être. Monsieur Archambault a été celui qui va sans faire de bruit dans des sentiers plus ou moins fréquentés, malgré sa vie dans les médias et à la radio, surtout.
Et comment ne pas sourire quand il parle des écrivains ?
« J’estime qu’un écrivain est un être à fuir. Il vous en voudra toujours un jour ou l’autre. La plupart du temps pour un détail sans importance, un adverbe, une virgule, un imparfait du subjonctif incongru. Surtout si, à l’instar de Jérémie, il vous soumet la moindre page qu’il écrit. Je n’ai jamais pu savoir si mon jugement lui importait ou si, sur ce chapitre, il n’était que vaniteux. » (p.52)
Je pense à des proches qui me demandaient de lire leur manuscrit. Ils espéraient un regard franc et honnête. J’ai acquiescé parfois. Et quand je leur expédiais une longue lettre, pour leur signaler des ratés ou des passages à revoir, tout se gâchait. Certains m’en ont voulu. Je refuse maintenant ce genre d’aventure, ce que j’aurais toujours dû faire. La plupart des écrivains ne cherchent pas à savoir la valeur de leur travail, mais ils quêtent des flatteries.
Monsieur Archambault a bien raison.
Il y a des exceptions, bien sûr. Ma compagne, Danielle Dubé. Nos lectures ont été franches et enrichissantes. Et l’incomparable Nicole Houde, qui lisait mes livres en soupesant chacun des mots. Je la taquinais en lui disant qu’elle était un « scanner ».
Les personnages de Monsieur Archambault vivent souvent dans un appartement où ils ont de plus en plus de mal à s’entendre avec le quotidien. Le réel leur échappe et ils glissent tout doucement dans un cocon où plus rien ne les touche. Je pense à cet auteur qui devient un ami dans la nouvelle « Lentes et légères », la plus longue du recueil. Un écrivain célèbre que le critique a écorché avec une petite joie propre à la jeunesse se retrouve voisin de palier. Des liens se créent. L’ancienne tête d’affiche a beau prétendre qu’il se moque de tout, on voit bien que c’est tout le contraire. Il tente plutôt de se convaincre que cela n’a plus d’importance, mais ne cesse de noircir des pages ou d’accorder des entrevues pour demeurer à l’avant de la scène.
RENCONTRES
Je suis allé avec des collègues raconter des histoires, avant la période de Noël, dans des résidences pour personnes âgées à Alma, Chambord et Roberval. J’y ai croisé des gens que j’ai connus comme journaliste, des amis presque, des artistes qui ne peuvent plus peindre ou créer de la beauté avec leurs mains. Certains s’y font et d’autres moins. Et, il m’a semblé que c’était possible de passer des moments heureux dans ces grandes maisons, de se parler, de s’écouter et de s’entraider. Tout le contraire de ma mère, qui a vécu isolée dans le foyer de La Doré, ne quittant guère sa chambre et ne se mêlant presque jamais aux activités du groupe. Je sais. S’il y avait une trentaine de spectateurs attentifs pour entendre nos histoires, il y en avait beaucoup plus qui sont demeurés dans leurs quartiers. Il y a les conviviaux dans ces résidences et les solitaires.
COMPLICITÉ
Un ensemble de nouvelles vibrantes que celles des « Années s’écoulent lentement et légères ». Elles me montrent le chemin que je vais bientôt emprunter. Oui, je l’ai déjà mentionné en chuchotant « à voix basse » sur l’une de vos dernières publications, Monsieur Archambault.
Je ne me lasse pas pourtant de ces amours gâchés par la faute du narrateur, des écrivains qui attirent son attention, leurs manigances souvent pitoyables et d’autres fort attachantes. Il y a les phrases, cette belle façon de s’accrocher au monde en faisant le moins de bruit possible.
« Maintenant que la vieillesse a foncé sur moi, mon enfance ressurgit. Je m’imagine revenir à ce moment de l’existence où tout était lenteur. Une lenteur qui n’a jamais existé, je ne l’ignore pas.
Je revois l’enfant que j’étais, je fais appel aux quelques souvenirs qui me restent. J’entends la voix de ma mère. Le temps me semble irréel. L’enfant que je recrée, est-ce bien moi ? Cela n’a aucune importance. » (p.69)
Non, c’est de la plus haute importance. Il y a toujours le jour, celui que l’on marque par quelques mots, des bouts de phrases et des regards. Monsieur Archambault a réussi à me secouer une fois de plus avec ses sujets et ses hésitations. C’est pourquoi cette voix douce, ce chuchotement reste unique et nécessaire. Vous me donnez du bonheur, Monsieur Archambault, c’est ce qu’il y a de plus précieux.
ARCHAMBAULT GILLES : « Les années s’écoulent lentes et légères », Éditions du Boréal, Montréal, 112 pages.
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/les-annees-ecoulent-lentes-legeres-4083.html
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