jeudi 6 octobre 2022

JULIANA LÉVEILLÉ-TRUDEL EST DE RETOUR

ON A TOUT L’AUTOMNE marque un retour pour Juliana Léveillé-Trudel. Son premier livre, Nirliit, paru en 2015, a connu un beau succès. Sept ans depuis avant de mettre les pieds à Saliut, là où se déroule l’action de son roman précédent. Du moins dans un ouvrage littéraire. Bien sûr, tout change. On a construit des maisons, un aéroport et les enfants que la monitrice a côtoyés sont des adultes. Un projet la ramène pour un séjour de quelques mois, le temps d’un hiver. Elle va faire écrire des jeunes sur leur réalité de tous les jours. Des poèmes en Inuktituk et la traduction en français par après. S’ajoutera en cours de route des dessins, des illustrations pour enrober ces textes qui témoignent de la vie dans ce pays envoûtant. Des surprises et surtout cette langue si mal connue et si belle. 


Ça m’a fasciné, dès les premières pages, la présence de l’Inuktituk, des mots, des phrases qui s’imposent au fil de la narration et qui permettent de se faufiler dans le quotidien des Inuit. Pour une rare fois, j’ai eu l’impression d’entrer dans l’intimité de ces gens et de ne plus être un visiteur qui fait face à une réalité qui lui échappe. Surtout, j’ai pu me familiariser avec quelques expressions qui deviennent un véritable poème. Des vocables comme des balises qui nous entraînent dans un Québec tellement méconnu. Et ce ballottage entre l’anglais, le français et leur langue. Les Inuit vivent une situation linguistique très particulière.

«Cap Wolstenholme, le point le plus septentrional du Québec. Les Inuit disent Anaulirvik. Je désapprends la géographie, j’appelle les endroits par leur nom. Je m’enfarge dans Kangiqsualujjuaq au lieu d’utiliser George River. J’ai un vrai dictionnaire à présent, mais j’ai quand même gardé mon vieux cahier, avec les mots écrits au son minutieusement récoltés auprès des enfants.» (p.10)

La narratrice a étudié la langue pendant toutes ces années, assez pour entretenir une conversation et se faire comprendre par ceux et celles à qui elle s’adresse. 

 

LA VIE

 

Bien sûr, tous ont traversé ces années de façon bien différente. La vie est cruelle, particulièrement dans le Nord où les extrêmes s’affrontent. Maggie est devenue une jeune femme qui imite les vedettes qu’elle admire à la télévision et sur les réseaux sociaux. Elle est brusque, fantasque et a connu des heures difficiles, possiblement une agression. Juliana Léveillé-Trudel reste discrète. Dans ces communautés, on n’aborde jamais les traumatismes et les drames personnels. On fait comme si de rien n’était malgré les comportements étranges et souvent provocants des victimes. 

La narratrice a abandonné son compagnon à Montréal, histoire de prendre un recul, de voir peut-être où ils en sont dans un couple où les deux cherchent leur espace. Lui n’est pas pressé de s’installer et elle démontre une certaine impatience. 

«Deux vies qui se sont croisées à un drôle de moment. Une relation de dix ans qui se terminait. Un amoureux enfin après une longue attente. Je m’imaginais déjà porter ses enfants après notre première rencontre, des bébés aux boucles rousses. Il avançait avec précaution, comme s’il hésitait à se lancer à nouveau après avoir aimé quelqu’un si longtemps.» (p.30)

Les petites filles qui suivaient la monitrice sont devenues des femmes qui vivent leur vie en risquant les faux pas. 

«Elles zigzaguent en souriant sur leurs talons vertigineux, elles s’approchent en faisant valser leurs anneaux d’argent, scintillantes comme une bordée de neige fraîche. Elles sentent le tabac et la gomme balloune aux fraises, elles parlent fort, toutes en même temps, en inuttitut, en anglais, en français.» (p.18)

Des adolescentes bruyantes qui cherchent à attirer les regards comme partout dans le monde et à se persuader que l’avenir leur appartient.

 

AUTRE RÉALITÉ

 

La narratrice chasse les anciennes images et plonge dans cette réalité qui la fascine. Elle est là pour étudier la langue, faire écrire des enfants et apprivoiser un milieu qui garde ses mystères. Surtout apprendre la vie des gens de Saliut et comprendre mieux leurs regards et leurs habitudes. 

La population du Nord, surtout les jeunes, est ballottée entre la tradition et le monde du Sud qu’ils découvrent par le biais des communications. Toutes leurs références sont menacées par la puissance des images qui les assaillent et qui ne correspondent guère à leur réalité. C’est difficile d’imaginer des filles en talons aiguilles dans cette petite ville et de les surprendre un peu plus tard aux commandes d’un tout-terrain qu’elles manient comme des pilotes de formule Un.

La narratrice doit mettre les choses en ordre dans sa vie. Elle a perdu sa mère et Gabriel garde ses distances malgré son empathie et sa présence chaleureuse. Cette solitude lui permet de ressasser des images, de revivre des moments pénibles et d’apaiser des souffrances et des chagrins.

Maggie avec ses fanfaronnades démontre bien sa grande fragilité et la douleur qu’elle tente d’anesthésier. Mais que faire auprès de ces boules de colère et de rage qui passent leur mal en filant sur leur véhicule à des vitesses vertigineuses

 

AMOUR

 

Juliana Léveillé-Trudel aime le Nord, le climat extrême. Elle traduit magnifiquement la beauté des lieux, les rivières et les collines, l’hiver qui arrive si tôt, un fjord qui finit par s’étouffer sous la glace et la neige, l’air qui coupe le souffle tellement le froid est intense. Et aussi le spleen, la terrifiante solitude qui vous tombe dessus et vous pousse vers une bouteille qui engourdit peu à peu. 

Tom est largué par son amoureuse Alice qui est toujours partie. D’autres vont et viennent en tentant de trouver un point d’ancrage. Maggie s’exile un certain temps à Montréal et Nathan se réfugie dans la toundra pour oublier la mort tragique de son grand copain. Mary combat une pneumonie qui la laisse sans force et comme ailleurs, tout cela dans le plus incroyable des silences, la beauté menaçante et envoûtante du vent, de la lumière et de la neige qui recouvre tout. Il suffit de si peu pour qu’un être cher disparaisse. La maladie, un accident, un geste et tout bascule. Juliana Léveillé-Trudel décrit bien la fragilité de la vie qui court sur un fil tendu qui risque de se rompre à chaque pas. 

Reste le regard de l’autre, l’écoute, sa présence, les rires et ces poèmes qui aspirent la narratrice. Une langue avec ses formules qui englobent une saison, un moment, un lieu et une histoire. Un mot, et c’est un événement qui se déroule devant elle.

Touchant de tendresse et d’humanisme. Ça fait l’effet d’un breuvage chaud ou encore d’une attisée qui vient vous réchauffer les os. C’est splendide, d’une justesse, d’une ouverture formidable envers l’autre pour se ressourcer et mieux se sentir dans tous les territoires de sa pensée et de son corps. Un roman fascinant et hypnotisant comme un jour sans fin ou une nuit qui s’étire sur le pays pour l’engourdir.

 

LÉVEILLÉ-TRUDEL JULIANAOn a tout l’automne, Éditions LA PEUPLADE, Saguenay, 216 pages. 

https://lapeuplade.com/archives/livres/on-a-tout-lautomne

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