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jeudi 13 octobre 2022

LA GRANDE QUÊTE DE DOMINIQUE FORTIER

DOMINIQUE FORTIER connaît des moments d’insomnies et décide de combler ce passage à vide en écrivant. Vous le savez, le temps s’étire et les heures peuvent devenir interminables lorsque vous n’arrivez pas à fermer l’œil et que vous avez l’impression de devoir vous battre avec votre oreiller. Écrire pour colmater les brèches en attendant la poussée du jour, la lumière du soleil qui rend le monde visible et rassurant. Ces plages de nuit permettent une plongée en soi, dans Quand viendra l’aube, un petit livre d’à peine une centaine de pages qui nous entraîne dans l'intimité de cette grande écrivaine.


J’aime les carnets, ce genre littéraire qui se faufile dans les coulisses et surprend un auteur que nous connaissons souvent dans ses déguisements et ses fictions. Dans cette forme d’aventure, il enlève son maquillage et son habit de scène pour se montrer dans sa vérité et sa fragilité. Tous les masques tombent et l’humain se révèle. Le rôle qu’impose la société disparaît.

C’est une Dominique Fortier tourmentée, hésitante, peu sûre d’elle que l’on retrouve dans ces courts textes. La femme dans ses inquiétudes et ses craintes se manifeste, mais aussi celle qui fréquente le bonheur dans les lieux qu’elle habite et qu’elle aime plus que tout. L’insomnie fait surgir des peurs et des angoisses, des questions qu’elle n’aborde jamais dans sa vie active ou en plein jour. 

«La pluie crépite sur le toit en tôle, de tout petits doigts qui pianotent. Je finis par ouvrir les yeux pour découvrir que ce n’est pas le soleil qui se lève, mais la lune qui flotte dans le coin de la grande fenêtre donnant sur la pointe de Prouts Neck; son éclat multiplié par les gouttes d’eau sur la vitre comme par autant de loupes minuscules fait une sorte de projecteur laiteux qui plonge la chambre dans une clarté bleutée semblable aux premières lueurs du crépuscule de l’aube. J’écris ceci au milieu de la nuit, un faux matin.» (p.7)

J’ai renoncé à travailler le soir, avant d’aller au lit, parce que je passais des heures à me coltailler avec les personnages qui me rendaient mal à l’aise et qui venaient me hanter. Oui, il nous arrive de fréquenter des héros que l’on aime moins. Je pense à mon Ovide dans Les oiseaux de glace qui me perturbait drôlement.

Écrire pendant ses insomnies n’arrange certainement pas les choses. J’affirme cela, mais je ne sais rien. Je m’adonne à mes fictions tôt le matin parce sans cela, mon sommeil deviendrait une course à obstacles jusqu’aux premières lueurs de l’aube, ce moment où les corneilles en ont long à dire. Peut-être qu’elles ne peuvent s’empêcher de raconter leurs mauvaises nuits et leurs rêves, ces grandes jacasseuses.

 

DÉMARCHE

 

Dominique Fortier se laisse aller et les mots l’entraînent un peu partout. C’est le propre du carnet que de partir sur un sentier, un tout petit chemin avec des courbes et des buttes, des bancs et des points de vue qui nous arrêtent. Rien ne presse alors. Contempler un arbre devient une chose importante ou surveiller les agissements d’une mésange un véritable devoir. 

J’aime particulièrement la réflexion qui amorce l’ouvrage de Dominique Fortier. Elle s’attarde à la définition de l’aveugle. Comment percevait-on ce handicap dans l’antiquité? «Être aveugle, ou aveuglé, ce serait en somme l’équivalent d’un éblouissement, d’un trop-plein de lumière, à cette différence près qu’à celui qui se fait éblouir (on disait anciennement esbleuir), tout paraît bleu.» (p.8)

Quelle belle métaphore pour montrer le périple de l’écrivaine! Voilà qui cerne bien le carnet, cette aventure où elle avance en tâtonnant. Surgissent alors des moments ou des événements dont elle n’a jamais parlé pour toutes les bonnes et mauvaises raisons du monde. 

Dans L’enfant qui ne voulait pas dormir, j’ai hésité après m’être surpris dans des souvenirs que j’avais profondément enfouis pour ne plus y penser. C’est revenu à la surface, cette peur de la mort, mes veilles dans la nuit, mes tremblements devant la fenêtre.

Je me devais de tout garder. Cette forme d’écriture exige de ne jamais succomber au raisonnement ou à l’organisation. Il faut suivre l’imagination vagabonde qui vous entraîne dans le pays des réminiscences, des odeurs et des musiques étonnantes. Les auteurs qui réfléchissent trop dans la rédaction d’un carnet biaisent l’entreprise et basculent du côté de l’essai.

Bien sûr, on n’invente rien en se risquant dans cette écriture. Nos préoccupations s’imposent, nos obsessions, des douleurs que l’on croyait effacées. Le décès de son père, encore toute récente, un homme tourmenté qui a marqué sa fille s'impose. 

«Ce matin-là, le Saint-Laurent coulait à rebours vers sa source et son origine. À l’heure de la mort de mon père — 10 h 40, le médecin a regardé sa montre —, après un moment d’étale, le balancier cosmique s’est remis en mouvement et le grand fleuve a repris sa course vers l’océan.» (p.11)

Une poussée vers les commencements, avant que tout ne redevienne à la normale. Des lectures, des rencontres et aussi sa fille Zoé qui va en se délestant de toutes les inquiétudes pour profiter de ce qui lui arrive. 

Il y a les retours à la maison près de la mer, la plage, les vagues, les marées, le vent, les goélands qui inventent des mondes et surtout cet air imbibé de sel qui l’enivre et la fait respirer comme jamais. Et Émilie Dickinson qui la hante depuis des années et qui est devenue quelqu’un de concret dans sa vie, autant que les amis qu’elle oublie dans ses jours d’étourdissements et de gros nuages. 

 

BEAUTÉ

 

Toute la grâce et l’intérêt du carnet résident dans ces textes de quelques lignes qui émergent comme un bouquet de fleurs. L’instant vous secoue, des rencontres et des moments inoubliables. La vie dans toute sa beauté et son intensité. Quelques phrases et un monde vous aspire.

Une méditation, un retour sur soi et des événements, des plaisirs comme des douleurs qui vous pincent le cœur, vous rendent conscient et plus vivant. 

«Je ne pense sans doute pas comme il faut, mais chez moi les mots et les idées ne se présentent jamais séparément; je n’ai jamais, avant d’écrire, une idée, même floue, même incomplète, de ce que je m’apprête à dire. L’idée apparaît après, une fois que les mots l’ont incarnée. Pour être tout à fait exacte, elle naît probablement en même temps que les mots qui la nomment et sans lesquels elle ne prendrait jamais corps, mais je n’ai pas réellement conscience de participer ni même d’assister à cette naissance, je ne peux que la constater a posteriori, parfois avec une légère surprise, comme si cette idée avait été énoncée par quelqu’un d’autre.» (p.61)

Voilà qui me plaît. Quand je me lance dans une fiction ou une chronique, je ne planifie rien. Bien sûr, je cherche un élan et une direction. Je sais, la fin arrivera, mais entre ces deux points, c’est l’inconnu. J’adore ce bonheur, le goût des phrases, le risque du plein midi soleil pour me sentir vivant, là, la main sur le tronc crevassé d’un pin blanc et la tête dans les nuages. 

Dominique Fortier se questionne sur son drôle de métier, son amour des livres, certaines rencontres marquantes comme celle de François Ricard, son père, les lieux où elle revient saison après saison avec un plaisir renouvelé. 

Le lecteur découvre la quête de la romancière dans ce livre précieux. Peut-être que c’est tout simplement un désir d’apprivoiser les craintes et de pouvoir respirer le mieux possible qui la pousse vers les livres. Écrire est une passion qui exige tout de votre âme et de votre esprit. Dominique Fortier nous le démontre dans Quand viendra l’aube. Un bonheur à savourer tout doucement, en prenant son temps pour ne rien rater.

 

FORTIER DOMINIQUEQuand viendra l’aube, Éditions ALTO, Québec, 104 pages.

https://editionsalto.com/livres/quand-viendra-laube/ 

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