NAOMI FONTAINE dans Manikanetish donne une voix aux Innus de Uashat sur la
Côte-Nord. Pour une fois, c’est une Innue qui prend la parole pour raconter le
vécu dans cette réserve située près de Sept-Îles. Yammie est née à Uashat, mais
elle a grandi à Québec. Sa mère souhaitait échapper à
l’enfermement de la réserve et au sort qui guette les Innus qui ne s’éloignent
pas de leur lieu de naissance. Après des études en littérature à l’Université
Laval, elle accepte de retourner dans son pays pour enseigner aux garçons et
aux filles de l’école Manikanetish (Petite Marguerite). La jeune femme a l’occasion
de renouer avec sa culture qu’elle connaît bien mal et un milieu qui hante un
peu son imaginaire. L’aventure s’avérera exaltante et sera surtout une
véritable initiation pour la nouvelle enseignante !
Curieusement, le roman de Naomi Fontaine reprend la trame du roman Uashat de Gérard Bouchard paru en 2009. Contrairement
au roman de madame Fontaine cependant, Bouchard met en scène un Blanc qui
débarque dans la réserve pour un travail de recension des familles. Le jeune
homme vit un véritable choc des cultures. Florent Moisan ne connaît rien des Innus
et il se heurte à une réalité bien différente de celle qu’il a lue dans les
livres. Il fait face à une culture inconnue et des manières de vivre qui le
laissent perplexe.
Les Innus, ce peuple si loin et si près. J’ai grandi à quelques
kilomètres de Mashteuiatsh et pourtant je n’ai jamais eu de contacts avec ses
résidents. C’était même très mal vu de le faire. Chacun son territoire et ses
préjugés. Moisan croise Sara, une belle jeune fille qui bascule le plus souvent
possible dans les pires excès avec ses amis. Elle lui permettra de prendre conscience
des drames qu’affrontent les jeunes de la réserve dans les années cinquante. Il
s’agit bien sûr de la vision d’un Blanc. Tout le contraire chez Naomi Fontaine.
J’ai pris du temps avant de mettre la main sur Manikanetish parce que plusieurs maisons d’édition ne se soucient
guère d’envoyer leurs nouvelles parutions aux chroniqueurs. Comme si la
diffusion n’avait pas d’importance pour elles. J’ai du mal à comprendre cette
indifférence. Comment les lecteurs peuvent-ils apprendre qu’il y a un nouveau
roman ou un recueil de nouvelles, si on ne fait pas d’efforts pour les informer
? Un autre mystère du monde de l’édition et je crois que bien des écrivains
sont bernés par ce silence. Pourtant, l’éditeur s’engage à diffuser et à faire
la promotion de l’ouvrage dans le contrat qu’il signe avec son écrivain. Pourquoi
éditer si on ne le signale à personne ? Et il y a des lecteurs en dehors de Montréal.
RENCONTRE
J’ai assisté à une rencontre de Naomi Fontaine avec un groupe de
lecteurs lors du dernier Salon du livre de Montréal. Nous devions être une
vingtaine à écouter l’auteure expliquer sa démarche et la genèse de son roman.
C’était fort sympathique et il y avait une fébrilité dans l’assemblée que l’on ressent
peu souvent dans une rencontre du genre. J’ai compris après quelques minutes qu’il
y avait plusieurs Innus dans l’assistance qui buvaient les paroles de
l’écrivaine. J’ai acheté un exemplaire après la conférence. Je ne l’ai pas fait
dédicacé parce qu’on faisait la file devant l’auteure. Ça arrive qu’un
chroniqueur achète des livres.
Yammie revient dans son pays. Un retour, mais surtout une plongée
dans son enfance même si elle se souvient peu ou pas de sa vie dans la réserve.
Elle était si jeune quand sa mère a choisi de s’exiler à Québec pour fuir peut-être
une sorte de malédiction. Même si elle parle la langue innue, elle est maintenant
une étrangère, une Blanche. Tout est nouveau et elle est un peu nerveuse parce
que c’est sa première expérience dans l’enseignement.
Une véritable migration pour la jeune femme qui abandonne un
amoureux, des projets d’avenir pour s’installer tout près de Sept-Îles. Bien
des souvenirs refont surface alors, comme son départ de la réserve.
L’exil se trouve à huit heures en voiture et il
a la peau pâle. Il avait fallu à ma mère deux jours pour faire la route, cette
distance que je ne pouvais calculer que par le nombre de villages à traverser.
J’ai fini par les apprendre par cœur. Et les arrêts, et les étapes. Suivre le
rythme des courbes et des montagnes de la Côte-Nord. Avancer à la limite
permise. J’avais sept ans. Petite fille brune parmi tous ces visages blancs,
ces yeux pâles, bleus ou verts, ces cheveux blonds ou frisés. Étrangère.
Nouvelle venue. Différente. Constater ma peau foncée. Ne pas me sentir chez
moi. (p.10)
Et voilà la jeune femme devant une classe de garçons et de filles
du secondaire. Plusieurs des étudiantes cherchent tant bien que mal à terminer
leurs études même si elles sont déjà des mères de famille et qu’elles s’occupent
des enfants après leur journée à l’école. Une réalité que Yammie n’avait pu imaginer.
La vie dans la réserve la heurte, la bouscule et Naomi Fontaine
n’évite pas les problèmes que les jeunes affrontent dans leur milieu souvent
très dur. L’alcool et la drogue ne prennent pas toute la place cependant comme
dans les romans des Blancs et c’est fort heureux. C’est là, en toile de fond,
comme un décor. On sent que l’écrivaine n’a pas envie de s’enfoncer dans les terribles
problèmes qui font trop souvent les manchettes dans les médias. Surtout en ces
temps de Commission de réconciliation nationale qui a bien du mal à faire tenir
les morceaux de sa mission depuis ses débuts malgré des témoignages
bouleversants.
La mort de la mère d’un jeune garçon, le suicide d’une étudiante
laissent tout le monde sous le choc. Comment réagir, comment se comporter
devant un drame qui secoue toute la communauté ?
Rapidement, ma pensée est allée vers Myriam. Sa
sœur cadette. Ma douce Chimène. Où était-elle en ce moment ? Avec sa famille.
Son amoureux. Près, très près de ceux qu’elle aimait. J’imaginais les
tourments. Le cœur qui se braque. Le cauchemar d’être réveillée en pleine nuit
et de se faire dire que… que quoi ? C’est pour elle que mes yeux se sont
embués. Et pour la fatalité. Et pour la souffrance qui fait mourir. Et pour la
peur. Pour cette envie irrépressible d’être ailleurs. (p.78)
Heureusement, il y a des moments de bonheur dans la forêt, un
ressourcement et un aperçu de la vie des ancêtres. Yammie retrouve des repères,
des manières de vivre et comprend comment la vie de ses grands-parents pouvait
être exaltante malgré les difficultés. Ils devaient se montrer ingénieux pour
survivre dans une nature qui ne fait pas souvent de faveurs.
LES
MOTS
Un mot en début de chapitre et l’écrivaine s’attarde ensuite à
élaborer sur le sujet. C’est toujours très court, quelques pages tout au plus, assez
pour nous entraîner dans un monde fascinant et toujours étonnant.
Nous passons à travers l’année scolaire avec les hauts et les bas
de la vie des étudiants, ceux aussi de la jeune enseignante qui souffre de
solitude et rencontre un homme un peu irresponsable, un séducteur qui ne songe
qu’à la fête. Elle se retrouve enceinte et décide de garder l’enfant. Elle vit
ce que vivent plusieurs de ses étudiantes et apprend surtout ce que peut être
la solidarité et l’entraide.
Ce jour-là, j’ai moins admiré leur capacité à
rester solidaires envers Myriam que leur ténacité. L’une des leurs vivait un
moment difficile, peut-être le moment le plus tragique qu’elle aurait à subir
durant toute sa vie, et ils gardaient la foi. Ils savaient qu’elle surmonterait
cette épreuve et reviendrait pour finir ce qu’elle avait commencé. Ce n’était
pas de la candeur. Très loin d’être naïfs, ces jeunes avaient conscience de la
vie et de la mort, de la souffrance et des moments heureux. Où prenaient-ils
toute cette force ? J’ai ressenti une émotion étrangement douloureuse dans mon
ventre. Prise en défaut, je savais que viendrait le moment où je devrais me
repentir et leur rendre cette admiration. Mais pas encore. (p.95)
Il y a aussi la folle aventure du théâtre, de monter, jouer et
présenter Le Cid de Corneille, un
drame si loin de la vie d’Uashat, mais qui emballe tout le monde et permet à
certains de s’affirmer et d’éclore comme les feuilles des bouleaux sous les
premières chaleurs du printemps.
Rien de spectaculaire, comme si Naomi Fontaine s’avançait dans son «
Nouveau Monde » sur la pointe des pieds pour écouter des jeunes et comprendre
leurs problèmes.
L'écrivaine n’évite pas les réalités déstabilisantes, mais cherche
plutôt à montrer les extraordinaires capacités de résilience de ces jeunes à
surmonter les pires épreuves et des drames qui peuvent briser bien des humains.
C’est d’une finesse émouvante, tout en dentelle, en délicatesse et j’ai quitté
ce roman à regret. Quelle belle découverte que cette écrivaine qui donne une
âme aux jeunes innus et en décrit les qualités ! C’est tellement attendu et
espéré cette voix que nous avons ignorée depuis tant de temps. Un roman
formidable d’empathie et d’humanisme. Nécessaire. Une écriture toute retenue et
fort belle, comme un murmure à l’oreille. Un bonheur de lecture.
MANIKANETISH
de NAOMI FONTAINE,
une publication des ÉDITIONS MÉMOIRE D’ENCRIER.
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