ESTELLE RENCONTRE Gloria près
de la rivière La Gouffre à Baie-Saint-Paul en 1951. La jeune femme rêve de
cinéma, de danse, de Hollywood et de devenir une comédienne que l’on reconnaît
et admire. Une femme qui échappe à tout ce que l’adolescente de 14 ans connaît.
L’étrangère devient son idole, son modèle, celle qu’elle veut imiter pendant
cet été de tous les enchantements. Elle découvre surtout des secrets sur la
nature humaine qui emprunte des chemins étonnants. Elle se heurte à la dure réalité
des femmes et les pièges de l’amour. Qui est Gloria, où logent la vérité et le
mensonge ? Estelle fait l’apprentissage de la liberté, du corps et ressent des pulsions surprenantes
Estelle vit une
époque où tout se bouscule. Le Québec s’ouvre au monde et penche vers la
modernité. Une période charnière où les traditions s’accrochent malgré les vents
du changement qui viennent de toutes les directions. Certaines sont des
aventurières comme Gloria qui gagne sa liberté en risquant tout, misant sur son
charme, son corps pour arriver à ses fins.
La jeune fille ressent
d’étranges pulsions qui la font voir, monsieur Louis, comme elle ne l’a jamais vu avant.
Et Gloria l’enchanteresse, la magicienne, l’insaisissable l’emporte dans ses
rêves et transforme la maison de ferme en lieu de toutes les découvertes.
Pourquoi cette
danseuse est venue travailler comme cuisinière ? Pourquoi on la tolère quand
elle joue à la vedette, chante, danse, se fait bronzer au soleil pendant que
les autres suent dans les champs ? Jacquot la vénère et Émile pardonne tout à la survenante qui est capable de toutes
les métamorphoses et de toutes les audaces malgré les haines qu’elle soulève.
Il n’y a pas plus
indépendant que moi dans la vie ! Et j’aime pas qu’on insinue le contraire. Je
suis rendue là où je suis rendue parce que l’ai voulu, moi, et personne d’autre
! D’ailleurs les femmes me le pardonnent pas, parce qu’elles m’envient ça
secrètement, ma force, mon audace, ma liberté. Ouais, si tu savais comme elles
me détestent. (p.35)
Gloria joue un jeu dangereux, mais elle sait à quoi s’attendre et son
rêve est plus fort que tout. Le monde d’Hollywood l’attire comme les flammes subjuguent
les papillons. Elle va partir, faire son chemin dans cette société où les femmes échappent
à toutes les contraintes, font tourner les têtes et captent tous les regards. Elle
veut devenir le centre, le soleil qui éclaire tout.
À ce moment-là, mes yeux tombèrent sur l’étiquette du tube
bronzant qu’elle avait déposé à ses côtés et lurent : Legstick d’Helena Rubinstein. Et je pensai que ces mots-là :
Helena Rubinstein, Rita Hayworth, Ali Khan, Guilda,
Copacabana, chorus line et d’autres que Gloria me faisait connaître, ils
valaient bien les efforts que je fournissais pour la satisfaire. Les mots de
chez moi, montagne, vallées, rivières, arbres ou encore couture anglaise,
couture plate, couture à bord étaient banals en comparaison. Gloria participait
de l’univers des oiseaux, libres et voyageurs, alors que j’appartenais au
reste, cloué au sol. (p.40)
Gloria est belle et le sait, joue sa vie, doit surtout
éviter les pièges de l’amour qui a presque tué sa mère qui élève sa famille
nombreuse et ne connaît que le travail et la misère.
TOURNANT
Tout bascule au Québec pendant les années d’après-guerre. Les idées
nouvelles secouent la poussière et tous peuvent relever la tête, penser et voir
autrement. Estelle a grandi avec ses tantes, des femmes indépendantes, capables
de subvenir à leurs besoins, des marginales en somme dans la petite société de
Charlevoix. Elles font de la couture et Estelle y apprend un métier qui lui
permettra d’acquérir son indépendance. À quatorze ans, elle touche la fin de l’enfance
et bascule dans le monde des adultes avec ses charmes et ses horreurs. Surtout,
elle sait d’instinct que le monde peut être différent de ce qu’on lui enseigne
à l’école. Elle est subjuguée par l’oiseau multicolore nommé Gloria, découvre la
musique, la danse, la sensualité et que le corps d’un homme et d’une femme peut
faire autre chose que répéter les gestes du quotidien et du travail.
MYSTÈRE
Que fait Gloria près de la rivière la Gouffre à Baie-Saint-Paul ?
Dit-elle la vérité en répétant qu’elle a dansé au El Morocco, le cabaret le
plus couru de Montréal, celui où les plus belles filles s’exhibent ? Pourquoi elle
disparaît dans les bois comme une bohémienne, revient les cheveux en bataille
et la robe pleine d’aiguilles de pin ? Pourquoi s’attarde-t-elle dans la maison
d’Émile où monsieur Louis la déteste ?
Estelle découvre qu’il ne faut jamais se fier aux apparences. La nuit révèle des
secrets à ceux qui savent veiller tard.
À distance d’une main, une lueur s’écoulait d’un bref interstice
entre deux planches… J’approchai mon œil de la fente. Au fond, sur un vague
écran de blancheur, se déroulait une étrange séquence… Un homme montait et
descendait sur une femme. Tous les deux étaient nus. Elle, cuisses écartées,
reins cambrés. Lui, musculeux, tendu, acharné sur sa proie. L’« écran de
blancheur » : une couche recouverte de draps blancs. Le lit de Louis dans
la chambre à coucher de Louis. Un silence de mort baignait la Scène…(pp.
176-177)
La jeune fille surprend les amours de Louis et Gloria comme si elle était
au cinéma. Elle n’a jamais imaginé qu’un homme et une femme puissent poser des
gestes semblables. Elle est profondément troublée, perturbée, dérangée. Y a-t-il une autre
réalité ? Des choses qu’elle n’a su voir jusqu’à maintenant…
ATROCITÉ
Gloria se fait violer par des garçons du village. Estelle la défend
comme une tigresse. Une scène brutale, un secret qu’elles partageront parce que
les femmes qui s’enfoncent dans les bois n’attirent l’empathie de personne.
Gloria joue, a toujours joué. Elle part avec un riche Américain, va à Hollywood
pour danser et concrétiser son rêve. Estelle apprendra bien plus tard qu’elle aura
eu une petite place dans ce monde où la réalité n'est pas celle que l'on connaît.
Encadrant l’article, des photographies de Gloria tirées de scènes
tournées pour le cinéma ou pour la télévision. Je m’attarde sur un gros plan…
Sensation étrange… Nos destins nous séparent maintenant et pourtant, en cette
seconde, les trente-quatre années entre nous se résument à une liste de dates…
Oui, mon monde d’adulte — plein, riche, créateur — tiendrait soudain en
quelques pages dans un roman, alors que mes yeux suivent le tracé du visage
tant aimé de Gloria et revoient trois mois d’un lointain été, comme les seuls
chapitres de mon existence. Une vie est une étoile filante. (p.374)
Personne ne pourra oublier. Gloria a été celle qui montre la voie en
risquant tout pour atteindre son rêve. Elle n’est certainement pas étrangère à
la démarche d’Estelle qui a tout fait pour éviter les pièges que la vie pouvait
lui tendre.
LIBÉRATION
Roman de libération, du rêve qui s’impose et emporte tout le monde
dans une tornade de désirs et de fantasmes. Une page d’histoire, une fresque
qui nous plonge dans ces années où le Québec ouvre des fenêtres pour respirer
l’air du large, découvre les plaisirs de l’esprit et du corps, entend l’appel de l’Amérique. Gloria paie cher sa liberté et son rêve. Tout comme Alys
Roby, cette étoile née trop tôt, que le milieu a brisée. Une page de notre
histoire comme si on la voyait sur un grand écran. La vie d’Estelle, mais
surtout un moment du Québec qui cherche à s’affirmer et qui arrive mal à
assumer sa liberté et ses rêves. Un roman d’apprentissage qui nous emporte dans
les volutes des cigarettes de Gloria, du rêve américain qui a séduit Céline
Dion et fait toujours rêver ceux et celles qui ne se contentent pas du quotidien.
La
GOUFFRE de CAROLE MASSÉ est publié chez XYZ ÉDITEUR.
PROCHAINE
CHRONIQUE :
Prague
de MAUDE VEILLEUX, paru chez HAMAC
ÉDITEUR.
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