lundi 16 septembre 2013

Louis-Philippe Hébert s’amuse avec son lecteur


Dans La Cadillac du docteur Watson de Louis-Philippe Hébert, Sherlock Holmes, le narrateur, répète qu’il rêve d’écrire une histoire où il ne se passe rien. L’écrivain nous entraîne sur les routes d’un Québec incertain avec deux hommes qui discutent pour tuer le temps. Vous avez bien lu, ce sont les personnages de Sir Arthur Conan Doyle, les célèbres enquêteurs qui ont fait ma joie à la télévision, il y a déjà plusieurs années. Je suivais leurs aventures religieusement sans porter de signes ostentatoires.

Le périple semble ne jamais vouloir prendre fin et la tension monte dans l’habitacle.
«J’ai voulu créer une diversion. J’ai ramené sur le tapis ma volonté d’écrire au moins une fois dans ma vie une histoire où il ne se passerait rien. Question de désamorcer chez moi, l’auteur, comme chez le lecteur de nos aventures, cet attrait si artificiel pour une chute, une conclusion, une trame.» (p.77)
Comment réussir une telle entreprise? Cela m’a rappelé André Girard. Il avait lancé lors d’une rencontre à Baie-Comeau, il y a quelques années, qu’il rêvait d’écrire un roman où il n’y aurait pas d’histoire, rien. Le public était demeuré étrangement silencieux.

Périple

La vieille Cadillac conduite par Watson tient la route malgré son âge vénérable. Les deux passagers se prennent pour les célèbres enquêteurs.
«Nous nous étions mis en tête de faire revivre de nouvelles aventures aux deux héros, des aventures où le docteur et le détective tiraient leur épingle du jeu. And dont tell me were just pretending, j’étais Sherlock Holmes. Le plus sérieux des deux. Et le plus âgé aussi. Presque du double de son âge. Watson venait d’avoir trente ans. Il était encore un enfant. J’écrivais le récit de nos aventures. C’est moi qui, le soir venu, les transcrivais le plus fidèlement possible.» (p.24)
Les deux filent vers Saint-Hughes, près de Saint-Hyacinthe. Tout peut arriver dans une auto comme rien ne peut arriver. Il faut s’abandonner au mouvement, être «témoin» du décor. Watson a demandé à son ami de l’accompagner. Il doit régler une affaire dans ce coin perdu.
La tension s’installe rapidement. Une forme d’agressivité même. Holmes s’inquiète et n’arrive pas à «plonger» dans une narration comme il le souhaiterait. Watson désamorce toutes les tentatives. Peu à peu, ils deviennent les sujets de cette aventure.
«Créer une histoire sans histoire était plus qu’un exercice littéraire. J’y voyais l’œuvre de ma vie. Un texte pur. Un texte sans fautes. Qui ne serait pas soumis à l’ordre des choses. Mon histoire où il ne se passerait rien. Où on ne meurt pas. Watson dirait : «Où on est déjà mort.» Où il n’y a pas de punition. Où le bonheur, c’est d’exister. Tout simplement. Watson avait tort. Je le prouverais. Je n’étais pas compliqué. Alors, je ne voulais pas laisser Watson s’interposer, même si ce dernier, je le sentais, considérait que c’était pour lui une mission divine de m’en empêcher. Divine ou diabolique, je vous laisse deviner.» (p.104)
Le paysage, la fin de l’hiver, les champs boueux, les villages, des propos nous permettent de nous accrocher à la réalité. Quelques allusions à la vie familiale des personnages, leurs amours, l’histoire ne s’égare pas dans les détails.

Narration

Les deux hommes ne seront jamais les limiers connus, mais cela n’a guère d’importance. Comment les abandonner dans ce printemps frileux? Les amis deviennent peu à peu des étrangers.
Les personnages peuvent être l’un et l’autre, tout est possible, tout peut arriver quand les histoires se mélangent. Comment savoir? La finale m’a beaucoup dérangé. Peut-être que le roman débute là, peut-être qu’il y a eu un drame que nous ne connaîtrons jamais.
Louis-Philippe Hébert est habile, brillant. Il s’amuse à faire et à défaire son récit pour mieux nous retenir. J’ai été aussi têtu que Holmes et Watson, autant que l’écrivain. J’ai apprécié cette narration pas comme les autres. En tant que lecteur, je fais toujours confiance à l’auteur. Il ne peut que me faire vivre quelque chose d’étonnant ou de décevant. Un roman qui illustre la vie, ou la mort? Comment trouver une justification à la vie et à la mort?
Une véritable expérience que ce voyage qui n’en est pas un, cette réflexion sur la narration, l’écriture et l’aventure littéraire. Un récit qui ne cesse de se construire et se défaire.

La Cadillac du docteur Watson de Louis-Philippe Hébert est paru chez Lévesque Éditeur.

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