dimanche 8 septembre 2013

Claudine Dumont nous plonge dans le vide


J’ai pris un certain temps à m’habituer à l’écriture de Claudine Dumont et à Anabiose. Un style hachuré, réduit à l’essentiel. Souvent, un mot, rien de plus. Un peu essoufflant, mais l’intrigue m’a emporté. J’ai ressenti la douleur, la colère et les désirs d’Emma. Je suis passé par toutes les émotions et j’ai compris, à la dernière phrase, que c’est ce que souhaitait l’écrivaine. Une allégorie qui permet au personnage de retrouver des sensations et des émotions qu’elle avait perdues, de redevenir humaine. J’ai pensé souvent à Ook Chunk pendant ma lecture, à L’Expérience interdite, un roman inoubliable. La comparaison est peut-être un peu forte, mais l’univers dans lequel nous plonge cette nouvelle écrivaine est tout aussi étrange.

J’aurais peut-être dû lire la définition «d’anabiose» avant de me lancer dans la lecture du premier roman de Claudine Dumont. Peut-être que j’aurais deviné dans quoi je m’aventurais. Le dictionnaire dit que ce terme de zoologie signifie «reprise de vie active après une phase d’endormissement ou d’hibernation». Est-ce que cela m’aurait avancé? Probablement pas. Voilà un suspense psychologique qui échappe à toutes les balises. Particulièrement déstabilisant.

Aventure

Emma est enlevée par deux hommes sans raison apparente. Cette solitaire sombrait lentement dans la déprime. Peu de contact avec les autres, pas même avec sa famille. Un travail abrutissant et l’alcool qui engourdit un peu plus chaque jour. Est-ce une raison pour se faire kidnapper?
«Je me redresse d’un bond en hurlant. J’ouvre les yeux. Déséquilibre. Je suis dans une pièce vide. Il n’y a pas de fenêtre. J’ai soif. À mes pieds, il y a un matelas. À même le sol. Gris. Propre. Rien d’autre. La tête me tourne, je retombe sur le matelas. J’ignore où je suis. Je ne me souviens pas comment j’y suis arrivée. Il y a un signal d’alarme qui hurle dans ma tête, aussi fort que la douleur.» (p.13)
La routine s’installe, faite de répétitions et d’occupations. Les geôliers s’occupent même de sa toilette personnelle pendant son sommeil.
«Mes cheveux sont humides. Mes vêtements sentent le désinfectant. Ils lavent mes vêtements. Ils me lavent. Je réalise que je n’ai pas eu de selles depuis que je suis ici. Lavements? Ils me lavent l’intérieur aussi? Comment font-Ils pour faire ça sans me réveiller? L’eau. Ils doivent mettre quelque chose dans l’eau citronnée. Je sens une sorte de révolte se former en moi. Ils me lavent l’intérieur. Ils me droguent. ILS. Une boule dans mon ventre. Puis rien. Qu’est-ce que je peux faire? Je ne peux pas arrêter de boire.» (p.30)

Elle dessine sur un mur avec le curseur de la fermeture éclair de sa jupe, dort, se réveille, boit, s’endort, dessine encore et court dans sa cage comme une bête.

L’autre

Un matin, elle sent une présence. Un homme dort sur un matelas. Il est là, simplement. Comment réagir?
«Il bouge. Dans son sommeil. Je veux qu’il ne soit pas là. Je veux le faire disparaître. Avant qu’il ne se réveille. Avant qu’il ne soit trop tard. Je veux le tuer. L’étouffer. Qu’il ne soit plus là. C’est simple. C’est instinctif. Une menace. Est-ce une menace? Est-ce que je peux tuer? Pour vivre? Pour survivre. Cette urgence, elle m’embrouille. Elle m’étouffe. Elle me paralyse. Vite. VITE! Mais vite quoi?» (p.36)
Les deux s’apprivoisent, bougent, se confient peu à peu. Elle travaillait comme aide-téléphoniste, un métier ingrat et peu valorisant. Lui spéculait à la bourse. Les deux savent que personne ne va s’inquiéter ou les rechercher. Pourquoi les garder ainsi? Qui se cache derrière les portes?
Ils parviennent à creuser un trou dans le mur et à s’évader. Façon de parler. Ils vont de couloir en couloir, se heurtent à des cellules semblables à celle qu’ils viennent de quitter. Pas moyen de trouver une sortie à ce labyrinthe. Ils sont repris et séparés. Emma s’était habituée à Julien, à sa présence, à son écoute. Elle a découvert l’autre, elle qui ne s’intéressait à personne avant.
«J’ai mal à la tête. Je n’ai pas encore ouvert les yeux. C’est le mal de tête qui me réveille. Julien. JULIEN. Je me redresse en ouvrant les yeux. Une autre pièce grise. En béton. Globe blanc. Matelas. Pichets. Pas de Julien. Ils ont tué Julien. Ce n’était pas lui l’expérience. C’était moi. Ils ont tué Julien. Odeur de désinfectant. Je suis lavée. J’ai un chandail. Il n’est plus sale, il n’est plus déchiré.» (p.138)
Une expérience qui risque de ne pas vous laisser indifférent.

Anabiose de Claudine Dumont est paru chez XYZ Éditeur.

1 commentaire:

  1. Il est vrai que ce style (épuré?) est très à la mode et plus les années avancent, plus les (jeunes) auteurs l'utilisent. J'aime bien à l'occasion mais alors il est assez difficile de lire ensuite... un Troyat par exemple. Notre cerveau prend quelques jours avant de saisir toute la complexité. Comme si on était passé des photos au film.

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