«Depuis toujours» de
Madeleine Gagnon témoigne du parcours fascinant d’une femme qui a toujours
cherché la liberté, l’égalité et la justice. Le tout sans masquer des
déceptions, autant professionnelles que familiales. Madame Gagnon a connu la
mesquinerie même si elle reste discrète. Jamais elle n’en profite pour régler
ses comptes. Un plaidoyer pour l’affirmation de soi et du Québec, de la
littérature qui dit une nation dans ce qu’elle a de plus vrai et de plus senti.
Le récit s’appuie sur sa vie,
ses idées, ses écrits et ses amitiés avec des écrivaines remarquables. Bien
plus qu’un récit autobiographique, l’écrivaine peint une époque charnière du
Québec.
Dans «Depuis toujours» comble
jusqu’à un certain point mon ignorance de l’œuvre de cette écrivaine. Elle
raconte son enfance à Amqui, brosse un portrait fascinant de ses parents et
grands-parents qui sortaient de l’ordinaire. Qui dans les années 40 envoyait
ses enfants à l’école? Ce n’était pas dans les mœurs de ma famille. La
scolarisation se terminait à la sortie de l’école de rang.
L’art de l’autobiographie ne
va pas de soi. Plusieurs s’y aventurent sans pour autant échapper aux balises. La
plus belle réussite du genre est certainement «La détresse et l’enchantement»
de Gabrielle Roy au Québec. Une écriture venue tardivement qui a laissé le
lecteur à la veille de la parution de «Bonheur d’occasion». Comment l’écrivaine
a vécu ce succès, nous ne le saurons jamais? Heureusement, madame Gagnon n’a
pas tardé à se pencher sur sa vie et son parcours.
Études
La jeune Madeleine aime étudier
et le père, un homme d’exception, avec la mère Jeanne, une femme attachante et
curieuse, ne feront rien pour contrer les ambitions de leur fille.
«… Je l’ai déjà écrit
ailleurs mais j’aime à le répéter: «Et si je n’ai pas assez d’argent pour faire
instruire tous mes dix enfants, je ferai d’abord instruire les filles!»
Pourquoi? avions-nous osé demander. Sa réponse fut simple: «Parce que les
femmes sont meilleures, plus intelligentes et ont plus de morale. Et parce
qu’elles transmettent les valeurs d’une génération à l’autre. Les garçons, eux,
peuvent toujours gagner leur vie avec la force de leurs muscles.» (p.123)
Étudier à l’époque voulait aussi
dire exil. Madeleine séjournera au séminaire des Ursulines de Québec avec ses règlements
implacables et ses injustices.
«Ce jour-là, elle me dit sans
autre préambule que si je voulais revenir au collège l’année suivante, je
devais renoncer à mes premiers prix – j’en avais quelques-uns, et dans quelques
matières. Elle me donnait vingt-quatre heures pour réfléchir et lui faire
connaître ma réponse. Sans trop comprendre de quoi il retournait, et flairant
l’abus de pouvoir, je ne mis pas vingt-quatre heures, mais vingt-quatre
secondes, et la fixant droit dans les yeux, ce qui nous était interdit, humilité
oblige, je dis: «Ma décision est prise, mère, je garde mes prix!» Ne pouvait
contenir sa rage, elle hurla: «La porte, mademoiselle. La porte de mon bureau
et celle du collège, l’an prochain. Vous êtes congédiée! Pour cause officielle
d’insubordination!» (p.45)
Après bien des
pérégrinations, la jeune femme continuera à Moncton où elle découvre les joies
de la connaissance. Il y aura beaucoup de migrations avant l’installation à
Montréal et des études en philosophie.
«L’un des professeurs nous
avertit dès le premier cours qu’il ne donnerait jamais plus de 70% au travail
d’une fille, quelle qu’en soit sa valeur. Bon. Il y eut un silence. Puis,
quelqu’un a osé, d’une voix timide, demander pourquoi. Le professeur sembla
surpris, mit un peu de temps à répondre et dit: «Parce que tout le monde sait
que les filles ne viennent pas en philosophie à l’université pour étudier, mais
pour trouver un mari!» (p.67)
De quoi devenir
révolutionnaire. Madeleine Gagnon poussera jusqu’au doctorat en France.
Écriture
Une fois ces connaissances
acquises, madame Gagnon se tourne vers l’écriture. La poésie, les textes
militants, la découverte de la littérature québécoise, la conversion à l’idée
de la souveraineté, l’amour, le mariage, la maternité, la dure condition des
femmes.
Une histoire de franches
amitiés aussi, une volonté de rendre la société plus juste pour les femmes surtout.
Le militantisme syndical, l’enseignement de la création littéraire et la
défense de la littérature du Québec dans ses cours et lors de conférences à
l’étranger. Madeleine Gagnon deviendra une sorte d’ambassadrice littéraire
comme Miron le fut en poésie.
Un témoignage touchant,
juste, sans complaisance qui nous entraîne dans ces années où le visage du
Québec a changé.
«Depuis toujours» de Madeleine Gagnon est paru chez Boréal
Éditeur.
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