À
quoi la vie de couple tient-elle? Pourquoi ce voyage à deux, malgré les grandes
et petites trahisons, se prolonge? Dans cette aventure, les partenaires doivent-ils
protéger des coins d’ombres et certains silences? L’écriture, la création est-elle
là pour révéler ces absences, ouvrir certaines fenêtres? Nous touchons là le cœur
du roman de Lori Saint-Martin, «Les portes closes».
Catherine
et Philippe, deux peintres, vivent ensemble depuis toujours. Lui ne pense qu’à
son art et elle, comme bien des femmes, a dû composer avec la famille et les
enfants. Tous les deux ont connu une enfance difficile. Violente dans le cas de
Philippe avec un père alcoolique et d’une cruauté terrifiante. Catherine est
devenue orpheline de père très jeune. Sa mère ne fréquentait guère la parole et
tenait les effusions loin d’elle. Une femme sèche, froide à donner des frissons
dans le dos.
«Avant
l’argent, avant la gloire, nous nous sommes choisis. Je fuyais mon enfance
grise, je me construisais. Philippe avait son talent immense et, sur lui,
l’ombre plus immense encore de son père. Il avait rompu tous les ponts, comme
moi, et vivait aussi pauvrement. C’est plus tard qu’il a été, que nous avons
été riches, à notre grande honte. Et nous avons peint, lui toujours, moi par
périodes même si chaque jour sans couleurs m’a paru un jour gaspillé, et il y a
eu, pour nous deux – mais surtout pour lui- les expositions, les musées, les
livres sur nous, les documentaires, tout ce dont nous rêvions.» (p.17)
Un
amour fou avec ses secrets, ses pans d’ombres, des mensonges qui permettent
peut-être d’«épargner» l’autre. Il ne saurait y avoir de vie commune sans ces
silences, ces omissions qui protègent et gardent toujours vivante la
fascination de l’un envers l’autre. J’ai pensé à Frida Khalo et Diego Rivera
parfois, sans le côté extrême de ces deux artistes.
Éloignements
Philippe
peint d’après des modèles, des jeunes femmes très belles. Le tableau se termine
par une relation sexuelle. Ces moments sont particulièrement troublants et
dérangeants.
«Je
voudrais mordre sa bouche toute rose, la gifler et faire affluer le sang sous
la peau ivoire aux fines taches de rousseur. Tirer sur la masse de cheveux
flamme, l’obliger à courber la nuque, la faire gémir. La baiser tout de suite,
sans attendre d’avoir fini.» (p.73)
Le
peintre est habité par une violence que l’art arrive à canaliser. Une rage qui vient
de l’enfance, de tout ce que son père lui a fait subir.
Catherine
a aussi ses écarts, ses manquements, ses petites trahisons et ses folies.
«J’ai
toujours été sage et douce et fiable, et là je rêve de folie et de furie. Je
voudrais qu’une femme se transforme en cerf-volant, qu’un sabre se forge à même
une casserole en fonte et tombe dans ma main brandie. Je vois une piste de
décollage, une autoroute, je rumine une vérité qui n’est pas bonne à dire mais
qui me brûle les lèvres. Arrêtons de mentir, arrêtons de jouer.» (p.58)
Et
si tout changeait, si tout basculait. Si cette vie de couple n’était qu’un
leurre. Philippe sent que sa compagne remet en question leur amour et leur
entente. Le futur est peut-être une porte qui va tout emporter si quelqu’un ose
tourner la poignée.
Peu
à peu, allant de l’un à l’autre, nous apprenons les secrets de Catherine et
Philippe. Tout ce qui fait qu’ils peuvent continuer malgré les peurs, les
craintes et les hésitations. Faut-il tricher pour continuer à marcher dans une
même direction?
«Le
monde s’effondre autour de nous, rien ne dure. Seuls, Philippe et moi sommes encore
debout, creux à l’intérieur mais fidèles, ou infidèles, au poste, pins jumeaux
frappés par le même éclair, foudroyés mais encore et toujours debout.» (p.106)
Une
réflexion importante sur l’amour, le couple, la passion, l’art et la création
qui canalisent des pulsions qui surgissent de l’enfance. Il semble que nous ne
pouvons y échapper. L’adulte se forge à partir des blessures qui ont marqué les
premières années de sa vie.
Est-ce
souhaitable de tout changer? La modernité n’enseigne guère la patience. Catherine
a beau avoir des envies de bousculer sa vie, elle n’en fera rien. Un couple
dure, s’épanouit peut-être dans sa fragilité et ses doutes.
Un
roman fascinant, une danse qui nous fait passer et revenir devant «ces portes
closes» sans que jamais les personnages ne se risquent à y insérer une clef. La
vie est ainsi faite. Peur, lâcheté? Peut-être plutôt ce que je nommerais, après
bien des hésitations, la sagesse.
«Les portes
closes» de Lori Saint-Martin est paru chez Boréal Éditeur.
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