Émilie Andrewes nous a habitués
à plus de sobriété dans ses romans. Cette fois, elle laisse la bride à son
imaginaire dans «Conspiration autour d’une chanson d’amour» et ne se gêne pas
pour multiplier les points de vue qui tournent autour d’un amour perdu. Un
roman multipiste, comme ces enregistrements où l’on capte les cordes, les
vents, la voix avant de mixer le tout. À retenir pour l’écriture, l’humour, le
regard sur la littérature, les secrets qui deviennent matière romanesque et qui
surgissent même quand on fait tout pour les masquer.
Un titre plutôt intrigant, une
famille où écrire est une tradition, un art de vivre, une façon de tromper les
autres et soi-même peut-être. Une manière d’appeler le bonheur afin de
l’apprivoiser et le caresser entre les oreilles comme un chien qui se prend
pour l’ombre de son maître.
Emmanuelle Archebishop a
publié un roman qui n’a pas du tout fonctionné. Un échec pour tout dire. Elle a
vécu aussi un mariage qui n’a jamais eu lieu. Son amoureux s’est fait arrêter par
les policiers alors qu’ils allaient jurer d’être fidèles jusqu’à la mort dans
l’île de Cythère où le monde a peut-être eu l’idée de germer. Le fiancé se
livrait au trafic de téléviseurs dans les îles. Un peu étonnant comme activité.
«Emmanuelle était dégoûtée de
ne pas avoir été mise au parfum. Ce devait être une journée agréable; ce fut un
jour de haute trahison. Dans son corset couleur cristal, une flûte de champagne
glacé à la main, elle avait refusé d’embrasser Paris, de lui dire adieu et de
lui faire des promesses de visite ou de fidélité. Elle avait refusé toute
étreinte.» (p.26)
Elle rentre au Québec, se
réfugie à la campagne et se livre à la contrebande de cigarettes à son tour. Elle
ira en prison où elle croise des femmes singulières qui la bouleversent.
Surtout Fany qui aime Jack un gardien et qui lui demande d’écrire une lettre
d’amour. Elle peut avoir signé un roman, elle n’arrive plus à écrire, surtout
pas sur l’amour.
Le retour
À sa sortie de prison, un
bête accident, un coup à la tête et elle retrouve son amour pour Paris, l’amoureux,
le traite, ce fils du roi Priam peut-être, qui n’a pas quitté la Grèce.
Elle décide d’aller le
retrouver. Il vit avec Hélène naturellement. Il y aurait un Ulysse que nous
n’en serions pas étonnés. Paris anime un cercle littéraire qui ne jure que par
Marguerite Duras. Une véritable mystique entoure cette écrivaine. Emmanuelle a
lu un ouvrage de cette auteure encensée.
«Ce livre, qui s’intitulait Écrire, l’avait beaucoup perturbée, la
conduisant même au saccage d’un bâtiment municipal. Les questions que Duras y
posait avaient provoqué en elle des effets mystérieux. Elles l’avaient laissée
hagarde, assoiffée, perdue. Elle n’était d’ailleurs pas la seule à réagir aussi
fortement. Des portées d’émules avaient vu le jour à la suite de la lecture de
livres de Duras. Ils parcouraient les lieux où elle avait vécu, à Paris, rue
Saint-Benoît, ou encore à Saigon. Duras attrape tout sur son passage, comme le
ferait une flaque de mercure. Quand on referme l’un de ses livres,
inévitablement on se demande ce qui vient de se passer. On se met à l’imiter;
elle s’est immiscée en nous. Il faut alors lutter contre les mièvreries qui
sortent de notre stylo.» (p.10)
Déception
Emmanuelle sera déçue encore
une fois. Elle revient au pays parce que cette quête devient inutile.
«Emmanuelle se détourna de
Paris, se rendit à la plage, où elle se déchaussa, et entra dans l’eau. Il n’y
avait pas de place pour deux amours, celui d’Helena et le sien, il n’y avait
pas de place pour la pureté de ses sentiments. Il n’y avait que la fin partout,
dans toutes les nuits, dans toutes les tentatives de se réconcilier avec l’autre;
l’autre dieu, l’autre homme, l’autre monde. Il y a des mots qui ne se disent
pas. Que personne ne veut entendre. Il y a des promesses qu’on se fait à soi,
dont on ne sera jamais prêt à se défaire pour personne.» (p.116)
Ce sera alors la vérité qui
éclate. Son jeune frère mort noyé et meurtrier, Marthe qui a écrit la vérité sur
sa vie de couple dans un livre que tous veulent changer. Le tout finit par
s’éclaircir un peu à la fin avec le récit d’Alexandre, le poète.
Je me suis laissé bercer par
cette phrase faite de clin d’œil, de petites références qui nous poussent un
peu plus loin dans les illusions, les contorsions que l’on fait subir à la
vérité par l’écriture. Quel plaisir de plonger dans une histoire qui vous pousse
dans le temps et l’espace, fait surgir l’ombre des Grecs et vous entraîne dans
les couloirs d’une famille assez tordue. Un monde où toute vérité est mensonge
parfait.
«Conspiration autour d’une chanson d’amour» d’Émilie
Andrewes est paru chez XYZ Éditeur.
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