J’ai failli abandonner «L’enfance
d’un lac» de Pauline Harvey après une vingtaine de pages. Peut-être que j’attendais
l’éblouissement, comme ce fut souvent le cas quand je me suis penché sur un
livre de cette écrivaine mythique. «Un homme est un valse», paru en 1993,
demeure un envoûtement.
Une nouveauté de Pauline
Harvey s’avère aussi un événement. Surtout qu’elle n’a pas publié depuis 1996,
une éternité.
J’ai pris un certain temps à
cerner cette narratrice qui a du vécu et la petite fille qui découvre l’amitié
et la lecture. Par cette écriture qui va et vient comme une vague qui ébranle, bouscule
et repousse.
«Plus je vieillis, plus je
suis un arbre. L’hiver m’a dépouillée, maintenant j’attends tout de la neige.
Savez-vous, vous autres humains, comment l’hiver nous embrasse encore? À
l’entrecroisement de mes branches, voyez la neige me faire un petit vagin
mousseux. Ma poésie est un peu ancienne, car je dois traverser des temps différents,
j’ai vu tant d’âges et je sais que je dois conter l’histoire de quelques
petites filles, leur joie et leur détresse. Je les ai vues se poser comme des
oiseaux sur mes branches. Laissez-moi parler comme un grand orme qui aurait
conservé le sens de la vie dans sa sève.» (p.13)
Le texte plonge souvent dans
une allégorie un peu difficile à cerner, oscillant entre l’action et la
méditation.
Enfance
La fillette découvre les
livres, l’amitié et aussi l’univers des grands. Avec toujours cette voix qui
vous garde dans un temps indéterminé. Parfois c’est la petite fille, parfois
une femme qui semble avoir tout expérimenté qui prend la place.
L’histoire aussi de deux
familles qui sont le miroir l’une de l’autre. Pauline Harvey aime les
contrastes, les oppositions qui donnent une forte tension à son écriture.
Cette petite fille qui lisait
trop, cela aurait pu être le titre, éventre des secrets tout en ayant recours aux
philosophes et aux poètes. Le texte prend alors une densité étonnante.
Et j’ai été emporté par la
vague, ce ressac où l’amitié, les lectures et les confidences avec la mère et
une tante, la mère d’Ethel, sa meilleure amie, se mélangent. Il y a aussi
Lenny, la grande sœur qui écrit des histoires, sa petite sœur Anne qui ne
supporte pas que l’on chante en sa présence. Une famille un peu folle mais
incroyablement sympathique.
«Je continuais à lire comme
une hystérique, mais je lui disais que je voulais devenir médecin, comme son
père, ce qui était vrai. Je ne lui aurais jamais parlé de mon désir d’écrire,
que je savais le laisser aussi indifférent que si je ne l’avais pas eu. De même,
la psychologie, l’analyse, la métaphysique demeuraient lettre morte pour lui.» (p.31)
Le monde politique a des
effets étonnants sur la jeune fille. Les parents votent pour Jean Lesage,
s’opposant au reste de la famille qui penchait du côté de l’Union nationale. Des
ruptures s’imposent et la perte de sa meilleure amie peut-être.
«Il l’a fait sans colère, me
fournissant avec ma propre logique cet argument irréfutable. «Les conservateurs
avec les conservateurs et les libéraux avec les libéraux. Cette phrase était
sans doute destinée à mes parents, à qui je la répèterais, mais elle me
haussait aussi au rang d’un libéral.» (p.105)
Voilà comment des murs se
dressent.
La petite fille qui lisait
trop deviendra écrivaine, fascinée par sa mère, une beauté qui faisait tourner
les têtes. Elle verra sa sœur Lenny internée pour schizophrénie, avalée
peut-être par les histoires qu’elle n’a cessé de bousculer depuis qu’elle
fréquente les mots.
Un roman exigeant, tout en
opposition, en contrastes, oscillant entre l’amour et la haine, la colère et la
raison.
Pauline Harvey est fascinée
par les livres, la réflexion et la philosophie, tout ce qui donne du poids à l’existence.
Un ouvrage surprenant, comme tout ce que touche Pauline Harvey. Une excursion
dans l’enfance sans se perdre dans l’anecdotique et la futilité, une réflexion
sur la création et l’écriture qui plonge dans les racines de l’être. Un roman
un peu insolite et fascinant quand on prend la peine de l’apprivoiser.
«L’enfance d’un lac» de Pauline Harvey est paru aux
Éditions Les Herbes Rouges.
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