Je me suis demandé où Marie Hélène Poitras voulait en venir en lisant les premières pages de «Griffintown». Comme si l’écrivaine survolait son sujet à la manière d’un oiseau de proie qui multiplie les cercles avant de fondre sur sa cible.
Et puis je me suis senti happé par le monde des chevaux et des calèches. Un milieu où des traditions d’une autre époque survivent, au cœur d’une ville qui arrive mal à contenir les charges des automobiles et les manifestations étudiantes. Deux façons d’être qui se côtoient à tous les jours pour le meilleur et le pire. Autant de pièges que les cochers et les bêtes doivent éviter.
Renaissance
La saison s’amorce. Les
cochers surgissent comme des marmottes qui sortent de leur trou. Tous sont des éclopés,
des marginaux, avec un passé qu’ils cherchent à oublier. Ils vivent au jour le
jour, se perdent souvent dans l’alcool et les drogues, disparaissent un certain
temps et reviennent plus amochés que jamais. D’autres manquent à l’appel sans
que l’on sache ce qu’ils sont devenus.
«Comme les cochers, les
chevaux qui échouent à Griffintown traînent plusieurs vies derrière eux. On les
prend tels qu’ils sont. C’est pour eux aussi, bien souvent, le cabaret de la
dernière chance.» (p.17)
Les plus anciens se
souviennent de Mignonne, une jument qui a marqué l’imaginaire de tous...
Il faut compter aussi sur les
commissionnaires qui servent le café, apportent des sandwichs et surveillent les
attelages quand c’est nécessaire. Même chose pour les chevaux. Certains sont là
depuis des années et entreprennent une dernière saison.
Passion
Marie vit une véritable
passion pour les chevaux depuis son enfance. Elle suit son cours de cochère et
aspire à diriger son attelage dans les rues du Vieux-Montréal. Elle fait face à
un monde macho où l’on ne fait de quartier à personne. Elle doit apprivoiser de
véritables phénomènes. Billy, le bras droit du patron, l’Indien, Alice, la
Grande Folle, le Rôdeur, La mouche, Joe, Evan et Lloyd.
John prend Marie sous son
aile et lui enseigne les rudiments du métier. Il y a bien des choses à savoir
et surtout il y a le cheval qu’il faut sentir, comprendre et prévoir.
«John, qui au départ ne
voulait pas entraîner de nouveau cocher, se surprend à chercher à protéger
Marie, à craindre pour elle. Elle est jolie, ça crève les yeux. Désirable même,
mais trop jeune, trop belle, trop bien pour lui. Il est un cow-boy, un homme
qui déloge les copeaux de bois d’entre ses orteils chaque soir après avoir
retiré ses chaussures.» (p.84)
Une foule de détails qu’il
faut maîtriser avant de s’aventurer dans des rues encombrées où le cheval peut
s’affoler à tout moment.
Les terrains des écuries sont
convoités par des spéculateurs et des mafiosos. Paul, le propriétaire est
abattu sauvagement dans un stationnement. On retrouve son corps dans le
ruisseau nauséabond qui longe les étables. Pas question de faire appel à la
police. Dans le Far Ouest, on règle ses problèmes soi-même. La fin sera
apocalyptique. Comme si la modernité voulait biffer ce relent du passé de
toutes les mémoires.
Un roman fascinant.
Marie Hélène Poitras a le
sens du détail et démontre un savoir étonnant des chevaux, des soins qu’il faut
leur prodiguer et des attelages. Une connaissance d’un monde qui n’existe plus
que dans le folklore et certains festivals peut-être.
Elle écrit une page
d’histoire, décrit avec précision un monde marginal où hommes et bêtes
apprennent à s’apprivoiser.
On pourrait tirer des images
magnifiques de «Griffintown», un film qui tiendrait autant de l’ethnologie que
du monde contemporain. Une confrontation de la modernité et d’un monde plus ancien
aussi.
Un véritable western où les
bons et les mauvais s’affrontent comme au temps de Jessy James et d’Hopalong
Cassidy.
Un ouvrage fascinant. Des
originaux aux grands cœurs qui croient à une certaine forme de solidarité
malgré tout et partagent un amour inconditionnel pour les chevaux. Les bêtes
deviennent aussi des personnages avec leurs manies, leurs travers et leurs
caractères bien sentis. Ils subissent aussi les affres du temps et peuvent
s’épuiser. Un formidable voyage dans un monde peu connu.
«Griffintown» de Marie Hélène Poitras est paru aux
Éditions Alto.
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