Après son entrée en littérature en 2009, Pascale Bourassa publie un second roman. Les lecteurs se souviendront que j’avais fort apprécié «Le puits», un ouvrage puissant qui plonge dans la réalité des femmes confinées, à une époque pas si lointaine, à leur rôle de génitrice.
Cette fois, avec «À l’ouest»,
la romancière présente une saga où quatre générations de Québécois francophones
prennent le relais. Ils ont quitté le Québec pour migrer au nord de l’Ontario
et en Alberta un peu plus tard. Toujours avec l’espoir de tout recommencer. Un
monde où il faut «risquer sa vie à chaque jour» comme l’écrivait Louis Hémon
dans «Maria Chapdelaine».
Ces familles osaient tout.
Surtout les femmes presque toujours enceintes et happées par des dizaines de
petites bouches. Une fatalité transmise d’une génération à l’autre.
Héritage
Joanna est la dernière de
cette lignée de femmes francophones qui ont peuplé l’Ouest canadien. Les
premières ont voyagé dans des charrettes tirées par des chevaux pendant des
semaines avant de s’installer dans un pays de plaines et de grands vents. Une
arrière grand-mère qui n’en pouvait plus de cette solitude, de ses enfants et des
tâches toujours à recommencer.
«Elle sortit, paniquée.
Courir pour tout oublier. Courir dans le bois sans s’arrêter, jamais. Respirer
l’air frais, le plus possible. Respirer enfin. Maman courait, ses larges jupes
déchirées par les ronces. Les larmes l’aveuglaient. Elle voulait partir, fuir
la maison pour ne pas mourir emmurée vivante entre quatre murs, des rires de
sœurs et des cris de bébé plein la tête.» (p.43)
Elle vivra un certain temps en
Indienne et aura Tami, une petite métisse.
L’étrangère
Joanna étudie au Québec où on
la considère comme une étrangère. Elle rencontre Christian qui vient de la
République dominicaine où la misère et la fatalité sont tout aussi grandes que
chez ces francophones qui luttent pour leur langue, leur culture et leur
identité dans les grandes plaines où l’anglais domine.
Des cauchemars la hantent en
revenant dans son village d’origine, la maison où elle a grandi entre ses
grands-parents. Elle retrouve son passé par fragments. Les femmes de sa famille
ont connu des destins incroyables.
«Tous ces eaux discours la
laissèrent de marbre. Il y avait longtemps qu’elle avait oublié son âme. Elle
l’avait laissée en chemin, sur les routes, entre le Canada français et l’Ouest
canadien. Elle l’avait semée dans un champ. Elle n’avait pas de temps pour son
âme quand les choses terrestres grossissaient à vue d’œil et qu’elles prenaient
tellement d’ampleur qu’il n’y avait plus un seul coin de disponible. Toute la
place était prise par le mari, les enfants, la maison et la cuisine, les heures
interminables du quotidien. Son âme était dans un champ au Manitoba, ou en
Saskatchewan peut-être, et resterait là.» (p.207)
Petite Anna, la grand-mère de
Joanna, n’était qu’une fillette quand elle s’est mariée au fils Guérette. Ce
qui ne l’a pas empêchée de faire une kyrielle de petits garçons, de se perdre
dans ses rêves, de renier sa demi-sœur métisse qui subira les pires sévices
dans un pensionnat et chez un père Oblat. Une situation horrible pour ces
enfants autochtones qui sont violés dans leur langue, leur culture, leur façon
d’être quand ce n’est pas dans leur corps.
Saga
Des vies se recoupent,
empiètent les unes sur les autres et reconstituent la grande aventure qu’a été
la colonisation de ces territoires où les Indiens ont été dépossédés. Une
histoire particulièrement dérangeante. Pascale Bourassa a l’art de nous plonger
dans des situations où l’on risque son âme.
Joanna apprivoise ses hantises
qui deviennent moins fréquentes à mesure qu’elle connaît son passé. Peut-être
qu’elle pourra retrouver sa place et une certaine quiétude en revenant au
Québec même si elle s’y sentira toujours étrangère. Une impression je crois qui
a habité Gabrielle Roy toute sa vie.
Bouleversant
Un roman fait de fragments
qui vous perdent un peu et vous rattrapent pour ne jamais vous lâcher. Pascale
Bourassa est une écrivaine puissante. Un terrible destin marque ses personnages
de femmes qui ont la fatalité inscrite dans leur génétique. Malgré l’amour, les
enfants, le succès de leurs entreprises, elles sont souvent broyées par la vie
et des tâches surhumaines.
Pascale Bourassa confirme son
talent exceptionnel dans un roman bouleversant.
«À l’ouest» de Pascale Bourassa est paru aux Éditions
de La Grenouillère.
Je tiens à vous féliciter pour votre 500e chronique!
RépondreEffacerDominique B.