«Tous les chemins mènent à l’ombre» de Dany Tremblay est constitué de vingt-quatre nouvelles qui poussent le lecteur à la limite du tolérable. Il suffit d’un geste et tout bascule. La vie éclate dans une sorte de bing bang existentiel. Plus rien n’a de sens. Une sorte de frontière a été franchie. Les personnages sont des corps en orbite.
«Hier encore, elle se serait contentée d’observer à distance, à l’abri derrière son volant. Mais rien de ce qui tenait auparavant n’existe plus. Sa vie a basculé dans les dernières vingt-quatre heures. Elle ouvre la portière et sort du véhicule.» (p.63)
Les héroïnes de Dany Tremblay subissent des agressions qui rendent la vie impensable. Meurtries à l’âme, elles choisissent de continuer même si elles sont défaites ou d’en finir. Il faut alors vivre au-delà de la douleur, de l’avilissement et des mots. Nous sommes loin des croisements de Paul Auster qui fait glisser ses héros dans une vie parallèle. Chez Dany Tremblay, il n’y a pas de vie en parallèle.
Le lecteur a l’impression de s’aventurer sur le tranchant d’un couperet. Il glisse sur un fil et le moindre souffle provoque une catastrophe. Un pas, un autre et c’est la fin. Comment survivre quand son âme à été souillée…
Geste ultime
Marie tue l’homme qui la violentait depuis des années. Elle s’enfuit. Tadoussac, Baie-Sainte-Catherine, une maison au bord de l’eau et une vieille dame qui devine tout. Sa course la mènera peut-être aux Iles-de-la-Madeleine où tout s’arrêtera. Un jour, il faut empoigner la réalité ou en finir. Ruth a été violée sur une plage, face au fleuve. Julie n’en peut plus de sa dépendance et des humiliations. Elle s’enfonce dans l’eau glacée du Saint-Laurent.
Plusieurs des nouvelles nous amènent près du fleuve, ce lieu où la terre et l’eau se repoussent. Fascination pour l’eau et les profondeurs qui permettent de mettre fin à une douleur insoutenable.
«D’ici là, elle sera loin. L’eau est si froide. À peine si elle sent ses pieds, ses mollets. Elle avance d’un pas. D’un autre. Elle veut en franchir sept avant de tomber et d’être emportée par les courants. Au troisième, elle trébuche, perd le souffle en se retrouvant dans l’eau. Elle a le réflexe de se relever, de vouloir reprendre pied. Elle ne retrouve pas ses fonds, cesse de se débattre. Elle songe que ça ne prendra pas plus de sept minutes avant que tout soit fini. Elle commence à compter.» (p.87)
Les personnages de Dany Tremblay vont vers la mort ou survivent au-delà des mots et des émotions. Il faut des situations extrêmes, un geste sans retour pour trouver une forme de paix.
Éclairage
Les nouvelles de Dany Tremblay s’éclairent l’une l’autre, se complètent et permettent de mieux comprendre le drame qui foudroie un personnage. Elles fouillent l’âme humaine, la violence et les situations extrêmes. Elle nous entraîne au-delà du langage, là où il n’y a que les gestes qui importent et décident de tout.
L’écriture de Dany Tremblay fouille certains aspects des humains que personne n’aime mettre en évidence. Une écrivaine qui traduit en mots des situations ou des drames difficiles à imaginer. Elle frappe juste et fort à chaque fois.
Si quelques textes viennent directement de «Miroir aux alouettes», publié en 2008, ils ont tous été remaniés. Il faut faire l’expérience de lire ces nouvelles en parallèle. Une belle leçon d’écriture qui montre comment on peut pousser un texte là où il doit aller. Tout a été soupesé, rendu plus incisif.
«Tous les chemins mènent à l’ombre» est d’une densité rare. Dany Tremblay s’avère une nouvelliste d’une efficacité remarquable.
«Tous les chemins mènent à l’ombre» de Dany Tremblay est paru chez La grenouille bleue.
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