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samedi 26 septembre 2009

Monique La Rue bouscule un Québec incertain

«L’œil de Marquise» de Monique La Rue, une véritable fresque familiale, fait revivre ces années où le Québec hésite entre la volonté de devenir un pays et le statu quo. Les frères Cardinal s’opposent. Louis est un indépendantiste convaincu et Doris hésite avant de tourner le dos à cette idée. Marquise va de l’un à l’autre, témoigne, tente peut-être de réconcilier l’impossible.
«Je suis la sœur de deux frères qui ne s’entendaient pas: Louis, l’aîné, et Doris. Je suis née entre les deux, j’ai vécu toute ma vie dans leur intime intimité, compris l’un, compris l’autre, comme ces enfants de divorcés qui s’exercent à ne pas prendre parti, à concilier l’inconciliable.» (p.11)
Louis est médecin, le compagnon d’une anglophone avec qui il aura une fille. Doris découvre son homosexualité sur le tard, devient l’amant de Jimmy Graham. Marquise, après un séjour à Paris avec Osler, un Belge qui a posé la bombe qui a tué Peter Graham en 1966, le père de Jimmy, vit avec un psychanalyste juif, écrit pour les jeunes. La famille Cardinal est déchirée, particulièrement depuis le dernier référendum où les tenants du oui ont failli l’emporter.
Doris, jongle avec des questions que personne n’aime brandir, écrit dans les journaux, intervient lors des lignes ouvertes à la radio.
«Si Jimmy Graham, disait-il, a entendu quelque chose de raciste dans mes mots, c’est lui qui a raison. Ce n’est pas à celui qui parle de juger, c’est à celui qui entend. Ce n’est pas à nous de dire qu’on n’est pas racistes. C’est aux autres de juger… … Même si je suis antiraciste, disait-il, cela ne m’empêche pas d’être raciste sans le vouloir.» (p.95)

Dérangeant

Roman courageux qui secoue des idées que nous n’aimons pas trop ressasser et encore moins discuter. Le nationalisme, le racisme, notre comportement face à l’étranger et à la violence, nos hésitations et nos peurs maladives. Marquise le résume bien en parlant de son jeune frère Doris.
«Il voulait traverser le miroir, devenir étranger, toujours plus étranger, étranger aux étrangers et à lui-même, comme l’enfant qui naît passe de l’eau à l’air, du noir à la lumière, apprend à regarder le corps de sa mère comme un autre corps, ce corps dans lequel il se trouvait, duquel il faisait partie depuis toujours, il s’en dégage peu à peu et apprend à le considérer comme un corps étranger. Il découvrait que l’on peut faire avec la langue maternelle la même chose qu’avec le corps maternel. S’en séparer.» (p.121)
Un récit plein de rebondissements qui questionne la vie, l’art, l’écriture, l’amitié, l’individualisme et la collectivité. Marquise tente de secouer le mauvais sort qui colle à elle comme cet Osler qui revient hanter sa vie. Un regard sur ce que nous sommes comme peuple et sur ce que nous sommes en train de devenir ou de ne pas devenir. Nos hésitations, nos craintes, nos peurs et surtout notre incroyable capacité à ne pas choisir s’imposent derrière les héros de Monique La Rue.

Courage

La romancière et essayiste n’évite jamais ces questions que certains voudraient biffer de notre histoire. Bien sûr, certains groupes au Québec ont connu des dérives idéologiques au cours des années. Pensons au fascisme. Il y a aussi ces Hassidiques qui vivent à Montréal comme sur une autre planète sans tenir compte des francophones. Monique La Rue a déjà été qualifiée des pires épithètes en abordant cette question.
L’écrivaine étonne, déroute pour mieux montrer nos travers. Une réflexion essentielle, un véritable trou noir qui aspire le lecteur et le pousse dans toutes les directions. Un roman exceptionnel.

«L’œil de Marquise» de Monique La Rue est paru aux Éditions du Boréal.

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