La loi 101 a trente ans. Les médias ont souligné cet anniversaire qui faisait du français la langue d’affichage et de travail au Québec. Une étape qui ne s’est pas faite sans heurts. Plus de 200 000 anglophones ont quitté la Belle province après la promulgation de cet arrêt concocté par Camil Laurin. Des témoignages «des enfants de la loi 101», dans le dernier numéro de «L’actualité», montrent que le Québec a changé depuis 1977. Plus de quatre-vingt pour cent des anglophones sont devenus bilingues. Même que Montréal est maintenant une ville multilingue.
Graham Fraser, le Commissaire aux langues officielles du Canada, a publié un essai l’an dernier où il se questionne sur les effets du bilinguisme au Canada et apporte un éclairage intéressant sur la loi 101. Selon lui, cette législation qui devait constituer une étape vers la souveraineté du Québec a été si efficace qu’elle a eu l’effet contraire. Elle a rassuré les francophones et rendu l’indépendance moins nécessaire. Plusieurs témoignages dans «L’actualité» confirment cette thèse.
Pendant ce temps, le bilinguisme a fait des progrès au Canada même s’il a tendance à stagner chez les jeunes depuis quelques années. Mais les choses ont évolué là aussi. Qui peut imaginer maintenant un premier ministre canadien incapable de se débrouiller dans les deux langues officielles? La connaissance du français et de l’anglais est devenue obligatoire pour les politiciens et les ministres à Ottawa. On a vu, récemment, des ministres unilingues rétrogradés dans le gouvernement Harper. Pour le Saguenay, cela a voulu dire la visite de la plupart des leaders politiques des grands partis canadiens. Ils sont venus vivre en français au cégep de Jonquière.
Les référendums
Le commissaire se questionne également sur les réactions du Canada après la tenue des référendums sur la souveraineté du Québec. Particulièrement sur celui de 1996 où le oui a failli coiffer le non. Curieusement, rien n’a été fait pour diminuer les tensions. La réaction du gouvernement Chrétien a été de multiplier les drapeaux, «ces chiffons rouges» selon la formule de Bernard Landry et les commandites.
Graham Fraser se demande pourquoi il n’y a pas plus d’échanges entre les anglophones et les francophones, de traduction des productions littéraires et cinématographiques, d’immersion dans les universités, de voyages et de stages pour abolir les solitudes. Un mur sépare toujours les deux entités linguistiques du Canada malgré une politique de bilinguisme qui a particulièrement angoissé les fonctionnaires anglophones qui ont plus de mal que les francophones à apprendre l’autre langue.
Monsieur Fraser rappelle que la question linguistique est au cœur des débats au Canada depuis les débuts de la colonisation.
Fausse route
Si Pierre Elliott Trudeau pensait régler la question linguistique au Canada par le bilinguisme et le multiculturalisme, il semble bien qu’il a fait fausse route. La question nationale est toujours au cœur des débats politiques au Québec. Depuis trente ans, il y a eu deux référendums sur la souveraineté avec les résultats que l’on connaît. Et des partis politiques à Québec comme à Ottawa prônent l’indépendance du Québec.
Pourtant, une nouvelle approche semble se dessiner avec Stephen Harper à la tête d’un gouvernement minoritaire. Il a compris que pas une formation politique ne peut gouverner le Canada sans l’appui des Québécois. Il a changé la donne en reconnaissant le Québec comme nation, le déficit fiscal et en négociant des ententes avec les gouvernements provinciaux qui montrent plus de souplesse dans l’application du fédéralisme.
Graham Fraser a le grand mérite de s’interroger sur une problématique que peu de politiciens aiment effleurer. Il démontre que rien n’est réglé au Canada malgré l’ouverture de certains.
«Dans sa perception du Québec, le Canada anglais a constamment dix ans de retard sur la réalité : il le voyait encore comme une province empreinte de religiosité pendant que la Révolution tranquille battait son plein et il a réagi à l’élection du Parti québécois comme si celui-ci venait de procéder à un détournement d’avion.» (p.359)
Si la loi 101 a calmé le problème linguistique au Québec, il semble bien que le bilinguisme au Canada a eu des effets assez mitigés.
«Sorry, I don’t speak French» de Graham Fraser est paru aux Éditions du Boréal.
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