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lundi 3 octobre 2011

Jean-Paul Daoust évoque un monde pathétique

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust entraîne le lecteur dans un lieu où des originaux, des parvenus et des riches en mettent plein la vue. L’établissement est situé au nord du Michigan, dans un endroit de villégiature.
Le Neveu flirte avec l’adolescence et passe ses étés chez son oncle et sa tante. Un endroit où aucune personne censée n’aurait idée de garder un enfant. Tous boivent comme des éponges. L’Oncle navigue entre deux eaux et la Tante dirige l’établissement d’une main ferme. Elle cajole le Neveu, se confie, le dorlote peut-être parce qu’elle n’a pu avoir d’enfant. Il rend service, avale les verres que les barmaids lui refilent et pousse la chansonnette quand l’alcool lui fait oublier sa timidité. Il sert aux tables, est fasciné par ces femmes éblouissantes qui cherchent à échapper à la grisaille de leur vie. Il devient le regard qui guide le lecteur
«Lena a appris le piano par elle-même dans sa roulote où elle s’ennuyait. Elle arbore des tenues flamboyantes ornées de bijoux extravagants. Son répertoire comporte un catalogue de chansons américaines des années vingt aux années cinquante. Elle ressemble en fait à Sophie Tucker, celle qui revient de temps à autre comme un fantôme pailleté le dimanche soir au Ed Sullivan Show. Lena s’amène toujours avec une immense coupe qui a l’air d’un bocal à poissons rouges, dans laquelle le Neveu verse une shot de whishy offerte par les clients qui ont des demandes spéciales.» (p.19)

Défilé

Les réguliers et les régulières, les vacanciers, les militaires qui débarquent une semaine par année se retrouvent. On flirte, on se triche, on se réconcilie, s’oublie et on recommence le lendemain. Le Neveu voit tout, s’amuse avec sa tante, une véritable complice.
«Parfois, quand ils ont trop bu, ce qui est habituellement le cas, le Neveu et la Tante rient comme des fous dans l’escalier qui mène à l’appartement, s’obligeant à faire des haltes, en s’assoyant sur une des marches pour reprendre leur souffle. Après, ils vont chez Tony ‘s Pizzeria. Parfois, aussi, ils échappent un tiroir-caisse qui dévale l’escalier dans une pluie de dollars, de petite monnaie et de papiers annotés.»(p.26)
Que d’efforts pour nier une société en mutation. Les jeunes se laissent pousser les cheveux, portent des tenues colorées et les Noirs se révoltent dans les grandes villes. Ils veulent être des êtres humains. Tout simplement. Au «Sand bar» rien ne change pourtant. La vie est une chansonnette, une danse et un grand rire dévastateur.

Hors du temps

Seules les colères de la Tante brisent la monotonie. Le temps passe, le corps n’est plus aussi fiable, les rides se font un chemin. L’angoisse est palpable sous les maquillages, les tenues fantaisistes et les blagues usées. Tout pour ne pas penser, pour éloigner la dure réalité de la vieillesse qui s’avance à grands pas.
«En temps normal, Édith est une femme fière, mais ce soir c’est la catastrophe. Le Neveu a beau lui nettoyer les joues en la cajolant, son visage reste décomposé, l’âge la tatouant d’un masque féroce et indélébile. Tout le monde peut voir de quoi elle aura définitivement l’air quand elle sera vieille, et c’est assez effrayant. L’Oncle offre d’aller la reconduire. No way! Riposte d’un ton sec la Tante, qui les soupçonne d’entretenir une liaison. Pour lui changer les idées, le Neveu l’invite à danser. Il la porte quasiment jusqu’à la piste de danse où, par exprès, Pete entonne Let’s twist again like we did last summer. Alors ce qui devait arriver arriva, car en faisant toutes sortes de sparages, elle se ramasse sur le cul.» (p.39)
S’étourdir jusqu’à en perdre la raison, pour oublier les malheurs et les échecs du quotidien. Tous nagent dans la fumée des cigarettes pour se faire croire que l’éternité existe peut-être, que rien ne change, que rien ne changera jamais.
Un monde inquiétant malgré les vêtements seyants, la musique surannée qui emporte tout le monde. Un milieu qui s’accroche désespérément à une jeunesse qui s’éloigne de plus en plus. Jean-Paul Daoust a l’art du détail, de la description et il nous plonge dans un monde qui fait songer à Fellini. Pathétique.

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust est paru aux Éditions Lévesque Éditeur.

lundi 26 septembre 2011

Bertrand Laverdure bouscule les conventions

Intriguant que «Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure. Il faut quelques pages pour comprendre l’univers dans lequel l’écrivain nous entraîne. Que dire d’un personnage qui se fait grignoter une jambe par un écureuil dans un parc, se déplace d’un continent à l’autre comme ça, en claquant des doigts.
Et puis l’auteur nous ouvre une porte. Son héros est vraiment un être de fiction avec tout ce que cela comporte. Le lecteur se retrouve dans un monde où le réel et l’imaginaire se bousculent. Une fois que l’on comprend cela, tout nous parle et nous fait accepter  les situations les plus étranges.
Imaginons un récit multiplié à des milliers d’exemplaires. Ce texte connaît toutes les sévices et les aventures. Certaines copies seront enfermées dans des bibliothèques et d’autres seront déchirées, laissées un peu partout et en proie à toutes les humeurs du temps.
«Le malentendu plane. Le personnage au corps bleu perd connaissance et tombe sur les pavés. L’enfumé continue à battre l’air autour de lui. Il pagaie avec ses bras, comme s’il tentait de se sortir d’un tunnel asphyxiant durant un grave incendie. Lorsqu’il se rend à l’évidence qu’un seul de ses bras répond, il est sur le point de paniquer, mais préfère, lui aussi, perdre connaissance. Un nouveau manchot s’ajoute à notre histoire. Qui plus est, lui aussi a perdu son bras droit.» (p.46)

Quête

En fait, c’est un peu plus compliqué. Imaginons un personnage de roman égaré dans le monde. Il cherche peut-être sa fiction et risque de se défaire au moindre incident. Plus, une foule de personnages comme lui circulent partout, abandonnés à eux-mêmes et à leurs fantasmes. Les schtroumpfs farceurs se multiplient et répètent des gags usés, incapables de s’arrêter.
Comble de malheur, on organise des visites pour touristes littéraires. Après tout le lecteur est un intrus qui met ses doigts partout dans un livre. Un visiteur qui trouve ce qu’il veut dans un roman et y interprète à sa manière ce que l’auteur a tenté de raconter. Ces curieux bousculent tout et changent l’ordre des choses.
«La police ne vient pas, parce que la police ne se déplace jamais pour emprisonner un personnage. Les personnages ont la belle vie et je ne m’en plains pas puisque je fais partie de leur ridicule aréopage. En y réfléchissant bien, j’ai tranquillement appris à devenir un personnage. C’est un apprentissage de chaque instant. Je ne l’étais pas au début de ce livre et je le suis devenu.» (p.53)
Le personnage est amputé, écrasé, emporté par les passants. Quand on est un être de fiction, on est bien fragile.
Une belle occasion pour Bertrand Laverdure de réfléchir à la nature du héros romanesque. La vie réelle et imaginée aussi. Tout peut arriver. Même basculer dans La déclaration des droits de l’Homme.

Inquiétude

Le plus inquiétant surgit quand le lecteur apprend que des y copyrights existent pour tout ou à peu près.
«Je vous explique : tout fonctionne par la pensée… …La pensée est maintenant bel et bien reconnue comme la meilleure interface qui soit. Implications directes, réactions directes, résultats directs. Nous avons réussi à mettre au point la véritable communication instantanée, sans tiers parti. Je prends le temps ici de vous relire le libellé de notre mission commerciale : «Le Bureau universel des copyrights (B.U.C.) compte servir toute personne ou compagnie cherchant à récupérer, identifier, réclamer, ajouter, inventer ou retirer une licence de copyrights autorisée. Le B.U.C. est régi par les règlements de la loi 1255 du Code des brevets temporaires et par le ministère international de tous les types de Propriétés existantes, soit les intellectuelles, les biologiques, les naturelles, les artificielles, les spéculatives, les biens meubles, les biens immeubles et même les imaginaires.» (pp.101-102)
Assez terrifiant!
Tout en s’amusant Bertrand Laverdure aborde des questions pertinentes. Sommes-nous des personnages ou de véritables humains qui agissent et se comportent librement? Le lecteur ne trouvera pas de réponses. Il devra surtout se situer par rapport à ce qu’il vit dans la réalité. Inquiétant pour ne pas dire angoissant.
Un roman surprenant.

«Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure est paru aux Éditions de La Peuplade. 

lundi 19 septembre 2011

Marjolaine Bouchard explore les contes

J’attendais «L’échappée des petites maisons» de Marjolaine Bouchard, son premier roman pour adulte, depuis un certain temps. Rappelons que cette écrivaine s’est fait surtout connaître par ses incursions dans la littérature jeunesse.
Un peu d’histoire. C’était en 2009. Madame Bouchard ne savait plus trop quoi faire de son histoire et elle s’est inscrite au Camp littéraire Félix où je donnais une formation. J’ai donc eu la chance de lire une première mouture de ce roman et de me questionner avec elle. Le plus difficile aura été de convaincre l’auteure de se remettre au travail, d’aller plus loin, de pousser son écriture. Après, ce fut un plaisir que de bousculer ce texte qui déroute au début; un bonheur de plonger dans un monde truffé de références aux contes qui ont terrifié mon enfance. Parce que le conte est cruel, sans pitié et c’est pour cela qu’il fascine et qu’on l’aime.
Tout était là. Il suffisait que l’auteure trouve un ton, un rythme, une musique qui l’emporterait.

Sujet

Une femme seule dans une maison au milieu de l’hiver. La campagne, le froid, le blanc partout. Elle ne se souvient de rien ou presque. Sa fille est partie pour quelques semaines. Elle a laissé un étrange message, des dessins parce qu’elle n’aime pas les mots de l’écriture. Une douleur terrible lui vrille les entrailles à chacun de ses mouvements. Qui est-elle? Qu’est-ce qui lui arrive?
Un lutin se cache-t-il vraiment dans une fente du plancher de la chambre du haut? Elle s’accroche à cette fable pour exorciser le mal peut-être, dissiper le brouillard qui flotte dans sa tête. Une sorte de décompte nous pousse vers la véritable intrigue, celle que sa fille Moïra prendra plaisir à nous livrer.
Cette dernière est à l’hôpital, une jambe fracturée. Un bête accident. Des voisins ont retrouvé la mère dans un état lamentable. La police enquête. Un inspecteur interroge la jeune femme.
Le lecteur découvre le quotidien de la fille et de la mère. Elles vivaient en totale fusion, en marge de la société. Une vie de travail où les moindres corvées devenaient des contes et des légendes. L’enfant a grandi dans un univers où il y avait des fées, des princes changés en grenouilles, des lutins qui se faufilaient entre les planchers. Un monde magique où un arbre les protégeait des catastrophes.

Hommes

Trois hommes ont eu des contacts avec les deux recluses et sont disparus sans laisser de traces. L’enquêteur cherche à savoir. Moïra multiplie les détours, invente des détails, étire son histoire, devient une Shéhérazade qui tente par la magie des mots et des images de retarder le moment où la réalité claquera comme un coup de fouet.
Elle a beau inventer des chemins de traverse, charmer le policier, la jeune femme finit par aborder le sujet litigieux. Les amoureux de sa mère sont disparus quand Moïra a prononcé une certaine formule.
«J’ai compris qu’il me faudrait prononcer mon souhait avec plus de ferveur et de rimes… et peut-être donner un coup de pouce au destin. «Faites que Maurice Taché-Soucy, faux magicien et menteur, ne remette plus jamais les pieds dans notre demeure. Et puisqu’il est incapable de véritable amour, que le fil qui relie sa vie à la nôtre soit rompu pour toujours.»» (p.129)

Quelques phrases et les hommes se sont évanouis. Vérité ou mensonge? Qu’est-ce qui s’est passé? Moïra parvient à envoûter le policier avec ses histoires. C’est ce qui importe. Ils vivront heureux et auront beaucoup d’enfants.
Entre le conte et le roman, «L’échappée des petites maisons» est une immersion dans un monde enchanté. Tout y est! L’imagination, la manière de transformer la réalité et de l’habiter. La cruauté aussi.
Marjolaine Bouchard fait appel à de nombreux personnages, particulièrement à «Rumpelstiltskin» des frères Grimm qui devient la clef de voute du roman.
Quand Moïra raconte, la magie opère. Il faut seulement oublier ses balises et se laisser emporter par le talent de Madame Bouchard. Un premier roman pour adulte bellement réussi et je suis particulièrement fier d’avoir pu l’accompagner. A vous! Laissez vous raconter la plus terrible des histoires par l’enjôleuse Moïra Comté.

«L’échappée des petites maisons» de Marjolaine Bouchard est paru aux Éditions de la Grenouillère.

dimanche 11 septembre 2011

Victor-Lévy Beaulieu met fin à la saga des Beauchemin

Abel est revenu d’Afrique plus mort que vivant. Il ne se souvient de presque rien sauf qu’une femme, Calixthe Béyala, l’a sauvé. Dans un hôpital de Montréal, le corps défait, quasi comateux, le souvenir de cette femme devient une véritable bouée de sauvetage qui lui permet de se maintenir à la surface. Il revit en quelque sorte la terrible épreuve qui l’a terrassée à l’aube de sa vie d’homme. La polio l’avait alors cloué sur une planche de bois pendant des jours, faisant du jeune garçon un Christ qui devait se ressusciter. Ce fut là sa première mort et sa renaissance. Sans cette épreuve, Abel ne serait peut-être pas passé de l’autre côté de sa vie pour se noyer dans le monde de la littérature, s’immerger dans les phrases et les mots, créant une véritable galaxie toujours en expansion sur l’espace-temps. Comme s’il fallait passer à travers son corps pour s’installer dans le monde de la fiction.
Il n’a qu’une idée en tête : quitter cet hôpital pour retrouver sa grande maison de Trois-Pistoles où se languissent ses «animals» et ses choses. Il s’évade avec un corset, un attelage qui lui maintient l’épaule et la jambe gauche. Rafistolé, tout croche dans son corps et son âme, il ne demande qu’à retrouver ses habitudes et un peu de silence.

Dépossession

La maison n’est plus la même. Le gardien s’est installé, imposant sa présence. Ses «animals» ne reconnaissent plus ses odeurs. Il chasse l’intrus pour se retrouver après avoir vu le monde et ses dépendances. La vie est-elle encore possible? Il recourt à l’opium pour oublier cette douleur, pour apaiser le mal dans son âme. Alors, il peut s’allonger sur la table de pommier où il a secoué tous les mots qui le vrillaient, le précédaient, l’aspiraient et qu’il secouait sur les grandes feuilles de notaire, créant des mondes de sa main gauche.
Il n’aspire qu’à des jours calmes avec ses chiens tout près du gros poêle à bois en fumant l’opium, jonglant avec les mots de Michaux, Éluard, Rabelais et bien d’autres.
L’homme engagé rôde, s’impose et le menace. Il y a ce trio de Saint-Guy qui l’embarque dans une campagne électorale pour tenter de colmater les fuites de son pays qui ne cesse de se défaire. Il rencontre des électeurs et constate la misère des naufragés de l’arrière-pays. Plus personne n’entend plus personne.
Rhino s’accroche, prend peu à peu possession de son territoire, entraînant les «animals» dans son sillage. Abel voit ses bêtes le délaisser pour suivre la jeune femme. Il risque d’être dépossédé de son chez-soi à l’image de ce pays nié, trahi, dévasté, ravagé et offert dans tous les plans nord, d’est et du sud. Un pays qui ne demande qu’à être détroussé sans rien exiger en retour. Rhino s’impose et le menace. Il doit l’éloigner pour renaître dans la solitude et reconquérir son domaine.

Combat

La mort risque de l’avaler quand Arnold Cauchon vient rendre l’âme dans sa maison. Heureusement, Calixthe Béyala l’enchante et le fait rêver dans la fumée de l’opium. Il évoque cette nuit de Libreville, cette embellie dans la blancheur de l’hiver. Un fil le relie à cette femme, des mots qu’il lance dans le cosmos par le biais d’Internet.
Tout finira par tomber en place après des mois de froid où la neige a failli étouffer le pays. Avec le printemps, la chaleur du soleil revenu, il reprend vie, se redresse et peut plonger dans l’utopie. Il déménagera sa maison dans cet arrière-pays, ce lieu de sa naissance, ce paradis perdu. Sur les lieux d’origines, tout est encore possible. Même qu’Abel pourra inventer la cité idéale de Nicolas Ledoux. Et il y aura l’amour qu’il devra aller quérir au bout du monde pour se régénérer, peut-être connaître une seconde vie.

Remarquable

Victor-Lévy Beaulieu termine ainsi la saga des Beauchemin par un livre qui s’incruste en vous. Une écriture comme des encoches sur l’être, des stances qui vous emportent. Une aventure qui flotte «-en quelque part entre psaume, cantique et lamentation!-». Voilà tout ce roman!
Difficile bien sûr, aride, mais incroyable. Du grand Victor-Lévy Beaulieu. Un roman qui vous vrille l’esprit et ne vous lâche plus. Exceptionnel! Une aventure au cœur de la langue. Une véritable apothéose.

«Antiterre, utopium» de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

dimanche 4 septembre 2011

Pierre Gariépy a créé une fresque fascinante

Certains livres sont faits pour être lus et relus. C’est le cas de la trilogie de Pierre Gariépy. J’avoue! Autant j’avais été envouté par «Lomer Odyssée», autant j’ai hésité devant «Blanca en sainte» et «L’âge de Pierre». L’enchantement du premier volet s’était amenuisé et le dernier opus m’avait un peu rebuté. Je n’en avais pas fini avec Gariépy pour autant.
Autant profiter de l’été pour relire sa fresque.
Malgré des lieux sordides, le lecteur s’attache aux personnages dans «Lomer Odyssée». Le couple vit dans un port où grouillent des marins en quête d’amour et de tendresse. Ils ont de l’argent pour s’empiffrer et surtout pour se saouler. C’est grinçant, violent, étourdissant, mais Lomer et La Gueuse vivent un amour qui permet de triompher de tout. Une forme de romantisme où des fleurs d’une beauté fascinante poussent dans les ordures.
Dans «Blanca en sainte» le monde est ravagé par la peste, le sida peut-être. Les hommes et les femmes sont des bêtes. La seule façon de survivre est de trouver refuge dans une meute. Alors il est possible d’affronter tous les dangers.
Blanca, la Démone, a perdu Lomer dans un incendie. Elle fait marquer son nom sur son front. Elle s’affiche, elle est sa femme. Il n’y aura jamais d’autre homme. L'amour chez Gariépy est total et pour la vie.
Dans ce monde gangrené et sauvage, Blanca met au monde un garçon. Il porte l’avenir si avenir il y a. Tous perdent la mémoire ou sont éliminés par les bandes rivales. Les humains en sont réduits à se dévorer.

Jungle

Blanca est emportée par la peste au début de la vingtaine. Pierre est enfermé dans un orphelinat. Une jungle où les enfants sont utilisés comme marchandise sexuelle. Il s’occupe de l’Enfer, là où l’on garde les livres interdits. Il y découvre la littérature.
Il entreprend alors d’écrire sa vie rêvée, celle du Christ Jésus. Une parabole placée sous le signe de la sexualité et des miracles. Un Christ moderne que la télévision suit dans ses moindres gestes. Il y aura même une crucifixion en direct devant les caméras. L’écrivain en herbe doit quitter l’orphelinat pour aller faire des enfants. Une fiancée l’attend. Il demande un sursis pour terminer son roman où son alter égo séduit les foules.

L’ensemble

Les personnages de ces trois romans sont liés dans le temps et l’espace. Les histoires se construisent l’une par rapport à l’autre. Le monde s’est défait à la mort de La Gueuse. Lomer l’a vengée par le feu en brûlant le bar. Il mourra dans un incendie. Qui utilise le feu périt par le feu. Blanca vit dans un monde similaire à celui de «La route» de Cornac MacCarthty. Que peut-être la vie quand l’avenir est une menace? Il reste la parole pour se défendre, une langue que la jeune femme utilise comme un fouet. Une parle carencée où les mots vacillent et prennent plusieurs sens. Pierre héritera de ce pouvoir de tout transformer par l’écriture. Ses phrases résonnent telle une musique sauvage. C’est le propre d’une langue contaminée par une autre que dire une chose et son contraire. Il y a un aspect ducharmien chez Gariépy.

Barbarie

L’humanité est retournée à la barbarie au temps de Blanca. Pierre, qui a une certaine parenté avec Jean Le Maigre de Marie-Claire Blais, le héros inoubliable de «Une saison dans la vie d’Emmanuel» oublie sa misère par l’écriture.
Un monde de violence, exacerbé, dangereux. La sauvagerie est de retour. Pourtant, il subsiste une sorte de lumière chez Pierre Gariépy qui fait qu’il peut y avoir un demain.
Voilà des romans à nul autre semblable dans la littérature québécoise. L’amour et la souffrance aspirent, retournent et vous secouent. L’amour transforme et permet de s’élever au-dessus de la cruauté du monde.
C’est souvent déroutant et rebutant. Une véritable expérience où l’on perd ses repères. Une jungle où la langue bondit de tous les côtés et menace votre équilibre. Tout est décadent, équivoque, incertain dans un univers souillé et détruit.
Il faut relire Pierre Gariépy pour aller au-delà des apparences, là où la vie palpite et lutte pour être simplement. Bouleversant et étonnant. S’il y a une espérance chez cet écrivain, elle vient de l’écriture qui dit tout et se permet tout.

«Lomer Odyssée», «Blanca en sainte», «L’âge de Pierre» de Pierre Gariépy sont parus chez XYZ Éditeur.

dimanche 28 août 2011

Marina Lewycka: la gravité malgré l'humour


Tout en utilisant l’allégorie du couple et des familles, Marina Lewycka dans «Des adhésifs dans le monde moderne», plonge le lecteur dans une guerre qui se perpétue depuis un demi-siècle entre Israël et la Palestine. L’attaquant et l’attaqué, l’agresseur et la victime sont unis par des liens difficiles à expliquer et à comprendre. Ils sont comme soudés par une forme d’adhésif, semblable à celui qui permet à certains mollusques de s’accrocher aux rochers et de résister aux plus grandes tribulations de l’océan.
Georgie sous un coup de tête met son mari à la porte. Tout est terminé même si Rip, son mari, reste le grand amour de sa vie, son seul amour. Plus, elle jette tous les effets de son homme à la rue. Ses disques, ses vêtements. Tout.

Ce geste spontané lui permet de rencontrer Naomi Shapiro, une vieille juive qui fait les poubelles pour ramasser tout ce qui peut être recyclé.
«Un soir, vers onze heures, j’ai entendu un remue-ménage dans la rue, suivi d’un fracas de verre brisé. J’ai regardé par la fenêtre. Quelqu’un sortait des affaires de la benne déposée devant chez moi. J’ai d’abord cru que ce n’était qu’un adolescent, une petite silhouette aux allures de moineau, la casquette baissée sur le visage ; puis la silhouette s’est retournée dans la lumière et je me suis aperçue que c’était une vieille dame aussi efflanquée qu’un chat de gouttière qui tirait sur des rideaux en velours bordeaux pour atteindre le carton de vieux vinyles de mon mari à demi-enfoui sous le bric-à-brac.» (p.11)

Aventure

Une amitié vient de naître. Madame Shapiro, une femme mystérieuse, vit dans une immense maison délabrée avec une ribambelle de chats, de souvenirs, un amour pour un musicien qui a résisté à tous les soubresauts. Une vieille dame qui change d’âge selon les circonstances, s’arrange avec son passé un peu douteux. Et voilà qu’elle tombe dans la rue et se fracture un poignent. Commence alors une suite d’événements imprévisibles.
Les services sociaux s’en mêlent, des agents immobiliers convoitent la maison et flairent la bonne affaire. Tout se complique quand Georgie, pour satisfaire aux normes du gouvernement et de la municipalité, embauche un certain monsieur Ali. C’est sans compter ses neveux, deux Palestiniens qui, malgré leur bon vouloir, ne réussissent qu’à multiplier les gaffes. Ils s’installent dans la maison et la transforment peu à peu. Il le faut. Quelqu’un doit accueillir Madame Shapiro pour que les instances gouvernementales permettent qu’elle regagne son domicile.
Et voilà que Chaïm, le fils de la vraie Madame Shapiro, on apprend que Madame Shapiro n’est pas madame Shapiro, débarque avec sa haine des Arabes et des Palestiniens. La situation devient explosive.
Tout peut arriver dans la maison de Canaan. Le nom dit tout. Le conflit insoluble du Proche-Orient se transporte dans le foyer de Madame Shapiro qui finit par s’évader du centre d’accueil qui rappelle les camps de réfugiés. Postes de contrôle aux portes pour filtrer les déplacements comme si nous étions dans les territoires occupés.
Il n’y aura pas d’attentat malgré les manœuvres des agents immobiliers qui rôdent, prêts à encaisser les profits.
 
Bonne histoire

Le roman peut sembler compliqué quand j’en parle comme ça, mais il se lit le sourire aux lèvres. Vraiment passionnant. On se rend vite compte que les gens sont liés malgré les conflits, les haines et toutes les violences. Il suffit d’un petit quelque chose pour les rapprocher et peut-être parvenir à instaurer la paix. L’espoir survit.
Plein d’humour, de tendresse, de questionnements et de sous-entendus, ce roman vous emporte et vous fait comprendre mieux les turpitudes de l’âme humaine, les conflits qui reposent sur des haines que l’on a du mal à cerner. Une histoire pleine de rebondissements qui cache une autre histoire, celle des peuples qui s’affrontent et se déchirent.
Marina Lewycka possède un sens de l’humour unique en multipliant les intrigues et l’invraisemblable. Un délice  d’imagination, un exploit en quelque sorte qui aborde un terrible conflit tout en le ramenant aux frontières du territoire domestique.

«Des adhésifs dans le monde moderne» de Marina Lewycka est paru aux Éditions Alto.