lundi 3 octobre 2011

Jean-Paul Daoust évoque un monde pathétique

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust entraîne le lecteur dans un lieu où des originaux, des parvenus et des riches en mettent plein la vue. L’établissement est situé au nord du Michigan, dans un endroit de villégiature.
Le Neveu flirte avec l’adolescence et passe ses étés chez son oncle et sa tante. Un endroit où aucune personne censée n’aurait idée de garder un enfant. Tous boivent comme des éponges. L’Oncle navigue entre deux eaux et la Tante dirige l’établissement d’une main ferme. Elle cajole le Neveu, se confie, le dorlote peut-être parce qu’elle n’a pu avoir d’enfant. Il rend service, avale les verres que les barmaids lui refilent et pousse la chansonnette quand l’alcool lui fait oublier sa timidité. Il sert aux tables, est fasciné par ces femmes éblouissantes qui cherchent à échapper à la grisaille de leur vie. Il devient le regard qui guide le lecteur
«Lena a appris le piano par elle-même dans sa roulote où elle s’ennuyait. Elle arbore des tenues flamboyantes ornées de bijoux extravagants. Son répertoire comporte un catalogue de chansons américaines des années vingt aux années cinquante. Elle ressemble en fait à Sophie Tucker, celle qui revient de temps à autre comme un fantôme pailleté le dimanche soir au Ed Sullivan Show. Lena s’amène toujours avec une immense coupe qui a l’air d’un bocal à poissons rouges, dans laquelle le Neveu verse une shot de whishy offerte par les clients qui ont des demandes spéciales.» (p.19)

Défilé

Les réguliers et les régulières, les vacanciers, les militaires qui débarquent une semaine par année se retrouvent. On flirte, on se triche, on se réconcilie, s’oublie et on recommence le lendemain. Le Neveu voit tout, s’amuse avec sa tante, une véritable complice.
«Parfois, quand ils ont trop bu, ce qui est habituellement le cas, le Neveu et la Tante rient comme des fous dans l’escalier qui mène à l’appartement, s’obligeant à faire des haltes, en s’assoyant sur une des marches pour reprendre leur souffle. Après, ils vont chez Tony ‘s Pizzeria. Parfois, aussi, ils échappent un tiroir-caisse qui dévale l’escalier dans une pluie de dollars, de petite monnaie et de papiers annotés.»(p.26)
Que d’efforts pour nier une société en mutation. Les jeunes se laissent pousser les cheveux, portent des tenues colorées et les Noirs se révoltent dans les grandes villes. Ils veulent être des êtres humains. Tout simplement. Au «Sand bar» rien ne change pourtant. La vie est une chansonnette, une danse et un grand rire dévastateur.

Hors du temps

Seules les colères de la Tante brisent la monotonie. Le temps passe, le corps n’est plus aussi fiable, les rides se font un chemin. L’angoisse est palpable sous les maquillages, les tenues fantaisistes et les blagues usées. Tout pour ne pas penser, pour éloigner la dure réalité de la vieillesse qui s’avance à grands pas.
«En temps normal, Édith est une femme fière, mais ce soir c’est la catastrophe. Le Neveu a beau lui nettoyer les joues en la cajolant, son visage reste décomposé, l’âge la tatouant d’un masque féroce et indélébile. Tout le monde peut voir de quoi elle aura définitivement l’air quand elle sera vieille, et c’est assez effrayant. L’Oncle offre d’aller la reconduire. No way! Riposte d’un ton sec la Tante, qui les soupçonne d’entretenir une liaison. Pour lui changer les idées, le Neveu l’invite à danser. Il la porte quasiment jusqu’à la piste de danse où, par exprès, Pete entonne Let’s twist again like we did last summer. Alors ce qui devait arriver arriva, car en faisant toutes sortes de sparages, elle se ramasse sur le cul.» (p.39)
S’étourdir jusqu’à en perdre la raison, pour oublier les malheurs et les échecs du quotidien. Tous nagent dans la fumée des cigarettes pour se faire croire que l’éternité existe peut-être, que rien ne change, que rien ne changera jamais.
Un monde inquiétant malgré les vêtements seyants, la musique surannée qui emporte tout le monde. Un milieu qui s’accroche désespérément à une jeunesse qui s’éloigne de plus en plus. Jean-Paul Daoust a l’art du détail, de la description et il nous plonge dans un monde qui fait songer à Fellini. Pathétique.

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust est paru aux Éditions Lévesque Éditeur.

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