Que j’ai aimé «Lomer Odyssée», le premier roman de Pierre Gariépy. Une histoire d’amour entre un jeune homme à peine réchappé de l’adolescence et une femme d’un âge certain. C’était quelque part dans une ville, un port de mer, un monde où la mort rôde quand s’installe la nuit. Une histoire d’amour qui finissait tragiquement, comme il se doit. Lomer, après la mort de sa Gueuse, continuait son errance qui allait le mener vers Blanca. Un dernier feu d’artifice.
Dans «Blanca en sainte», Lomer, ce survivant de son passé, brûlé par la vie est disparu. Pour ne jamais l’oublier, Blanca se fait marquer au fer rouge. Elle est sa femme, dans sa chair et son âme, marquée comme le bétail pour montrer son appartenance.
«Et si j’en avais eu la force, j’aurais ri de moi-même en pensant que pour ne jamais t’oublier justement, Lomer, j’avais fait marquer au fer rouge ton nom dans mon front.» (p.14)
Pas rassurant
L’univers de Gariépy n’avait rien de réjouissant dans «Lomer Odyssée». Les personnages évoluaient dans un monde de déjections et de rebuts. La ville s’est dégradée dans «Blanca en sainte». La peste règne, les rats crèvent massivement et les gens meurent dans les rues quand ils ne se tuent pas. Il n’y a plus de nourriture, plus de pétrole, plus d’alcool. Blanca, la Démone, est enceinte de Pierre. Elle a retrouvé son clan après la mort de Lomer, se bute à Ti-Rat qui rêve d’elle, la suit comme son ombre, lui offre son corps et son âme.
«J’avais deux fois son âge, à lui, et j’avais à peine 18 ans, même si j’en avais 100 dans mon ventre, ma tête – c’était qu’un ti-cul, ti-rat -, et déjà il conduisait, un bull, et il killait, un pig. J’en ai donc conclu qu’il était un intéressant jeune animal et je suis venue à lui, enjambant mailles de stainless, lambeaux en sang et miasmes de viscères.» (p.22)
Blanca donne naissance à un fils, mais elle se meurt. Les hommes retombent en enfance. Elle vieillit de plusieurs années à tous les jours. Tout est exacerbé, poussé à son extrême. Ti-Rat, désespérant d’amour, obsédé, halluciné, se pend au mât du navire où le clan s’est réfugié.
Apocalypse
L’amour chez Pierre Gariépy est perte de soi et hantise. Est-il possible de survivre à un amour qui rase tout? Peut-il y avoir un amour après l’amour? Iseult ou Juliette auraient-elles pu connaître une autre passion fulgurante après Tristan et Roméo? L’absolu de la jeunesse n’existe que dans la jeunesse, que quand le brasier illumine le ciel, quand les planètes gravitent autour de l’être aimé. Que la première fois!
Blanca ne peut être l’amour de Ti-Rat. Elle pourrait peut-être l’aimer sans connaître les grandes secousses telluriques, mais lui cherche l’absolu et ne peut se contenter d’un succédané. Il préfère la mort.
Allégorie bien sûr, mais comment se défaire de l’impression que tout grince, qu’il n’y a plus d’avenir possible. Reste l’enfant… Demain est-il imaginable dans un univers en décomposition…
«Pierre, lui, grandissait, il tétait et semblait ne jamais vouloir s’arrêter, c’était mieux ainsi, la nourriture était si rare, j’étais ses vivres et pensais que tant que je le resterais, je vivrais moi aussi. Ni la peste, ni Dieu, ni Satan n’auraient d’emprise sur moi, aussi longtemps qu’il ne serait pas de moi sevré, Pierre c’était toi, Lomer, et je ne serais jamais sevrée de toi ni de Pierre, mais lui, si.» (p.80)
Un roman exigeant et un peu déconcertant. On trébuche dans les interstices des phrases qui s’étiolent. La langue est atteinte, les mots perdent leur sens. L’écriture se défait, s’inverse et devient floue, comme grugée de l’intérieur. Inversions, répétitions, allitérations, tout sert à porter ce grand cri de désespoir.
Pierre Gariépy joue le tout pour le tout, saute sans parachute. Une entreprise fort risquée qui laisse un peu perplexe, même si à la toute fin s’ouvre «l’âge de Pierre». Est-ce celle de l’auteur... Oui, peut-être que l’avenir peut avoir un avenir. On veut y croire. Je le souhaite en croisant les doigts.
« Blanca en sainte » de Pierre Gariépy est publié chez XYZ Éditeur.