Premier envol pour Marie-Christine Bernard, écrivaine d’Alma. «Monsieur Julot» est là, depuis quelques semaines, avec ses pages serrées, ses personnages, une trame qui nous pousse au bord de l’abîme.
Il est rare en littérature de glisser dans le quotidien de quelqu’un qui se coltaille avec le cancer. Marie-Christine Bernard a empoigné le tueur à deux reprises. Deux fois elle a dû livrer ce combat qui mobilise toutes les ressources physique et psychique. Mère d’un enfant de quatre ans, elle nous fait vivre cette guérilla sans merci qui ravage le corps et fait vaciller l’esprit.
«Le cancer se vit comme une pourriture qui aurait poussé à l’intérieur de soi: on a l’impression de vivre dans un corps sale, moisi, de s’être fait jouer un très vilain tour par un Propriétaire véreux.» (p.20)
Radiothérapie, chimiothérapie provoquent des «retombées nucléaires». Après ces séances, elle reste des jours prostrée et ravagée.
L’écrivaine décrit ce combat avec une énergie étonnante. Sans compter les humeurs, les colères intempestives qui blessent ceux qui démontrent de la sympathie et de la compassion. Un combat qui désarçonne son compagnon et perturbe l’enfant qui a du mal à comprendre le flirt de sa mère avec la mort.
«J’ai tellement de colère, je la déverse sur les gens: quand ils me parlent de ma «santé», c’est comme s’ils rendaient la maladie plus réelle et donc, plus inacceptable. Alors, quand ils me parlent de ma «santé», ça me met en colère.» (p.54)
Lettres
La narratrice, lors de ses nombreux séjours à l’hôpital, se lie avec une vieille femme qui n’a plus que quelques jours à elle. Marie-Louise, seule comme Dieu avant la Création, rumine de terribles regrets. Ella a dû s’occuper du fils de sa sœur fauchée par le cancer. Elle a détesté cet enfant, le fils de l’homme qu’elle aimait, un peintre que sa sœur Thérèse, drapée de toutes les séductions, lui a volé.
S’amorce alors une étrange correspondance avec cet homme mal-aimé. La narratrice décrit ses peurs et ses colères, tente de réconcilier Marie-Louise et Monsieur Julot qui a toutes les raisons de haïr cette tante irascible. Les lettres se transforment en journal intime, en tricot où la vie de Monsieur Julot et la lutte de Mme Bernard s’enchevêtrent. Comme si Monsieur Julot pouvait être le fils de la narratrice dans une autre époque. Même drame possible, en deux temps.
Narration vivante, pleine d’humeur, d’humour pour masquer la peur et l’angoisse. Marie-Christine Bernard a un ton, un style près de l’oralité, des effets qu’elle aurait eu avantage à brider un peu, une exubérance étonnante. Un texte contagieux, comme les cellules qui prolifèrent et qu’il faut écraser. Un roman senti, un récit émouvant, un témoignage percutant. Des repères, des espoirs et des désespoirs qui plongent le lecteur dans un monde souvent ignoré.
Chose certaine, je ne peux aller à Chicoutimi sans penser à Marie-Christine Bernard maintenant. Depuis la lecture de «Monsieur Julot», j’oublie souvent l’autoroute pour plonger dans la côte Saint-Jean-Eudes et m’émerveiller devant le Saguenay.
«Chaque jour donc, pour moi, en privé, le Saguenay organise un spectacle à grand déploiement que je ne voudrais manquer pour rien au monde. Ainsi, j’allonge un peu mon trajet, pour le plaisir tout simple de saluer au passage la beauté du monde.» (p.105)
Marie-Christine Bernard fait aimer la vie, rend attentif et vibrant. Une musique qui accompagne longtemps.
«Monsieur Julot» de Marie-Christine Bernard a été publié par les Éditions Stanké.