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lundi 12 avril 2004

Apprivoiser la mort pour mieux vivre

Daniel Danis ne cesse d’étonner au théâtre avec des textes d’une qualité et d’une originalité déconcertantes. Songeons à «Cendres de Cailloux» et plus récemment au «Langue-à-langue des chiens de roches» où la poésie porte la quête de ce dramaturge pas comme les autres. Une qualité d’écriture exceptionnelle, un pouvoir d’évocation qui a changé la façon d’écrire le théâtre au Québec et en France où il connaît du succès. Il ne fallait pas s’attendre à autre chose de sa rencontre avec la photographe Suzan Coolen.

Dans un récit qui tient à la fois de la réplique théâtrale, de la poésie, de la description pure et narrative, Daniel Danis nous plonge dans des émotions et des situations où la vie prend des dimensions insoupçonnées.
Antoine a adopté un garçon que l’on croit être un Haïtien. Il ramène ce poupon qui fera sa joie et celle de son épouse. Le bonheur se profile avec ses sourires et ses couches mais ce serait mal connaître Danis. Mireille abandonne Antoine quelques heures seulement après l’arrivée de l’enfant, le quittant avec le bébé pour un autre homme.

Dix ans après

Dix ans plus tard, le garçon frappe à la porte d’Antoine. Le jeune Gabriel est atteint d’un cancer incurable et n’a que quelques mois à vivre. Le récit de Daniel Danis s’amorce. Pas de place pour les dentelles et les faux-fuyants. Il faut trouver un sens où il n’y en a pas peut-être.
Antoine apprivoise ce fils qu’il n’a jamais eu et qu’il va perdre dans quelques semaines. Il doit recentrer sa vie, abandonner le monde artificiel du cinéma qui est le sien. Il faut tout vivre avec Gabriel, l’accompagner à chaque instant. Ils se réfugient chez l’oncle Dave, celui qui a recueilli Antoine il y a longtemps. La violence du père était meurtrière alors.
La vie alors donne de grands coups d’épaule, soulève des émotions qui retournent le corps et font oublier les agitations inutiles. Il faut vivre chaque seconde, chaque minute comme l’éternité.
Antoine découvre la tendresse, l’amour et le bonheur. L’oncle Dave, encore, se fait passeur, shaman et initiateur. La mort pourra être belle, fascinante, envol et Gabriel s’y entraîne avec ces «pères» qui cherchent tout autant que lui.
Daniel Danis offre un texte d’une qualité exceptionnelle. Ses phrases sont aiguisées comme des sabres. Il faut s’imprégner de la beauté de cette langue baroque et incantatoire. Daniel Danis surprend avec ses trouvailles, des images qu’il est le seul à oser.
«Il neige en ce onze des morts. Pourtant, il pleut sur mes os et mes viscères, une pluie incessante, froide. Chaque partie de ma peau me semble quadrillée au marqueur noir pour inscrire les jours du mois avec ses hauts et surtout ses bas, comme pour me tatouer une peau novembrienne. Il pleut des ennuis sur une peau d’ennui. Je déambule comme une statue de plomb, creuse et sans semelle aux pieds qui, derrière elle, trace la coulée des eaux d’un être sans mémoire. Quand surgit ce maudit mois, les pensées inondent tout le calendrier de noyade tentaculaire répétée.» (p.43)
Daniel Danis suit les difficiles contours qui font les liens entre les humains, ces élans souvent brisés et malmenés qui laissent des blessures qui guérissent si mal. Sans compromis, il pousse encore plus loin sa réflexion, sa tendresse pour ces êtres plus doués pour la fuite que la vie. Apprivoiser la mort, c’est accepter la douleur de la séparation mais aussi la grâce de vivre; se faufiler dans tous les lieux de son corps. Parce que la mort peut donner un sens à la vie.
«Toute en sueur, toute en souffle, elle va d’abord, comme je l’ai vue, s’accroupir en catcheur sur son pénis ramolli, elle va descendre ses genoux au long des côtes d’Antoine, s’étendre sur sa poitrine, déposer sa tête au creux de son épaule et appuyer sa bouche dans son cou. Ils vont reprendre leur souffle… … Plutôt comme une tortue! Elle pensera qu’elle est une tortue sur le sable chaud du Sud, avec du bon vent plein d’odeurs soufflées de la nature, elle se verra pondre des œufs dans un nid creusé à même la plage. De sa bouche rouge sortira un: Je t’amoure. Je t’amoure.» (p.86)

 J’ai lu et relu ce texte, m’avançant et revenant pour en savourer la justesse, la densité et toute la beauté. L’écriture de Daniel Danis devient une sorte de mantra, de prière qui nous dessille l’être, pour ne pas dire l’âme.
Suzan Coolen s’intéresse à des objets si familiers qu’ils en sont devenus invisibles. Des plumes, une feuille d’arbre, une balle. Avec ces sujets, elle crée un espace, un lieu, un univers où le sujet acquiert une force et une plénitude fascinante. Une nouvelle identité je dirais. Les photographies de Suzan Coolen inventent des espaces tout comme les phrases de Daniel Danis. Une belle collaboration. Un plaisir rare que ce «Terre océane».

«Terre océane» de Daniel Danis et Susan Coolen est paru aux Éditions  Dazibao.         

dimanche 4 avril 2004

Yves Dupéré visite la Nouvelle-France

Yves Dupéré, historien né à Jonquière, lance un roman qui plonge le lecteur dans les années qui précèdent la chute de la Nouvelle-France. Il couvre les années allant du 21 juin 1752 au 18 octobre 1760. Un auteur précis comme un horloger.
Huit ans qui font connaître la gloire de cette Nouvelle-France qui n’hésite pas à porter la guerre chez les Anglais de l’Ohio avec une audace qui effarouche les plus braves. Le roman se termine par la défaite et la capitulation des armées françaises en Amérique après la prise de Québec.
C’est surtout l’histoire d’une famille, celle de Jean Hébert de Courvais. Le père major de l’armée française et ses deux fils, François et Alexandre, militaires aux méthodes bien différentes ainsi que Catherine et Anne. Une famille qui incarne cette Nouvelle-France qui devra s’incliner devant les forces anglaises. Yves Dupéré mêle les personnages historiques, Montcalm, Bigot à des êtres de fictions qui sonnent juste.
«Le ton des deux jeunes hommes était courtois, sans plus. Non seulement François était-il le préféré de son père, mais il était celui qui lui ressemblait le plus physiquement. Ses larges épaules et sa mâchoire carrée annonçaient une certaine rigueur. De plus, l’éclat de ses yeux bleus révélait tout l’ascendant que François avait sur qui le côtoyait. Ses cheveux bruns étaient remontés vers l’arrière et descendaient jusqu’à la nuque, comme ceux de Jean, durant sa jeunesse.» (p.75)
«Quand tombe le lys» fait revivre avec précision ces années où les Canadiens, ces Français nés en Canada, sillonnent l’Amérique, sèment la terreur, se battent, commercent avec les Indiens quand ils ne vivent pas comme eux. À Québec on retrouve l’aristocratie française qui tente d’imposer ses manières et ses façons de faire. Entre les deux, les marchands et la noblesse ne reculent devant rien pour s’enrichir.

Belle réussite


Yves Dupéré réussit ce premier envol romanesque malgré la surabondance des descriptions un peu maniaques des robes, des maisons et des armes qui ralentissent l’action. Cette écriture a au moins le mérite de nous «montrer» les lieux et les manières des personnages. Rien qui n’empêche d’apprécier cette histoire passionnante pourtant. Surtout quand nous suivons Alexandre dans ses amours. Et l’attirance particulière qu’il éprouve pour sa sœur Catherine n’est pas sans troubler.
«Malgré tout, certains d’entre eux passèrent sous les lames tranchantes des tomahawks. Quelques soldats anglais tentèrent de leur échapper, mais les Amérindiens les poursuivirent et les scalpèrent sous les yeux ébahis des Français. Des officiers canadiens, François en tête, réussirent à contrôler la fureur de leurs alliés iroquois. Les officiers et les soldats français virent pour la première fois le sort réservé aux vaincus par les Amérindiens. Plusieurs en furent outrés.» (p.191)
Une fresque oubliée avec l’abandon de l’enseignement de l’histoire. De l’action et des machinations qui tiennent le lecteur en haleine jusqu’à la fin. Des scènes torrides, des grandes batailles et aussi des trahisons qui mèneront au départ de la famille Hébert de Courvais pour la France après la défaite.
Ce qui étonne, c’est la liberté de mœurs des habitants de la Nouvelle-France, le libertinage pratiqué dans la colonie et le peu de place que le romancier donne au clergé.
Un bon roman appuyé sur une foule de faits historiques et des personnages attachants. Yves Dupéré a réussi son premier roman.

«Quand tombe le lys» d’Yves Dupéré est publié aux Éditions Hurtubise. 
http://www.editionshurtubise.com/auteur/799.html

dimanche 14 mars 2004

Hélène Pedneaut est fière de sa constance

Je rencontrais Hélène Pedneault pour son tout dernier livre «Mon enfance et autres tragédies politiques», mais elle voulait écouter Louise Beaudoin à la radio. L'ancienne ministre du gouvernement péquiste commentait le scandale des commandites à Ottawa à l'émission de Marie-France Bazzo.
J'ai dû attendre que Madame Beaudoin en finisse avec ce fonctionnaire qui notait au jour le jour tout ce qu'il trouvait suspect autour d’un programme que personne ne connaissait. Après, nous avons pu parler de son dernier livre, une réédition de ses chroniques écrites entre 1983 et 2004. Vingt ans
de vie, d'humeurs, de «montées de lait» comme dit Hélène Pedneault. Elle est comme ça. Toujours à l'affût d'un bout d'information et après, elle pousse les hauts cris ou se réjouit.
Hélène Pedneault, malgré les détours de sa vie, demeure une journaliste, totalement dans sa façon de voir et de regarder les soubresauts du mondepolitique et artistique. Une journaliste qui ne se contente pas de regarderle train s'éloigner avec fracas. C'est plus fort qu'elle. Elle a besoin d'action, d'une cause. Impossible pour elle de jouer à l'indifférente. Elle n'a jamais su résister à l'envie de bondir dans la mêlée pour dire ce qu'elle pense ou pour secouer un événement.
«J'ai besoin d'écrire pour comprendre ce qui arrive et ce qui se passe en moi. C'est ma manière de me centrer, d'avoir une cohérence», explique-t-elle en allumant sa cigarette. Elle fume. Partout, tout le temps. C'est comme ça. Il faut la prendre avec ou sans.

Filiation

Hélène Pedneault par sa façon de faire reste fidèle à ces journalistes qui épousaient une cause et fondaient un journal pour défendre des idées. Elle cite Olivar Asselin et Arthur Buies pour trouver une cheville ou un point d'ancrage.
Elle est de cette race. Exigeante pour elle et pour le métier, sans compromis, toujours prête à s'indigner et à pourfendre la bêtise. Elle ne fait jamais de quartier. «Je n'ai  pas tellement dévié de ma trajectoire si on peut dire. Je l'ai constaté à la relecture de mes chroniques. Je regarde et je crois encore profondément à ce que j'écrivais il y a vingt ans», dit-elle.
Et s'il y a une constance chez elle, il faut se tourner du côté du féminisme. Elle est devenue militante spontanément il y a des années tout à en gardant sa voix singulière. On lui ramène souvent ses «chroniques délinquantes» de «La vie en rose», un magasine qui revendiquait les droits des femmes et montrait à grands traits les travers des hommes. Hélène Pedneault n'y faisait pas de compromis, se moquant même des travers du féminisme. Elle a le regard d'un aigle et sait trouver le grain de sable dans l'engrenage.
«Je suis peut-être plus exigeante pour l'écriture mais c'est normal. J'utilisais des expressions un peu excessives alors j'ai calmé mes ardeurs avant la réédition. Je parlais de génocide culturel par exemple. J'ai changé cela. C'est fort le mot génocide.»
Hélène Pedneault allume une autre cigarette et gesticule. Elle a choisi des chroniques de «La vie en rose», du magasine «Guide ressources», des textes lus à Radio-Canada et envoyés au  magazine «Voir». Un mélange qui illustre bien sa constance. Oui, Hélène Pedneault a changé souvent de véhicules. «Je ne fais jamais fait de compromis, jamais. J'ai quitté parce que ce sont eux en quelque sorte qui me quittaient. Il y a des principes que je ne peux renier.»
Elle parle de ses textes avec passion, dit qu'elle aimerait aller vers la fiction maintenant. Elle a même écrit un polar pour la jeunesse, une autre de ses grandes passions de lectrice boulimique. Il y a encore un roman. «Toutes les formes d'écriture m'intéressent», dit-elle. Hélène Pedneault a touché à tout cela dans ses chroniques. Elle s'amuse, rigole comme à une fête entre amis, répète qu'il faut croire à l'avenir. «Devenir un pitt-bull quand on croit et ne jamais lâcher», lance-t-elle dans un grand rire. Elle est capable de nous faire croire en demain malgré toutes les menaces.
Le livre

Hélène Pedneault a regroupé une centaine de chroniques pour constituer un livre où le lecteur y trouvera des questions aussi sérieuses que l'indépendance du Québec mais aussi des constats sur la vie des femmes et des hommes, leur évolution au cours des vingt dernières années au Québec. Nous ne sommes jamais loin de la vie d'Hélène Pedneault non plus. Nous la suivons dans son petit domaine de Saint-Zénon, près du lac Sébastien, qui deviendra le sujet d'un livre de réflexions et de méditation presque.  Elle ne rate jamais une occasion de retourner dans son enfance à Jonquière. Elle parle de son père avec tendresse, trace un portrait de sa mère. On y apprend le plaisir qu'elle a eu à découvrir le monde et à tout savoir. Les livres ont  toujours été au centre de sa vie.
«Je n'ai jamais été capable de tenir un journal au jour le jour et  je me suis aperçu en relisant mes chroniques que je racontais ma vie, que je la fouillais pour la comprendre à travers les événements politiques.»
Elle y explique sa passion pour la chanteuse Barbara, sa découverte des écrits de Simone de Beauvoir qui vont bouleverser sa vie. «Il faut parler de soi pour parler des autres», ajoute-t-elle. Oui elle bouscule, heurte, dérange et nous fait avaler souvent de travers. Elle n'a pas son pareil pour nous montrer nos travers, des habitudes, des façons de faire qui font que la planète se sent mal, qu'il y a des guerres à répétions.
« Plusieurs des textes que j'ai fait pour l'émission de Bazzo, je les ai repris en monologue sur scène et les gens qui écoutent croulent de rire à chaque fois. Ça passe très bien. C'était fait pour être dit.
Il faut lire ce gros bouquin plein de dénonciations, de charges et de réflexions pertinentes. Prendre son temps, laisser mijoter certaines chroniques pour bien les savourer. Il faut écouter Hélène Pedneault quand elle parle des analphabètes au Québec, sa hantise. On ne rit plus. C'est aussi  cela la manière d'Hélène Pedneault. On l’aime avec ses élans, ses colères, ses «montées de lait», ses charges. Une grande humaniste.

«Mon enfance et autres tragédies politiques», journal intime et politique d’Hélène Pedneault est paru chez Lanctôt Éditeur.

dimanche 7 mars 2004

Élisabeth Vonarburg regroupe ses nouvelles

Élisabeth Vonarburg n’a cessé de bousculer la société en se projetant souvent dans le futur ou en le ramenant à sa plus simple expression quand tout a été saccagé par la démesure humaine. Si elle a réussi des fresques époustouflantes avec sa série Tyranaël ou «Le pays des mères», elle sait aussi travailler des textes précis comme des bonsaïs. Toujours elle questionne l’évolution, la civilisation ou sur quoi peut reposer l’humanité. Des énigmes qui hantent ses grands romans de science-fiction où elle se fait chercheuse et tente de trouver ce qu’est l’humain, la culture ou la civilisation quand tout le superflu ou l’inutile a été balayé. Une manière de se plonger en situation d’urgence pour décrire la condition humaine et questionner l’histoire. Comme si elle poussait l’humain dans ce qu’il a de plus intime. Elle a trituré le langage, les rapports entre les hommes et les femmes, bousculé la civilisation, les mutations possibles ou imaginaires dans un monde dominé par la machine. Toujours elle a cherché l’étincelle, la petite flamme qui montre que l’humain est humain malgré toutes les folies et les expériences.
Parallèlement, Élisabeth Vonarburg a écrit des textes pour le plaisir de participer à une revue ou un collectif. Ici, dans «Vraies histoires fausses» elle regroupe vingt-trois nouvelles parues ici et là, surtout dans le collectif de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie-Côte dont elle a été une animatrice pendant plusieurs années.

Question d’unité


Le lecteur trouverait-il une unité ou un fil conducteur dans ces textes qui s’échelonnent sur une vingtaine d’années. Elle explore son enfance, son adolescence, s’arrête à ses migrations, à sa venue à Chicoutimi et y décrit certains rêves. Elle se livre dans ses choix d’existence et ses décisions. Elle y parle du pays rêvé, du pays abandonné, de son amour de la neige, des voyages en autobus et s’abandonne un peu aux souvenirs pour y arracher des signes. Des textes d’une finesse remarquable et d’une belle unité. Peut-être parce qu’Élisabeth Vonarburg a décidé, dans ces récits de déchirer les masques pour parler d’elle et de son monde, d’aller vers soi en oubliant les maquillages.
«Alentour, hors de la ville, les repères de mes chemins se sont effacés, les champs n’existent plus, les maisons, à peine. Seulement la plaine, un grand corps endormi, immobile et pur, entre l’orée du Parc et les monts Valin – la montagne flotte au-dessus de l’horizon, rêve de nuage dans l’azur tranchant.» (p.57)
Elle travaille avec des petites touches précises et sait être une orfèvre attentive. Et quel don elle a pour nous faire sentir l’autre, l’étouffement ou une présence intolérable.
«C’était peut-être cela, l’enfer, un autobus puant plein de gens exécrables, fonçant à travers l’éternité des limbes en direction de nulle part.» (p.89)
Élisabeth Vonarburg ne perd jamais son mordant. Elle a le regard perçant de l’harfang à qui rien n’échappe. Des textes surprenants même quand on a eu le plaisir de la lire au cours des années. Regrouper ces textes leur donne une force et une justesse encore plus grande.

Précision

Élisabeth Vonarburg ouvre ici une porte à ceux et celles qui, au cours des onze dernières années, ont participé aux collectifs de «Un lac, un fjord, un fleuve». Ses nouvelles demeurent percutantes, justes et s’avèrent d’une remarquable uniformité.
«Je voyais d’immenses forêts profondes, enfouies sous la neige, avec des ours noirs qui dormaient roulés en boule entre des parois de terre veinées de racines. Et de grandes chouettes blanches au vol velouté dans le silence. Et de grands cerfs majestueux, dans la neige jusqu’au poitrail, qui avançaient comme des bateaux sans voiles.» (p.123)
Élisabeth Vonarburg sait rêver un espace et l’habiter. Elle nous le peint ici dans une langue d’une belle précision.

«Vraies histoires fausses» d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Vents d’Ouest. 
http://www.ventsdouest.ca/Livres.asp?IDL=188

lundi 1 mars 2004

Daniel Boivin séduit avec son journaliste

Quatre ans après avoir lancé «À cause du train», un roman fort acceptable, Daniel Boivin récidive avec «Trois nuits au Colibri».
Encore une fois, cet écrivain plonge dans un monde un peu tordu et ne s’éloigne guère de son univers pour le plus grand plaisir des lecteurs. Pour ceux et celles qui ne l’ont pas encore deviné, Daniel Boivin est journaliste à CBJ, la station de Radio-Canada à Chicoutimi.
Simon Naud vient de se faire rattraper par la quarantaine. Avocat de formation, il n’a jamais pratiqué. Et comme bien des journalistes qui font le métier depuis un certain temps, il est cynique. Le chroniqueur judiciaire de La Presse campe au Palais de Justice et décrit la misère humaine à tous les jours.
Le reporter doit enquêter sur une histoire un peu sordide juste avant Noël. Un ancien maire de Repentigny et son épouse ont été assassinés à Saint-Fabien-des-Pins, une petite ville de l’arrière pays.

Enquête

L’intérêt se porte rapidement sur Alice, une jeune photographe d’allure punk qui accompagne Simon Naud dans sa mission. Va-t-il oui ou non baiser avec elle? J-H. le chef de pupitre et chef des nouvelles est particulièrement intéressé par la chose. Mais il y a Zoé, la serveuse qui zézaie et sait faire bien d’autres choses. Le temps file à Saint-Fabien-des-Pins  à moins trente Celsius. Simon fait un peu de jogging entre le restaurant, le bar et le dépanneur tout en élaborant les textes qu’il va expédier au journal. Après, l’enquête suit son cours et le monde tourne en rond.
Heureusement, Daniel Boivin revient vite aux hantises de son premier roman et c’est là tout le charme de ce second ouvrage. Le vieillissement, le sexe, l’amour, les humains si souvent tordus retiennent son attention. Il est toujours un observateur précis et mordant. Il trace le portrait d’une petite société à grands traits. La vie engourdie dans la routine, un bar de danseuses nues, le restaurant où tout le monde se retrouve, un estaminet minable où les ivrognes se saoulent avec application et dévotion.
«L’intérieur du dépanneur ressemblait à un entrepôt de bière. On ne voyait rien d’autre que des caisses de vingt-quatre empilées en pyramide parmi quelques étalages d’articles de pêche et de cassettes vidéo. Les bouteilles de bière remplissaient également une chambre froide toute vitrée qui répandait une lumière crue dans la pièce.» (p.59)

Un tendre


Simon Naud est obsédé par le sexe et les femmes mais c’est un tendre, un doux qui se protège comme il peut. Un humaniste et peut-être aussi un idéaliste.
«À deux occasions, il avait refusé de partir en Arabie Saoudite pour couvrir la guerre du Golfe. La première fois, au début du conflit, il s’était inventé une fausse bronchite pour refuser l’assignation. Quelques semaines plus tard, il invoquait des problèmes de couple pour se défiler… … c’était parce qu’il avait peur. Peur des bombes, des attentats, du terrorisme, des balles perdues, des armes chimiques. Peur de mourir, tout bêtement.» (p.40)
Voilà qui rend le personnage de Simon sympathique . Après cela, on peut bien lui pardonner son obsession du sexe.
«En attendant son rire joyeux, il éprouva une sorte de tristesse. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait presque deux fois son âge. Il se sentait, non pas trop vieux, mais dépassé. Démodé.» (p.117)
Une écriture rythmée, efficace et un sens de l’humour qui fait avaler les pires outrances. Le talent de Daniel Boivin fait qu’on oublie un peu les problèmes de concordance du temps des verbes et certaines expressions boiteuses. Non, on «ne se laisse pas tomber dans sa chaise». Que dire d’un «elle laissa étirer le silence» et puis d’un «j’avais ma Nikon dans le cou.» Une autre pour terminer? « La 1er Avenue était déserte à perte de vue». Mouais…
Une lecture attentive aurait pu corriger facilement ces peccadilles.

«Trois nuits au Colibri» de Daniel Boivin est paru aux Éditions JCL.

samedi 28 février 2004

Marc Vaillancourt ou le suicide d’un écrivain

Marc Vaillancourt demeure un cas particulier. Après avoir publié de la poésie remarquée, des nouvelles fort intéressantes, voilà que notre Chicoutimien de naissance lance deux essais foudroyants. Des bijoux de hargne et de mauvaise foi contre la littérature et les écrivains du Québec. Il manie la phrase comme un lance-roquette et tire sur tout ce qui respire dans le monde littéraire.
Dans «Au poil et à la plume», il s’acharne à détruire ce qu’il avait pu négliger dans «Les feuilles de la Sibylle». On croirait se retrouver devant une réincarnation d’un ange vengeur fonçant sur l’Amérique pour exterminer tous les impies qui gravitent autour de l’écrit. Un véritable carnage.
«Des cuistres, des ploucs, des fumistes. Des benêts, des bélîtres. Des butors, des viédases, des microcéphales et des petits magouilleurs : bref des professeurs québécois. (p.65)
Et pour étayer son propos, il dépoussière les poètes grecs qu’il fréquente et ceux de la Rome d’avant Jésus-Christ. Des arguties sur des traductions, des précisions, des sentences, des citations à la douzaine d’écrivains français, bien sûr, et parfois des traits qui font hausser les épaules. Une prétention à nulle autre pareille.
«Quand je veux lire un bon livre, je l’écris,» (p.115)
Voilà de quel bois se chauffe notre prétentieux.

Tristesse

Il est rare de voir un écrivain se faire hara-kiri en pratiquant son art.
«Il paraît que je suis détesté dans le milieu littéraire. Mon cœur pépie de joie!» (p.173)
Après une cinquantaine de pages, j’ai commencé à me bidonner de ces dérapages et de ces extravagances. À trop en mettre, on finit par sombrer dans l’absurde. Il faut l’inviter à lire ses sentences au «Festival juste pour rire». Un écrivain est mort mais un humoriste est né.
«Un jour le chroniqueur culturel d’une feuille publique m’a dit avoir lu, compris et aimé un de mes poèmes. J’ai cru mourir de honte.» (p.161)
Des charges, des baffes qui frappent parfois dans le mille mais qui ne peuvent faire oublier la grossièreté des propos.
«Prend son cul pour mes choses, et son ombilic pour l’omphale. (Aggravation : poétesse québécoise : Le Torrent, de la gaupe Anne Hébert, la fait mouiller. Pour renfort de potage, la poétesse québécoise, lauréate du prestigieux Prix Tarattata Tsinsin, est le plus souvent professeure et a fait une poéthèse sur la poéterie, car «elle s’invente un langage et transgresse les interdits. (p.102)
Vous en voulez encore?
«Au Québec, pays d’ateliers d’écriture et de lécheurs conditionnés, on ne peut pas être sans avoir tété : voilà ce que vous devez comprendre chaque fois que vous entendez un des mâche-laurier de la tribu, parler de son inspiration.» (p.64)
«Celui qui ne possède pas sa syntaxe latine, son vocabulaire latin, sa grammaire du grec, et qui prétend écrire en français, sera tout au mieux un auteur estimable. Il ne sera jamais un écrivain accompli. »(p.106)
Et vlan! Autant réinventer le cours classique et les enfants de Duplessis.

Réactionnaire

Une certaine forme de société s’esquisse derrière ces galéjades et ces coups d’estoc. Il regrette les cérémonies religieuses latinisantes, serait plutôt papiste, réactionnaire et misogyne. J’ai rarement lu autant de mépris sur les femmes et les écrivaines.
«Au reste, existe-t-il des critiques dignes de ce nom au Québec? N’y aurait-il que des profiteurs et des fumistes, qui ne font jamais rien qu’en vue des intérêts de leurs complices, à charge de revanche, et sans souci de rien d’autre» (p.116) 
Alors pourquoi me priver? J’ai cru par moment me retrouver au XVe siècle.
Et pour terminer, je retiens cette sentence qu’il a puisée chez Voltaire : «Il se donna bien de la peine/Pour vivre pauvre et méprisé». Que Dieu ait son âme en latin de préférence.

«Au poil et à la plume» de Marc Vaillancourt est paru aux Éditions du 42e Parallèle.