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mardi 12 septembre 2017

ALEXANDRE Mc CABE REDONNE ESPOIR

ALEXANDRE Mc CABE publie un second roman avec Une vie neuve. On constate rapidement que ce romancier a de la suite dans les idées. Il y est encore question de la famille, c’était le sujet de Chez la reine paru en 2014. On retrouve avec bonheur sa passion pour l’actualité politique et littéraire. Ce que beaucoup d’écrivains préfèrent ignorer. Je garde en mémoire une scène de son roman Chez la reine où l’on assistait à une confrontation épique entre le grand-père indépendantiste et un oncle fédéraliste lors d’une fête familiale. Elle illustre parfaitement le déchirement que les Québécois vivent sans être capables de se brancher. Une magnifique façon d’aborder les grandes questions identitaires sans devenir pédant. Le politique finit toujours par se faufiler dans le privé.

Les trois frères Leduc et leur sœur sont bien installés dans la vie. Tous ont fait leur chemin et chacun a sa conception de la société et de ce que doit être l’avenir du Québec. Ils n’ont plus de liens entre eux et ils sont devenus des étrangers. Philippe est avocat et décide de l’avenir du haut de sa tour, travaille pour une élite qui s’approprie toutes les richesses et tire toutes les ficelles. Il doit céder cependant devant sa belle-fille qui veut la tête d’un jeune contestataire. L’impression de revivre le drame de Judith devant Holopherne. L’ombre de Gabriel Nadeau-Dubois se profile. Inutile de chercher à faire des associations avec des personnages connus. Il faut seulement se laisser porter par le récit. 
Philippe est de ceux qui font en sorte que notre démocratie sert les intérêts d’une clique. Cette première partie fait écho à la contestation étudiante du printemps érable de 2012, aux carrés rouges qui ont fait retenir le son des casseroles partout dans Montréal.

Forts de leur expérience dans les firmes de relations publiques et grâce à une plateforme léchée ainsi qu’à une diffusion facilitée par les contacts dans les salles de presse, ils avaient trouvé écho chez des journalistes complaisants qui prophétisaient l’essor d’une nouvelle garde. On leur avait offert une tribune pour des textes présentés comme polémiques. Ceux que Philippe avait lus lui avaient toutefois paru insipides et l’avaient rendu nostalgique de cette époque où il lisait Cité libre. S’il se réjouissait de voir la prochaine génération, qu’on disait apathique, s’investir dans le débat public, il s’inquiétait de la vacuité de ces jeunes loups plus occupés à briller qu’à penser. (p.19)

Peut-être que Mc Cabe a ressenti un certain malaise devant ce personnage qui me semble loin de ses préoccupations. Les dialogues un peu longs grincent un peu, mais comment incarner des ombres qui mangent à tous les râteliers.

L’ERRANT

Et arrive Benoît. Après une peine d’amour, il choisit de se refaire une santé morale et physique en se lançant sur les chemins de Compostelle. Bien des jeunes retraités entreprennent de parcourir l’Europe à pied pour se retrouver dans leur corps et leur tête. Même Sergio Kokis a succombé aux charmes des randonnées au long court.
Benoît travaille dans les médias et rêve d’accéder aux ligues majeures de la radio et de la télévision à Montréal. Et le voilà qui s’essouffle derrière la belle Clara qu’il suit comme son ombre. Nous plongeons dans un carnet de voyage où les dialogues sont écrits à la manière théâtrale. Des rencontres, des discussions et surtout cette fille comme un soleil. Benoît complète son trajet et tourne les yeux vers une autre femme. C’est ainsi. Notre homme est un amoureux de l’amour comme il dit. Le rythme est soutenu et on s’attache à cet individu qui a du mal à vivre. Il illustre bien une certaine jeunesse qui n’arrive pas à s’installer dans la vie.

VRAI DÉPART

Mc Cabe m’a accroché avec le témoignage de Jean, un sociologue qui a vécu la Révolution tranquille. Il a croisé des êtres d’exceptions et a toujours cru que l’émancipation personnelle ne peut que coïncider avec l’indépendance du Québec. Il livre ses derniers propos, sachant que sa vie en est au dernier tournant. Un penseur qui tente de prévoir comment le Québec va réagir quand il deviendra un pays. Un regard assez percutant sur les hommes politiques qu’ont été René Lévesque, Pierre Bourgault, Jacques Parizeault, Jean Lesage, Georges-Émile Lapalme et le général de Gaulle. Des propos d’une intelligence vive. J’ai ressenti un immense soulagement à lire ces pages, à le voir secouer des lieux communs, bousculer l’histoire contemporaine et notre époque. Sans doute des affirmations que les critiques n’aimeront pas. Les littéraires ont tellement de mal avec les idées au Québec. Longtemps, trous ont condamné les œuvres de fiction qui osaient effleurer la question politique ou encore citer des penseurs et des philosophes. On préférait l’ignorance et le ti-cul qui s’enfarge dans la misère, la drogue et la bière. Alexandre Mc Cabe me rassure. Je répète un peu ce que je disais en parlant de son premier roman. Il est de ces jeunes qui tentent de voir clair dans la situation embrouillée du Québec. Enfin quelqu’un qui échappe au selfie et qui émet des idées. Je suis prêt à pardonner bien des faiblesses pour avoir droit à cette récompense, à des propos qui font du bien à l’être plein de questions que je suis.
MARIE

Enfin Marie, la fille de la famille, est devenue peintre. Ce n’est pas elle qui s’impose comme dans les trois premiers volets d’Une vie neuve. Marie est vue par Charles, un ami de ses enfants, un enseignant et un poète. On découvre une femme fascinante et marginale. Elle a refusé d’emprunter les sentiers de l’art contemporain et croit que l’artiste doit bousculer des croyances et secouer la réalité. La fuite dans l’abstraction, dans des concepts creux, ce n’est pas pour elle.
Charles enseigne la littérature et en parle avec intelligence. Pour lui, un écrivain ne peut que s’ancrer dans sa réalité et son environnement. Sinon, nous avons affaire à un cracheur de feu et à un illusionniste. Malheureusement, ils sont fort nombreux dans notre époque à écrire leurs petits livres au goût du jour, à être de toutes les émissions où l’on n’arrive qu’à parler de soi, qu’à ressasser des opinions et très peu d’idées.
Charles montre le rôle de Miron, son travail et son héritage. La mission que doivent se donner les poètes de maintenant qui ont malheureusement réduit leur art à l’ego-portrait et à une longue liste de petites émotions qui vacillent devant une fenêtre ouverte. La mission de durer, de continuer le travail des prédécesseurs incombe encore et toujours aux poètes et aux écrivains de maintenant.

L’émancipation québécoise est devenue aujourd’hui la pire des abjections. Avant, on la célébrait. C’est désormais la gangrène des croulants qui refusent l’euphorie canadienne. Notre littérature doit s’ouvrir aux autres, délaisser le passé, c’est le mot d’ordre. Je suis bien d’accord, mais est-ce qu’elle doit pour autant arrêter de parler du Québec, de le faire avancer ? Les écrivains allemands, portugais ou américains ne le feront pas pour nous. Quiconque est décomplexé n’a pas honte de se raconter, de se montrer tel qu’il est. Quiconque va au bout de sa langue et de sa culture va au bout de lui-même. (p.155)

Mc Cabe se démarque en effleurant la responsabilité de l’écrivain dans le monde d’aujourd’hui. Il me tend la main et je ne peux que lui dire de continuer, parce que c’est ce que je fais depuis que j’ai publié une première fois en 1970, me lançant dans la poésie comme on se jette dans une rivière aux eaux tumultueuses. Je me nourrissais alors de Langevin, Miron, Préfontaine, Chamberland et Giguère. La poésie telle que je la conçois et comme Mc Cabe semble la considérer, est une corde tendue au-dessus d’un précipice,

Où est passée la fougue homérique de Miron ? Nous avons pourtant son travail à continuer. Nous avons à bâtir sur les charpentes de sa poésie. C’est la suite de L’homme rapaillé qu’il faut écrire. S’il s’est rapaillé lui-même, et le Québécois en lui, il faut empêcher que ces deux-là ne se défassent encore. Je ne dis pas qu’il faille reprendre la manière. Je dis qu’il faut refondre notre art à partir de trois-quatre grandes idées qu’il nous a laissées, la première étant l’impossibilité d’une littérature dans une province anonyme. Notre sort et nos textes doivent se conjuguer de nouveau. Sinon, nos écrivains fabriquent une maison de paille. (p.149)

Voilà une véritable récompense pour le « chroniquer vieillissant ». Je reprends ici la formule de Victor-Lévy Beaulieu.
Les deux derniers textes d’Une vie neuve devraient être lus dans toutes les classes des cégeps et même dans les instances du Parti québécois où l’on effleure toujours du bout des lèvres certaines œuvres de la littérature québécoise. Mc Cabe nous pousse devant une réalité que nous aurons à choisir un jour ou l’autre. Parce qu’à être en n’étant toujours pas, « dans un pays qui n’est toujours pas un pays », (encore Victor-Lévy Beaulieu), on risque de perdre son âme. Alexandre Mc Cabe croit en l’avenir. Il me dit de continuer à parler des écrivains du Québec, envers et contre tous, pour répéter encore et encore que nous avons une présence et une voix. Et cet écrivain justifie la toute dernière phrase de mon prochain roman : « Il y a encore de l’espoir. »



UNE VIE NEUVE d’ALEXANDRE Mc CABE est une publication des ÉDITIONS de LA PEUPLADE.

jeudi 31 août 2017

MICHELINE MORISSET TOUCHE À L’ÂME

MICHELINE MORISSET travaille à son œuvre loin des regards et des bruits de la foule. J’ai particulièrement aimé Le cœur c’est fatal où elle effleure des blessures qui ne guérissent peut-être jamais. L’écriture, chez cette écrivaine, est une manière de secouer l’être, d’effleurer ce qui blesse, triture et pousse dans des comportements étranges. Encore une fois dans Ce visage où habiter, un titre intriguant, elle tourne autour d’une famille qui a connu un drame terrible et qui s’enfonce dans le silence. La mort des parents hante tous les membres de cette famille, mais pas pour les raisons que le lecteur peut imaginer.

Je reviens avec Le cœur c’est fatal que j’ai lu et relu pour cette respiration qui soulève les œuvres de Micheline Morisset, la mélodie qui vous hypnotise et subjugue.

« Des agressions dans l’enfance ont balafré le corps, des amours mal vécus ont froissé l’âme. La vie est la plus terrible tempête qu’un vivant puisse affronter. Et cette dérive du temps qui finit par tout gâcher quand le corps n’est plus fiable. »

J’écrivais tout ça en 2013 et il me semble y trouver les racines de ce roman qui s’attarde à la famille Garon. Philippe a été pris en charge par les voisins après la mort des parents et Estelle s’est sacrifiée pour garder ses soeurs autour d’elle. La jeune fille renonce à son identité, refuse « d’habiter son visage » à la mort de sa mère. Comment ne pas penser à Laetitia, le personnage de Nicole Houde dans La Maison du remous, qui doit prendre la direction de la maisonnée à douze ans. La fatalité familiale leur vole leur enfance.
Philippe s’adapte mal à la vie chez les Michaud. Tout le monde s’occupe du matin au soir, mais le jeune homme a la tête ailleurs. Voilà un rêveur impénitent qui ne songe qu’à partir pour oublier peut-être l’incendie qui a tout saccagé dans sa vie, ce jour funeste où il est resté sans un geste devant le désastre, incapable de tenter de sauver son père et sa mère.

Je suis demeuré chez les Michaud tandis qu’on avait dispersé mes sœurs aux quatre coins, tant à Notre-Dame-du-Lac qu’à Saint-Eusèbe. Plus tard Estelle, capitaine de navire, a repris la marmaille, toute la nichée agglutinée à sa taille et à ses quinze ans, sauf moi. Je pense qu’elle n’aurait pas pu composer avec un jeune homme près d’elle, d’autant plus que je m’étais montré plutôt trouillard et engourdi lors de l’incendie qui nous avait laissés anéantis ; je suppose qu’elle m’en voulait. Comment classer tout ça ? (p.185)

Il reste l’homme qui regarde, le distant et le lointain. Il a vécu la guerre sans vraiment connaître ses atrocités même s’il était en Angleterre et en France. Il y a aussi ce terrible secret qu’il aimerait certainement effacé.

SILENCE

Estelle baisse la tête. Il y a des choses dont on ne parle pas, qu’elle n’ose même pas effleurer. Elle fait tout pour garder ses sœurs dans la maison familiale, protéger son clan. Certaines, adultes, iront à Toronto ou ailleurs. La vie veut cela. Agathe s’enferme dans sa chambre pour lire ou encore écrire dans ses cahiers. Et il y a Élise, la fille d’Agathe, qui tente de savoir qui elle est. Elle cherche à « trouver son visage », à se donner une identité, un corps avec une histoire, un passé pour mieux envisager l’avenir. La problématique que l’on rencontre dans le personnage de Vivianne dans Comme des sauvages, le roman d’Emmanuelle Tremblay. Elle est de celles qui sont « orphelines de visage » comme l'écrit Nicole Houde.
Ce qui me fascine, encore une fois, ce sont ces secrets que l’on moule dans le silence, ces gestes,  ces événements qui font claudiquer. Tous ces moments que l’on tente de nier et qui hantent un peu tout le monde. Nombre de romans s’attardent à cette problématique qui marque les personnages et les empêche de lever la tête. Francis Rose, dans S’en aller, met en scène un fils qui veut se libérer de son père. C’est un peu la trame de Jean-François Caron dans De bois debout où le fils est fasciné par un père qui demeure une énigme. Toutes ces histoires de famille étouffent et empêchent les garçons comme les filles de prendre leur vie à deux mains.

Certes l’habile dissimulateur avait toujours aimé mêler les cartes, plus, il avait choisi de se bricoler une histoire qui dilapidait tous les morceaux inconsolés de son passé. Oublieux de tout et de lui-même. Sans compter qu’en ta présence réciter les événements, seulement les réciter, l’amusait. C’était plus crucial que la vérité. Il conversait peu et voilà que toi, Élise, tu l’écoutais. Voilà que des phrases, juste leur rythme, suscitaient quelque chose de vivant dans les yeux d’une femme ! Il n’éteindrait pas ces étincelles pour deux, trois faussetés dérisoires. Son discours chaque fois s’embrouillait dans un bel assemblage de leurres, de ruses, une impression de distorsion romanesque, une confusion des temps et de gens inscrivait son périple dans les hautes sphères de la légende ! (p.198-199)

SECRET

Philippe s’installe dans son auto, y rêve pendant des heures, regarde les jeux de la lumière sur lac Témiscouata, ce pays où il est revenu après son aventure européenne. Séducteur impénitent, il n’évoque jamais sa vie en Angleterre et en France. Et il préfère certainement oublier la folie qui a brisé la vie de sa soeur Agathe.

Philippe est dans sa Camry comme d’autres dans une chambre à soi se maintiennent au plus près de leur part qu’ils n’ont pas choisi de dompter. C’est sa machine à habiter, sa cellule d’habitation que d’aucuns jureraient exiguë ou sans intérêt, mais qui le protège, mieux le comble en lui offrant au quotidien et la clarté et les paysages et la puissance évocatrice de la musique dans laquelle il se noie de longues heures durant. (p.122-123)

J’ai souvent eu l’impression de m’avancer dans un tableau où tout est silence, figé hors du temps et du mouvement. Il y a bien des murmures, des gestes lents, des déplacements sur la pointe des pieds, mais tout est si discret et feutré. L’écrivaine aime les formes dans le brouillard, une certaine réalité qui se dissimule du côté de l’horizon. J’aime cette écriture qui nous garde dans le flou et l’imprécis.
Micheline Morisset possède un sens de l’observation unique et arrive à décrire le monde avec une précision d’orfèvre. Tout prend de l’importance dans ce roman où les gens parlent peu ou pas, où le décor, le lac, la maison, certains gestes disent tout.
Estelle, dans la cuisine, devant son fourneau ou en pliant les draps après le lavage, arrange et protège son univers. Philippe, dans son auto, avec sa cigarette et son whisky rêve. Tout près de ses sœurs, il est le voyageur immobile, incapable de s’avancer dans une autre vie. Comment oublier cette journée qui l’étouffe et qui a bouleversé la vie de sa sœur Agathe ? Il est une image dans ses beaux vêtements, une ombre qui n’arrive pas à habiter l’espace. Il est ce nuage dans le ciel qui glisse à la surface de l’eau. Clémence a envie de voir ce qui se cache derrière la carte postale.
J’aime particulièrement Agathe que tous croient un peu folle, qui vit le nez dans un roman ou une fiction, qui écrit aussi des textes que personne ne peut lire.

J’aime cette histoire, mon histoire de fille défectueuse. Je vous écris avant de l’oublier, avant que tout se confonde, avant qu’un jour l’auguste d’une voix me tire du côté du néant. De toute façon, c’est toujours pour ça que l’on écrit, n’est-ce pas, madame ? Avant qu’il soit trop tard, remettre les morceaux en ordre. L’enfance avant la mort, les yeux de mon frère, son visage, avant le cœur qui s’immobilise. Et puis on en possède tout une, une histoire pas vrai ? Nous ignorons la vôtre, vous parlez si peu de vous quand vous vous affichez, droite et tout sourire, dans la cuisine. Avez-vous une histoire comme la mienne, je veux dire que vous aimez ? (p.254)

Tous dans une bulle que personne ne veut crever, sauf peut-être celle qui agite l’écriture.
Comment habiter son visage, ne pas être écrasé par les secrets de famille, les devoirs que l’on s’impose. Estelle renonce à sa vie et ne connaîtra jamais les feux de l’amour. Agathe ne peut plus sortir de sa chambre pour être après ce moment de folie avec Philippe. Celles qui s’en tirent le mieux, tout comme chez Emmanuelle Tremblay, sont celles qui échappent au cercle des enfermements et aux pièges de la famille en s’éloignant.
Micheline Morisset ajoute ici une brique importante à son œuvre exigeante. J’aime la précision de son écriture, la petite musique qui vous hante pendant la lecture. Ses textes ont souvent la netteté d’une partition musicale parfaitement équilibrée qui vous emporte au loin, peut-être là où les humains n’ont plus besoin des mots pour être tout entier dans leur tête et leur corps.



CE VISAGE OÙ HABITER de MICHELINE MORISSET est paru aux ÉDITIONS DRUIDE.

mardi 15 août 2017

Emmanuelle Tremblay va derrière le miroir


COMME DES SAUVAGES d’Emmanuelle Tremblay est un roman qui m’a rappelé, par certains aspects, La Maison du remous de Nicole Houde ou encore les sagas de Claude Le Bouthillier où des drames marquent les gens sur plusieurs générations. Tout tourne autour de Rose, la grand-mère infatigable et un peu étrange qui rend l’âme dans les bras de sa petite-fille Viviane. Qui est cette femme ? Que cachent ses silences ? Pourquoi ses filles sont-elles parties ? Et le grand-père qui attend avec impatience que sa petite-fille s’éloigne après les funérailles. Quelle tragédie marque la famille Santerre ? Un roman étonnant, souvent cruel, mais toujours juste.
  
Rose se meurt dans sa chambre d’hôpital. Viviane, sa petite-fille, revient dans la famille après une longue absence pour vivre les derniers moments de celle qui lui a servi de mère. Quelques mots, des bouts de phrases et des images surgissent. La jeune femme replonge dans son enfance, se heurte à des secrets, certains événements dont personne ne parle.
Rose s’est occupée seule de ses filles et de ses fils. De sa petite-fille aussi, l’enfant de Nicole. Son Augustin était toujours au loin, en mer ou ailleurs. Pour tenir le coup, il y avait les médicaments que lui prescrivait le docteur Thériault. Ainsi, elle calmait ses angoisses, ses regrets, sa peur devant ses filles qui ne semblaient rien retenir de ses propos et de ses mises en garde.
Tout comme Laetitia, le personnage principal de La Maison du Remous de Nicole Houde, Rose se heurte à une fatalité héréditaire qui la réduit au silence et va détruire ses filles.
La petite-fille épie cette femme qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, ce corps qui semble glisser tout doucement hors de la vie. Des mots esquissent des images, des moments, des instants fugaces et des fragments du passé.

Viviane s’était penchée sur la vieille jusqu’à appuyer sa poitrine contre le corps alité. Elle n’eût pas cru possible de la voir d’aussi près. Une femme à sa place. Qui avait imposé le respect dans la distance maintenant abolie, par le sort du commun. Car son squelette se précisait sous la peau tavelée de constellations inédites. Son haleine l’enveloppait d’une aura qui s’épaississait plus le sang ralentissait son cours. (p.14)

Rose a vécu dans un monde dominé par les hommes. Elle a été réduite à ses fonctions biologiques. Peut-être pas un univers aussi marqué qu’évoque Abla Farhoud dans Au grand soleil cachez vos filles, mais une force insidieuse et implacable. Nous sommes dans les années qui précèdent la Révolution tranquille et le clergé a encore beaucoup d’emprise sur les gens. Les études ne sont guères possibles pour les filles Santerre parce que le père a du mal à joindre les deux bouts et qu’il est possédé par la passion du jeu. Elles travaillent à l’usine qui transforme le poisson. Une tâche difficile, ingrate où il faut se démener pour faire un peu d’argent. Chacune compose avec ses ambitions, ses désirs et une même volonté de s’arracher à la misère qui écrase Rose un peu plus chaque jour. Monique paie chèrement le prix de ses ambitions tout comme Nicole. Simone et Jeanne s’en tireront un peu mieux en allant vivre en ville.
Viviane a droit à des études. À cause de sa naissance, de sa mère qui est partie et qui n’a jamais donné de nouvelles. Le père n’a jamais été nommé et identifié. Le silence, un autre, des questions que l'on ne pose jamais. On comprend à la lecture pourquoi Augustin, le grand-père, n’aime pas se retrouver face à sa petite-fille qui lui rappelle un moment de lâcheté et de couardise.

Les pétales de la rose sont flétris sur son bras tatoué. Mais elle fait semblant de ne pas voir, occupée à lire le dos de la boîte de Cheerios au miel et aux noix. L’homme n’en impose plus autant, malgré une fébrilité intérieure qui le maintient sous pression, comme s’il allait se lever à tout moment pour partir. On sait jamais quand il s’en va. Quand il revient. Où c’est qu’il est rendu. Grand-maman Rose n’avait pas tenu le compte de ses absences. Aux côtés de sa petite-fille, il demeure pourtant stable, avec l’air de vouloir ajouter quelque chose qui tarde à venir. Amadouée, elle l’aide à se dépêtrer du silence en lui reposant la question. Le ménage ! Il se fait tout seul ? (p.44)

Viviane, fille sans père, trouve une sœur dans le personnage de Ghislaine de La Maison du Remous de Nicole Houde. J’y reviens parce que je termine un carnet où je m’attarde à la femme, l’écrivaine exceptionnelle et une œuvre unique au Québec. J’en suis tout imbibé.

SECRET

Rose protège ses secrets. Thomas le photographe par exemple qui remet une liasse de lettres à Viviane au salon funéraire. Elle découvre en les lisant le secret de sa grand-mère. Elle a vécu un amour avec le vieux Thomas. Une petite fille est née et meurt à bas âge. Elle n’a pas droit à une place au cimetière parce que le curé Aurélien a refusé de la baptiser.
La mère de Viviane voulait échapper à la misère des gens qui doivent toujours plier l’échine devant un patron qui les manipule comme des marionnettes. Surtout les femmes qu’il séduit et rejette après. Son audace, sa témérité la perdra. Le pire, c’est qu’Augustin la sacrifie pour payer ses dettes de jeu. Nicole accepte de disparaître pourvu que sa fille puisse aller aux études et connaître un autre destin. C’est la seule voie, l’éducation pour échapper aux forces qui jouent dans une communauté où la famille Hébert décide de tout.

SYMBOLE

Viviane devient biologiste et se passionne pour les grands requins qui parcourent les mers. Elle traque ces bêtes un peu partout pour apprendre comment ils se déplacent et se reproduisent. Et savoir aussi pourquoi ils ont si mauvaise réputation. Peut-être que cela vient du film Jaws où le grand requin blanc devient la bête maléfique qui attaque les humains. Une version de Moby Dick d’Herman Melville où le capitaine Achab pourchasse le cachalot blanc sur toutes les mers du monde pour assouvir sa vengeance. Peut-être aussi que les requins ne vivent pas que dans les mers. Ils sont parmi nous et peuvent frapper n'importe quand.
Viviane découvre la rage de son oncle Jean, sa révolte et son refus de plier l’échine,  l’amour secret de Rose, le destin terrible de sa mère et de sa tante Monique.
La vérité fait mal, mais il ne peut y avoir de résilience sans la connaissance. Elle comprend les agissements de sa grand-mère qui ne pouvait affronter le monde sans ses petites pilules. C’est le sort réservé à plusieurs femmes encore de nos jours. Les médicaments pour les faire tenir tranquille et accepter une situation souvent terrible. Emmanuelle Tremblay nous présente brièvement certains médicaments qui ont servi à « calmer » les femmes, à les faire se tenir tranquille dans leur révolte et leurs angoisses. 

Son esprit paraissait vouloir se mouler à l’empreinte qu’un souvenir lointain eût laissée dans son corps. Viviane avait alors compris qu’il ne saurait y avoir de détachement sans réparation. Et que sa responsabilité y serait pour quelque chose. Car elle se limitait, somme toute, au sursis qu’on avait réussi à lui accorder. Le temps d’une dernière accolade avec le passé. (p. 72)

Madame Tremblay nous pousse imperceptiblement vers un univers glauque, révèle les secrets de la famille Santerre, les drames que l’on dépose dans de grands coffres qui se couvrent de poussière dans les greniers. Toutes les familles taisent de tels secrets. Ils expliquent souvent des gestes et bien des peurs. Je pense à Robert Lalonde qui n’a cessé de secouer certains événements de son enfance.
Comme des sauvages m’a terriblement dérangé. Un roman dur, mais tellement juste. Une écriture magnétique pour dire le silence et le non dit. Tout comme Nicole Houde le fait, j’y reviens, dans La Maison du Remous et dans L’enfant de la Batture. Des romans qui vous râpent l’âme et l’esprit.
Emmanuelle Tremblay me touche particulièrement parce que j’ai l’impression de retrouver des personnages que j’ai suivis dans La mort d’Alexandre et Les oiseaux de glace. Elle dénonce une société du silence qui écrase les femmes, ces « folles » que l’on garde dans les maisons comme dans des cages.
Rose survit grâce à la médication et Nicole choisit de se sacrifier pour sa fille. C’est douloureux pour Viviane de l’apprendre, mais nécessaire. Le silence n’est jamais une solution. Un roman bouleversant, une écriture qui éclate en plein visage. Un aspect de notre réalité dont on ne parle jamais. La médication, les pilules pour faire taire celles qui basculent dans la dépression et l’envie de mourir. Celles aussi qui ont envie de hurler et de dénoncer les agresseurs et les violeurs.


COMME DES SAUVAGES d’EMMANUELLE TREMBLAY est paru aux Éditions Leméac.


http://www.lemeac.com/auteurs/685-emmanuelle-tremblay.html

mercredi 9 août 2017

Marie-Ève Lacasse et le monde secret de Sagan

FRANÇOISE SAGAN arrive dans la littérature française comme un tsunami avec Bonjour Tristesse. Elle a dix-huit ans. Le milieu littéraire est en effervescence. Tous tentent de l’approcher, de la rencontrer et d’être de son cercle d’amis. Parce que la jeune femme est de tous les événements et vit à un rythme effréné. Des rencontres, des amours éphémères, des mariages qui durent le temps d’une fête, des livres qui séduisent les lecteurs et qui en redemandent. L’écrivaine fait les manchettes des journaux et les rumeurs circulent. Mais qui s’attarde à Peggy Roche qui se faufile dans l’ombre ?

Marie-Ève Lacasse est connue des lecteurs sous le nom de Clara Ness. Elle a publié des romans sous ce pseudonyme, il y a quelques années. Ce livre est une façon pour l’écrivaine de retrouver sa propre identité dans le monde littéraire.
Françoise Sagan est rapidement devenue une vedette entourée d’une foule d’hommes et de femmes qui ne lui laissaient pas le temps de respirer. Malgré tout, elle trouve le temps d’écrire. Marie-Ève Lacasse s’attarde à ses amours, ses voyages, ses périodes d’éclipses et l’écriture envers et contre tous.
Françoise Sagan n’est pas quelqu’un que j’ai lu avec avidité, je dois l’avouer, mais elle reste un phénomène de la littérature française. Écrire un roman, une œuvre culte à dix-huit ans, n’est pas donné à tout le monde. C’est ce qui se produit avec cette fille qui trouve son nom de plume dans un roman de Marcel Proust. Son père refusait de voir son nom de famille sur la couverture d’une œuvre de fiction. Il a peut-être changé d’avis avec le temps, mais l’histoire ne le dit pas. Françoise est née Quoirez.
S’approcher d’un monstre sacré qui a fait les manchettes pour ses frasques et ses passages à vide est un pari que relève fort brillamment Marie-Ève Lacasse dans Peggy dans les phares. Un titre étrange qui trouve sa raison dans le récit. La Peggy en question est une mannequin connue dans le monde de la mode et des médias. Les deux sont des vedettes et aiment les femmes, ce qui ne s’avoue pas à l’époque. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans les années soixante et les amours entre personnes d’un même sexe sont tabous. Françoise Sagan, qui aime bien provoquer, attirer les regards et n’en faire qu’à sa tête pour le grand plaisir de ses admirateurs, reste discrète sur cet aspect de sa vie. Peut-être que ses lecteurs ne lui auraient pas pardonné. Ses amours avec Peggy Roche sont un secret bien gardé.

IDENTITÉ

Une vie secrète pour l’idole d’une génération, des relations troubles avec une Peggy toujours là malgré les frasques de Françoise, ses aventures avec d’autres femmes et même des mariages, ses séjours à l’hôpital où elle gît entre la vie et la mort.

Quelques semaines plus tard tu es de nouveau hospitalisée, cette fois dans une clinique spécialisée de Garches pour te libérer de ta nouvelle addiction. L’orviétan destiné à te soulager t’a rendue dépendante. Il y a ce corps dont on ne fait pas grand-chose quand on est écrivain et qui pourtant vous rappelle à l’ordre, se plaint, vous envoie ses signaux, crie bien fort qu’il voudrait qu’on s’occupe de lui, de l’intérieur mais aussi de l’extérieur, de son enveloppe. C’est encombrant, mais c’est comme cela. Quand tu te lèves, la douleur est si grande qu’elle t’empêche de t’élever. Tu voudrais qu’on t’assomme une bonne fois pour toutes, c’est ton mot préféré d’ailleurs, tu le répètes à l’envi : tout est assommant, l’époque, les gens, la télévision. (p.17)

Peggy lui pardonne ses infidélités, ses rebuffades et ses insultes. Beaucoup auraient tourné le dos à Sagan pour bien moins que cela. Mais cet amour est plus fort que tout. J’aime ces retrouvailles, ces rencontres particulières où on se vouvoie, où on a l’impression de vivre dans une fiction de l’écrivaine où tout est lent, éthéré, plongé dans une sorte de brume qui masque la vie et les choses.

À l’hôpital militaire Peggy tourne autour du lit de Françoise, s’assoit sur la chaise, regarde par la fenêtre, caresse son visage, humecte ses lèvres d’eau. On vient de retirer le tube dans sa bouche. C’est une Françoise de conte, celui des princesses qui attendent un baiser pour se réveiller. Au fil des jours Françoise remonte doucement des profondeurs. Peggy lui parle de choses et d’autres, de la collection qu’elle n’en finit plus d’imaginer, de la vie au journal, des gens croisés dans la nuit. Elle dit aussi que les rideaux sont affreux, comparant la chambre à celle d’un précepteur de province. Enfin elle fixe le sol, longtemps, concluant son monologue par : comment vous sentez-vous ? (p.57)

Madame Lacasse refuse de multiplier les anecdotes ou de s’attarder à ces fêtes interminables où l’on boit jusqu’à s’évanouir. Il aurait été facile de parler des virées dans le Midi, dans certains villages, des départs et des arrivées, des rencontres avec  les grands de ce monde, dont François Mitterrand, un ami de l’écrivaine avec qui elle fera un voyage en Amérique qui se termine mal.

ÉCRITURE

Marie-Ève Lacasse se moule à l’écriture de Sagan, sa manière d’évoquer sans jamais appuyer. Une entreprise particulièrement difficile. J’aime cette couleur, cette mélancolie, cette musique si particulière.

« Ses livres, ses personnages étaient fréquentables sans être follement audacieux. L'héroïne, c'est elle. Mais attention, si ses romans n'avaient pas dégagé ce charme étrange et vaguement suranné qu'on a une fois pour toutes nommé « la petite musique » de Sagan, ce qui l'énervait, il ne lui serait pas arrivé de vivre cette expérience bizarre : être adorée par des centaines de milliers de gens qui la trouvaient irrésistiblement sympathique, intelligente en diable. » [1]

Ce « charme suranné » contrastait avec la vie de Peggy. Cette femme vivait devant les photographes et les caméras.
Nous voici dans les années 70. Tout change, tous misent sur la jeunesse. Tout est possible dorénavant. On repousse l’autorité, tente toutes les expériences et les dérives. Sagan se retrouve au seuil de la mort à plusieurs reprises. Peggy hésite entre la colère et l’amour, la rancune et le dévouement. Parce que Sagan reste toujours capricieuse, impulsive et se sert d’un peu tout le monde autour d’elle. Peggy écope la plupart du temps.

FIDÉLITÉ

Un roman remarquable qui rend l’atmosphère de l’époque et de la vie de Sagan, du monde de la mode et des soirées où l’on vide toutes les bouteilles, où l’on part sur un coup de tête pour la Provence ou encore dans une maison de campagne pour continuer la fête. Sagan fonce à une vitesse folle sur les routes. La mort la guette au tournant.
C’est émouvant, juste, d’une retenue remarquable. J’aime cette femme volontaire, capable de diriger des défilés de monde, de les concevoir, de tenir le haut du pavé, de faire la une des magazines et se faire si discrète dans ses amours.
Un roman fascinant qui permet de nous faufiler dans la vie de Sagan, celle que l’on ne veut pas voir, celle que l’on a toujours évité de bousculer, préférant le mensonge, le cinéma que l’écrivaine entretenait autour de son personnage. Lacasse démontre la fragilité de la femme qui écrit envers et contre tous malgré le bruit et la fureur.
Peut-être que Sagan était en avance de son temps en vivant la vie d’une vedette comme on les aime maintenant. Elle a fait de sa vie une œuvre tout en écrivant des livres qui la disent dans son mal de vivre et d’être. C’est l’essentiel et Marie-Ève Lacasse l’a bien compris.

PEGGY DANS LES PHARES de MARIE-ÈVE LACASSE est paru aux Éditions Flammarion Québec.



PROCHAINE CHRONIQUE : COMME DES SAUVAGES d’EMMANUELLE TREMBLAY.




[1] Claire Devarrieux, Françoise Sagan, la vie chamade, Liberation,fr/, 25 septembre 2004.