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samedi 19 novembre 2011

Jean Désy explorateur du monde et de la vie

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy regroupe des textes choisis par André Bresson, Yves Laroche et André Trottier. Des écrits qui tentent d’effleurer l’essentiel et de trouver un sens à la vie.  
«Toute l’œuvre de Jean Désy, pétrie d’un amour exigeant pour l’univers et l’humain, est un mouvement dialectique entre des forces moins contraires que complémentaires, un va-et-vient nécessaire, difficile, fécond, entre la science et la spiritualité, entre la solitude et le commerce des humains, entre la méditation et l’action, entre la ville et la nature, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, entre la lecture et l’écriture, entre vivre et créer», affirme Yves Laroche dans sa courte préface.
On ne saurait mieux présenter ce médecin, poète, romancier, essayiste, aventurier, enseignant et philosophe. En fait, Jean Désy est un humaniste qui jongle avec des questions qui hantent l’humanité depuis la nuit des temps.

Quête

Trouver une direction, un certain apaisement peut-être, effleurer une certitude que les poètes et les penseurs pourchassent en risquant le tout pour le tout.
«Je crois en la vie après la mort, mais avec la mort dans l’âme de n’avoir aucune explication logique ou cohérente à fournir, devant faire face au néant présenté par toute une pensée moderne, par tant de philosophes, par certains grands amis aussi, eux qui, au fond, vivent l’existentialisme agnostique de la manière la plus vraie, manière de vivre que je partage au quotidien, je le sais, mais que je rejette, au fond de moi, pour d’irrationnelles raisons.»  (p.25)
Désy s’attarde à certains écrivains, les poètes surtout, ces inventeurs de langage, ces illuminés que sont Saint-Denys Garneau ou Arthur Rimbaud. Des philosophes aussi qui tentent de voir loin, au-delà de la réalité qui nous cerne et nous étouffe souvent.
«J’ai à tout moment remis en question ma place dans le monde en tant qu’écrivain, sachant que par-delà les mots qui disent la beauté du monde, il y a la beauté elle-même et que les mots ne peuvent suffire. Les mots ne sont que les manifestants de la beauté du monde. Ils servent à transmettre l’idée, puis la réalité de la beauté du monde. Les mots et le langage ne sont pas premiers ; c’est l’amour et la vie amoureuse des êtres qui importent. Après, après seulement, la poésie peut prendre la place qui lui revient. J’ai cependant accepté de jouer le jeu de ma vie parce que ma parole peut voguer, à travers la parole des autres. C’est pourquoi j’écris.» (p.69)
Ses angoisses se calment quand il se retrouve dans le Nord où la nature force les êtres humains à échapper à leur médiocrité et à puiser au plus profond d’eux-mêmes.
Des textes importants qui heurtent et poussent le lecteur dans ses derniers retranchements. C’est pourquoi il est difficile de terminer la lecture de certains écrits de Jean Désy. Ils vous hantent. Le genre de livre qui vous suit toute une vie et vers lequel on revient quand on n’est plus sûr de ses pas et de la direction à prendre. Jean Désy est unique par ses questionnements et sa manière de secouer la vie. Un écrivain nécessaire, un cheminement exemplaire.

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

Robert Lalonde et la question de l'existence

Robert Lalonde revient à la manière de «Iotékha», au «Monde sur le flanc de la truite» et «Où vont mourir les sizerins flammés en été» avec «Le seul instant». Des lectures, des réflexions et des découvertes qui s’enchevêtrent d’une belle manière.
Du 15 mai au 15 septembre 2009, l’écrivain s’installe à Sainte-Cécile-de-Milton. Il pleut quasi à tous les jours. Un été de nuages avec un soleil timide. Il se rabat sur certaines lectures, l’écriture et quelques travaux. Et il y a ce ciel barbouillé qu’il tente de peindre.
«J’essaie encore, cette fois à la gouache. Il me faut parvenir à confisquer ce continuel ciel de pluie qui commence à me taper sur les nerfs. Bien sûr, c’est plus facile – à tout le moins pour partir. Je mélange les bleus, les gris, un soupçon de noir avec le blanc opalin et badigeonne ou plutôt, tamponne à l’éponge la feuille de ma mixture charbonneuse, labile, grossièrement orageuse. (p.41)
Il n’en fera qu’un gâchis, mais qu’importe!

Lecture

L’écrivain fréquente Teilhard de Chardin, Oscar Wilde, Enrique Vila-Matas et Wittgenstein. Les livres traînent partout et il y puise au hasard de ses occupations ou de ses préoccupations. Ils sont nombreux les compagnons qui le houspillent et le figent entre deux gestes.
«Je ferme les yeux et me récite à voix basse ces mots de Jacques Rivière, qui a lui aussi dix-sept ans et qui écrit à son ami Alain-Fournier  - je les ai lus hier et les ai appris par cœur, comme autrefois mes prières : « Le bonheur n’est que cette palpitation précaire de la main tendue vers son bien. Ce n’est que cela. Et rien ne permet d’appeler autre chose le bonheur, puisque nous ne connaissons que cela.» (p.15)
Des jours où il oscille entre les tentatives d’écriture, les tableaux, des randonnées, des moments magiques où il surprend les chevreuils dans un boisé ou la paruline, véritable éclat de lumière dans la grisaille du jour. L’étang l’attire, la lisière du bois, le lointain comme le proche. Il va en suivant le chien, le chat qui disparaît et revient. Il explore la forêt parce que «lire, c’est traduire». Une méditation devant le monde familier et toujours étonnant.

Quête

L’écriture est un outil qui permet de comprendre peut-être, d’espérer un peu de repos.
«Ça se passera un jour de pluie, et il y aura des chats impatients, des mouches agaçantes, une vilaine brumasse accrochée aux arbres. Il y aura du désespoir, de la désolation, un soleil absent depuis trop longtemps. Et il y aura un personnage – moi et pas moi- à qui je donnerai des yeux doux et un cœur triste, un cœur faible, mais fidèle.»  (p.79)
Un questionnement qui se retourne contre soi, une quête qui se modifie à tous les jours.
«Qui suis-je, au fond? Un guetteur, un pisteur, un espion et un mouchard : un écrivain. Pour le reste, je suis comme chacun, celui qui se met en file, obéit et espère ressortir vivant (et toujours capable de voir) des échauffourées quotidiennes.»  (p.68)
L’écrivain nous entraîne dans l’hésitation où la vie trouve son sens et sa plénitude. Il faut prendre le risque de suivre Robert Lalonde. Plonger dans l’un de ses carnets, c’est tout délaisser pour trouver un ami qui se confie et se livre sans retenue. Une expérience existentielle à chaque fois. Le récit présente aussi des pastels et des aquarelles de l’auteur. Une autre manière d’explorer son monde.

«Le seul instant» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/robert-lalonde-308.html

lundi 14 novembre 2011

Dominique Fortier est une conteuse formidable

Les familiers de Dominique Fortier peuvent croire que son dernier roman, «La porte du ciel», est moins complexe que «Les larmes de saint Laurent». Il ne faudrait pas se laisser duper cependant. Tout simplement l’écrivaine parvient peut-être mieux à dissimuler les coutures de son histoire. Elle travaille à la manière de ces femmes qui savaient camoufler des messages dans les motifs de leurs courtepointes en Louisiane et en Alabama. 

Elles guidaient ainsi les esclaves en fuite qui cherchaient à joindre l’armée du Nord. Ces travaux d’apparence neutre devenaient des fanions qui balisaient les chemins de la liberté. 
«On m’a dit qu’ils suspendaient à leur fenêtre des courtepointes. Ce sont les motifs qui servent de messages.» (p.203)
Madame Fortier m’a entraîné aux États-Unis, au moment où le territoire est ravagé par la guerre des Sécessions. Un pays aux frontières mouvantes, qui changent selon les avancées et les reculs des armées en présence.
Le Sud où une population blanche possédait tout et décidait de la vie et de la mort des Noirs. Ces derniers étaient traités comme du bétail que l’on vend et que l’on échange. Il faut lire l’admirable livre de Laurence Hill, «Aminata» pour comprendre l’horreur d’une époque où des hommes et des femmes étaient considérés comme des bêtes dont on se débarrassait quand ils vieillissaient et travaillaient un peu moins.

Deux femmes

Eleanor est fille de médecin et Ève une esclave que son père a acheté sur un coup de tête. Elles ont à peu près le même âge et se suivront dans la vie. Chacune consciente de sa place et de ses devoirs. Eleanor se marie à un jeune homme riche et Ève l’accompagne dans la plantation pour servir. Deux jeunes femmes que tout sépare et que tout unit.
«Nous avons été mariés le 15 mai 1864. Trois semaines après mon dix-huitième anniversaire, alors que les magnolias embaumaient l’air dans le salon de la maison où j’avais grandi et que je laisserais moins d’une heure plus tard. J’avais du chagrin à l’idée de quitter la seule demeure que j’avais jamais connue, mais on m’avait promis que je pourrais amener Ève avec moi, et que ma nouvelle maison serait plus grande et plus belle encore. Et puis, il me semblait qu’en passant le seuil ce jour-là, je  deviendrais enfin adulte et libre.» (p.125)
Eleanor trouve un monde dirigé au doigt et à l’oeil par sa belle-mère. Son mari peu loquace se perd dans des recherches et la routine. Et «le devoir conjugal» n’est pas assez pour illuminer la vie de cette jeune femme rêveuse et romantique. Son destin est lié aux travaux de broderie qui occupent son oisiveté.
Tout pourrait changer au retour du frère de son mari, un homme libre et orignal qui a fait la guerre. Relations troubles, sensualité, désirs, ambiance chaude et envoûtante, le roman de Dominique Fortier atteint des sommets.

Narration

En fait, le vrai narrateur de cette histoire est le pays qui voit des hommes et des femmes mourir, aimer, souffrir, rêver et tenter de faire les choses autrement.
La vie est un labyrinthe où il faut s’enfoncer pour affronter son Minotaure. Peut-on en revenir sain et sauf? Ève parviendra à retrouver son lieu d’origine. Eleanor mourra bêtement d’une morsure de serpent parce qu’elle a osé s’aventurer dans la nuit, ce qu’une femme de son milieu ne fait pas.
Bien sûr, le Sud ne peut plus être le même avec l’abolition de l’esclavage. Tout cela mènera à la naissance du Klux Klux Klan, une forme de barbarie raciste dans ce qu’elle a de plus abjecte. Ève échappera au viol de justesse.
Dominique Fortier est une formidable conteuse qui attire son lecteur comme l’araignée qui tisse sa toile Elle nous mène où elle veut sans que nous ayons une hésitation. Un roman fort complexe malgré les apparences. Tout est pensé et organisé, codé comme les fameuses courtepointes.
Un très beau roman qui nous montre les côtés les plus sombres des humains, une Amérique que nous n’aimons guère voir. Voilà une écrivaine de plus en plus certaine de ses moyens. Une véritable virtuose. Impressionnant.

«La porte du ciel» de Dominique Fortier est paru aux Éditions Alto.

lundi 7 novembre 2011

Les bonnes filles vivent leur malheur en silence

Les héroïnes de Claudia Larochelle, dans «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps», ont le goût de la mort sur les lèvres. Elles sont bouleversées par la perte d’un amoureux ou d’un amant, habitées par une forme de désarroi devant la vie qui va toujours trop vite et emporte tout. Des femmes qui doutent dans leur être sans parvenir à trouver une orientation ou un point d’ancrage. Elles hésitent entre l’espoir de tout recommencer et une forme de renoncement.
«Je peux redevenir une femme libre, danser n’importe comment devant des êtres inanimés et beiges qui veulent juste me baiser mal. Je le fais. J’obéis pour arracher de mon corps toute trace de toi. Un nettoyage épidermique. Le cœur se brouille pourtant, comme mon jeu de tarots dans lequel les cartes ne disent plus rien de vrai. Le pendu me ressemble. J’ai collé cette image dans le miroir de ma salle de bains à la place de ta photo.» (p.13)
Faire comme si, jouer le jeu. Être belle, séduisante, performante malgré les blessures à l’âme.

Bascule

La vie a tout saccagé autour de ces femmes, leur jeunesse aussi et leurs certitudes en l’avenir. Elles sont habitées par une grisaille, malgré les gestes qui permettent de sauver les apparences, d’espérer le moins pire peut-être… ou la fin.
Les personnages de Claudia Larochelle glissent sur un fil et peuvent basculer d’un moment à l’autre.
 «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps. Elle savent comment faire et trouvent le temps. Les bonnes filles n’appellent pas à l’aide en hurlant dans le combiné du téléphone. Elles se taisent en revêtent des vestes de laine de couleurs pastel achetées chez Simons. Elles lisent des ouvrages de psychologie populaire sur le deuil, marquent les pages avec un signet rose et se font des tisanes à la camomille pour trouver le sommeil.» (p.97)

La survie

Une veuve séduisante du drame qu’elle porte comme une oriflamme. Une jeune mère qui décide d’en finir et qui regarde son fils sourire en babillant, ignorant la menace et le drame.
«Anne Letendre s’engage sur la voie de service déserte. Si elle tendait l’oreille, elle pourrait percevoir l’agitation des flots, cette complainte hypnotique qui noie les chagrins. Il s’en était fallu de peu pour qu’elle n’aperçoive pas ce faisceau de lumière s’insinuer entre deux cumulus. Comme une fleur restée blanche à la surface d’une mare de sang, naît ce doute, un fragment d’espérance qui délie brusquement les doigts et fait tourner le regard vers le portable. Il faudrait demander à Stéphane de les attendre pour le souper.» (p.72)
Un rayon de soleil troue les nuages. C’est suffisant. Un moment de beauté retarde le geste fatidique.
Ces femmes vont, viennent dans l’encombrement des jours sans trouver le feu de l’amour qui irradie le corps et fait croire que la vie est bonheur. Textes durs, terribles de justesse et de désespérance.
«Mes cheveux tombent en lambeaux sur l’oreiller, ma peau s’effrite, ma bouche ne peut qu’accueillir son sperme, les aliments ne passent plus. J’ai l’impression de courir contre le temps, armée d’un bataillon de pilules de toutes les couleurs qui ne servent qu’à enrichir les compagnies pharmaceutiques, qu’à donner l’illusion à mon corps qu’il peut encore tenir jusqu’au lendemain. Ce sera quand le dernier lendemain?» (p.117)
 
Fardeau

L’écrivaine s’attarde au fardeau de vivre, de vieillir, de voir les élans de la passion s’éteindre. Le quotidien s’impose. Les gestes de la veille deviendront ceux du lendemain.
Et quelle écriture! Toute de finesse, de douceur pour masquer la tragédie et la douleur. Madame Larochelle montre un immense talent pour décrire la vie qui se flétrit doucement, l’espoir qui a du mal à survivre.
J’ai refermé «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» avec le motton dans la gorge. Une formidable réussite, l’art de décrire les drames et les secousses intérieures que nul ne devine dans les étourdissements du quotidien. Un mal être qui décrit bien la société de maintenant qui se montre particulièrement impitoyable pour les femmes.

«Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» de Claudia Larochelle est paru chez Leméac.

lundi 31 octobre 2011

Pierre Nepveu présente Gaston Miron

Pierre Nepveu a réalisé un travail impressionnant en signant «Gaston Miron, La vie d’un homme». Une biographie de plus de 800 pages, des centaines de références, des photos pour illustrer les différentes époques de ce militant qui a marqué le Québec.
Pas facile de s’y retrouver. Miron a été de tous les combats, de tous les événements littéraires et ce autant à Montréal qu’en France où il a séjourné à de multiples reprises.
Pierre Nepveu, poète, romancier et professeur, a écrit plus que la vie d’un homme. Il a esquissé le portrait du milieu littéraire québécois à partir des années cinquante jusqu’à la mort de Miron en 1996. Il s’attarde à la longue démarche de cet éternel insatisfait qui reprenait sans cesse «L’homme rapaillé», à ses combats pour faire reconnaître notre littérature au Québec et à l’étranger. Il aura été une sorte d’ambassadeur infatigable qui ne ratait jamais une occasion d’intervenir, de convaincre et de s’expliquer. Un militant pour le français, la souveraineté à laquelle il est demeuré fidèle toute sa vie, y sacrifiant du temps d’écriture et bien souvent sa santé.

L’animateur

Miron était plus qu’un poète et un éditeur. Il était un animateur, un homme de convictions qui n’hésitait jamais à retrousser ses manches pour travailler à l’indépendance du Québec qui assurerait l’avenir de la langue française dans cette terre d’Amérique. Voilà le grand combat de sa vie. Il le répètera sur à peu près toutes les tribunes ici et en Europe.
Nepveu plonge dans l’intimité de Miron, le suit pas à pas sans jamais se transformer en voyeur. Il reste respectueux, même s’il n’hésite pas à montrer les contradictions et les hésitations de cet homme fidèle dans ses amitiés comme dans ses convictions.


Les poèmes

J’ai aimé sa façon de montrer la naissance des poèmes «La vie agonique» et «La marche à l’amour» pour ne nommer que ceux-là. Tout commençait par une image, une strophe qu’il retournait dans tous les sens et qui finissait par devenir le poème. Il reprenait chacun de ses vers qu’il considérait «en souffrance» pour les peaufiner et les sculpter. Et même là, son œuvre majeure qu’est «L’homme rapaillé» a toujours été en devenir, une forme de chantier. Il a apporté des correctifs et des modifications jusqu’à la toute fin.
En lisant la biographie de Nepveu, on voit le poème se transformer à chacune des étapes de sa vie et des publications. Les traductions aussi. Miron a été publié en anglais, italien, portugais et autres.
Il écrivait à son corps défendant et les éditeurs devaient faire preuve d’une patience terrible pour réussir à lui arracher un texte. Même qu’il fallait quasi le prendre en otage. Ce fut le cas pour certains textes importants. Il remettait la publication d’année en année, trouvait toujours autre chose à faire ou de plus important à réaliser.

Solitude

Gaston Miron malgré une vie sociale trépidante aura été un homme seul, souvent malheureux en amour, incapable d’approcher une femme ou le faisant avec une gaucherie et une maladresse étonnante. Même qu’il pouvait être parfois un peu grossier. Il aura réussi à exaspérer Marie-Andrée Beaudet lors d’une première rencontre, celle qui devait devenir sa compagne des dernières années.
Célébré partout comme «poète national du Québec», il se comportait souvent comme un adolescent qui tente de masquer sa timidité  en étant frondeur.
Heureusement tout s’apaisera vers la cinquantaine et il pourra couler des jours paisibles auprès de sa compagne.
Un homme tourmenté, angoissé, un peu hypocondriaque, peu sur de lui qui compensait pas une hyperactivité et une certaine gaucherie, pour ne pas dire effronterie.
La tâche était immense et Pierre Nepveu s’en sort magnifiquement bien. L’histoire d’un homme, oui, mais aussi celle de l’édition, de la poésie, de la littérature qui a connu un essor remarquable à partir des années soixante. De la pensée souverainiste aussi. Miron aura été l’un des grands diffuseurs de la littérature d’ici, un artisan de l’édition et un vulgarisateur unique. Il aura été l’auteur d’un livre qui touchera les Québécois et les citoyens du monde. C’est ainsi quand on demeure authentique. Un grand poète, il ne faut jamais l’oublier, un homme attachant, voir fascinant.

«Gaston Miron, La vie d’un homme» de Pierre Nepveu est paru aux Éditions du Boréal.

lundi 24 octobre 2011

Samuel Archibald subjugue son lecteur

«Arvida» de Samuel Archibald a créé une vague lors de sa parution en septembre. On parlait d’une découverte, de l’événement de la rentrée peut-être.
Je me méfie toujours de ces entrées fracassantes. À la lecture, peut-être que je m’attends à trop, je suis déçu. Souvent.
Ce n’est pas le cas avec «Arvida». Voici un roman étonnant de fraîcheur et d’originalité. Je suis passé par toutes les émotions en lisant ces histoires qui tournent autour de la ville de l’aluminium et de la famille Archibald. L’auteur explique parfaitement ses intentions à la dernière page de son récit.
«Des histoires d’Arvida et d’ailleurs. Des histoires épouvantables et des histoires drôles et des histoires épouvantables et drôles. Des histoires de roadtrip, de petits bandits et de débiles légers. Des histoires de monstres et de maisons hantées. Des histoires d’hommes mauvais comme le sont souvent les hommes et de femmes énigmatiques et terrifiantes comme le sont toutes les femmes. Des histoires vraies que j’écrivais sans demander la permission ni changer les noms, en donnait les dates et le nom des rues.» (p.315)
On ne saurait mieux définir son parcours. Archibald nous entraîne d’un bout à l’autre de la ville pour suivre sa famille et quelques originaux. Nous nous échappons aussi sur les monts Valin pour plonger dans des aventures que les hommes se racontent le soir après avoir suivi les traces d’un orignal et malmené sérieusement une bouteille.

Faits vécus

Samuel Archibald a glané ici et là des histoires, des faits vécus pour créer des moments époustouflants. Je songe à «Foyer des loisirs et de l’oubli», un match épique de hockey entre les anciens joueurs du Canadien et une équipe locale. Cette histoire aussi, ma favorite, celle de «L’animal» qui met en scène un ours apprivoisé et des jeunes filles qui découvrent la vie. Un texte magnifique.
«Il marcha pendant des jours et des jours. Il y avait dans son âme d’ours une connaissance ancestrale des points cardinaux et des exigences de la nourriture et du cycle des saisons et d’une certaine violence mais dans sa tête d’ours il ne connaissait pas la solitude et surtout il ignorait qu’il était normal pour un ours de ne pas avoir de maison.» (p.147)
Le contraire aussi. L’horrible avec «Jigai». Je me suis demandé ce que ce texte faisait dans l’ensemble. Une fausse note, un faux pas je crois. Impensable ces femmes qui se mutilent et finissent en pièces détachées. L’horreur!
Heureusement, la volonté de transcender le quotidien et de le mettre à sa main prend le dessus. C’est souvent truculent et étonnant. Archibald est un conteur imaginatif et un menteur incroyable comme disait ma mère. Le genre à pouvoir transformer un souvenir d’enfance en véritable épopée.
Petits truands qui ratent tout, demeurés qui planifient un meurtre qui tourne à la farce. Victime et agresseur deviendront des inséparables dans «Les derniers-nés».
«La soirée était douce et tranquille et on entendait les estomacs de Raisin et de Martial gargouiller dans l’air du soir. Au début, ils tétèrent tous les trois leur bière en silence, puis la conversation trouva son rythme. Ils parlèrent de la météo, des résultats des matchs et du décolleté émouvant d’une barmaid de la brasserie. Autant de sujets qui semblaient avoir été inventés, ce soir-là, tout spécialement pour eux, tous spécialement pour que les gens comme eux puissent parler de quelque chose.» (p.251)
L’impression de me retrouver dans un texte de John Steinbeck.

L’art de dire

Bien sûr, les résidents d’Arvida chercheront à démêler le vrai du faux. J’ai croisé deux ou trois lecteurs qui s’amusaient à ce jeu. Pas nécessaire pourtant d’avoir parcouru les rues et les parcs de cette ville pour apprécier le roman d’Archibald. L’auteur évoque des histoires qui se répètent lors de ces rencontres familiales où le ton monte après un verre ou deux. Tout cela avec une écriture sentie et belle de vigueur. Un savant mélange qui couvre toute une époque et la transcende.
Samuel Archibald sera certainement un sérieux candidat aux prix littéraires du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’an prochain. Vraiment une belle découverte et un écrivain plein de ressources. Un premier roman remarquable.

«Arvida» de Samuel Archibald est paru aux Éditions du Quartanier.
http://www.lequartanier.com/auteurs/archibald.htm