Nombre total de pages vues

dimanche 12 juin 2011

Marité Villeneuve poursuit sa réflexion

Ouvrir un livre de Marité Villeuneuve n’est pas sans conséquence. Le lecteur prend le risque de questionner sa vie et ses façons de faire. Parce que cette écrivaine s’aventure dans des récits à caractère réflexif, une écriture qui témoigne d’une transformation ou d’une mutation de l’être presque.
«Pour un dimanche tranquille à Pékin» ne fait pas exception. À quarante ans, Marie Vaillant «un personnage qui me ressemble et qui me dépasse en même temps», prévient l’auteure, quitte tout. Elle vend sa maison, à peu près tout ce qu’elle possède et part en voyage, le temps de rattraper ses rêves ou de les dépasser.
«Était-ce une quête insensée? Je voulais faire de ma vie une œuvre d’art. Transformer la douleur en beauté. J’avais côtoyé la souffrance et la mort: je voulais toucher la face ensoleillée du monde. Y avait-il une terre promise? Une fleur au baume guérisseur en quelque pays lointain? Je la trouverais cette fleur rare, j’en étais sûre. J’allais la rapporter. Et tout cela allait se dire, s’écrire dans le livre merveilleux (je l’imaginais ainsi) que je ferais en cours de route et que je publierais au retour… (pp.12-13)

Périple

Marie Vaillant quitte ses amis, son psy, confie la gestion de ses affaires à son père et s’embarque sur Queen Elisabeth II.
«Que mon cœur bat lorsque le bateau franchit les limites de l’île, s’enfonçant dans le brouillard. Je suis à la pointe avant du navire, m efforçant de lire un avenir que je ne discerne pas.» (p.25)
Le voyage la mènera en Angleterre, en France, en Espagne, en Italie, en Égypte et en Chine. Un an pour méditer, lire, tenter d’écrire, rédiger de longues lettres aux amis pour garder le contact.
La première partie du périple prend des allures de retrouvailles puisqu’elle rencontre des gens et retrouve des lieux fréquentés alors qu’elle était étudiante.
«On a beau savoir qu’il faut se perdre pour mieux se retrouver. On a beau se rappeler que d’autres l’ont fait avant soi, suivre les traces de l’écrivaine partie à l’aventure il y a cinquante ans. On a beau savoir tout cela, le sol que l’on foule est toujours nouveau et on ne met jamais les pieds dans les traces exactes des autres. Chemin de solitude, tel est le voyage. Le compagnon rencontré au hasard de la route sera tantôt laissé. Attachement et arrachement. Déplacer ses racines avec soi, s’arrêter quelque part, pas trop longtemps si l’on veut revenir, repartir avant que les racines ne s’ancrent dans un sol d’adoption. Repartir, mais garder les racines bien vivantes.» (p.57)
Cette écrivaine partie il y a cinquante ans est Gabrielle Roy, bien sûr.

Attentes

Des rencontres, la solitude aussi et des tentatives d’écriture. Marie n’aura pas le roman imaginé dans ses bagages au retour. Il est difficile de croire que l’on puisse plonger dans une fiction tout en se déplaçant constamment. L’écriture exige un ancrage et une forme de sédentarité.
Elle rédigera quelques nouvelles, renoncera à son projet et s’efforcera de vivre l’instant présent. Elle s’initiera au bouddhisme, réfléchira à sa vie, réussira peut-être à apprivoiser ses craintes et ses peurs.
«Voyager au-dehors ou au-dedans de soi… Il y a des jours où je ne sais plus. Je ne sais plus le sens de mon voyage. Je ne sais plus si je voyage davantage quand je suis dans ma chambre là-haut, à écrire, ou sur la route à visiter du pays. Je ne sais plus ce que partir signifie. «N’oubliez pas, écrit Borges, que tout ce que vous allez lire, c’est un voyage autour de ma chambre.»» (p.132)

Retour

Le long périple ramènera Marie au Québec. Elle se tiendra un peu en marge avant de replonger, s’attarde dans Charlevoix, rencontre Mathieu et vivra l’amour.
Une quête touchante qui prend souvent l’aspect d’un journal de voyage. Un récit dense, qui permet à l’écrivaine de prendre son élan. On y retrouve des moments effleurés dans les autres publications de Marité Villeneuve et c’est toujours d’une justesse remarquable. Le genre de témoignage qui secoue des habitudes. C’est pourquoi les écrits de Marité Villeneuve deviennent une belle occasion de faire un peu le tri dans les distractions de sa vie. Des récits qui touchent l’essentiel.

«Pour un dimanche tranquille à Pékin» de Marité Villeneuve est paru aux Éditions Fidès.

dimanche 5 juin 2011

Marc Forget cherche une forme de vérité

Marc Forget signe avec «Versicolor» un premier roman remarquable. Ce jeune médecin a connu la Course destination monde et partage maintenant son temps entre le Grand Nord et des missions humanitaires. Peut-être l’écriture depuis peu.
 «J’errais de promesses en promesses, jusqu’à ce que Marianna me glisse qu’elle était fatiguée et malheureuse. Qu’elle ne passerait pas sa vie à m’attendre. Que derrière chacune de mes nouvelles lubies (nous élèveronsMarianna, après bien des promesses et des attentes, décide de rompre avec son amoureux. Elle n’en peut plus des atermoiements et des fuites de David. «Tu m’aimes quand je suis loin», dit-elle.
David a toujours été ailleurs, incapable de vivre auprès de cette femme qu’il aime pourtant. C’est un torturé, un déchiré qui a du mal à s’engager dans une relation sérieuse. des enfants sur un voilier ! On ouvrira une micro-brasserie aux Iles-de-la-Madeleine ! Je vais faire des meubles ! On va écrire une bande dessinée avec une héroïne qui s’appellera Simone !) se cachait un rêveur frustré dont les accomplissements réels ne reflétaient qu’un minuscule centième de ses désirs. Qui ne pense qu’à lui. Un égocentrique.» (p.17-18)
Cette séparation qu’il a cherchée par son indécision, son éloignement et ses promesses jamais tenues, le bouleverse.

Départ

Pour s’oublier peut-être, David part en mission au Soudan. Il sera confronté à la maladie et la misère, devra improviser et se débrouiller avec les moyens du bord.
«Crever les abcès, nettoyer des ulcères tropicaux qui évoluent depuis des mois et qui puent la nécrose. Amputer des doigts rongés par la gangrène. Faire des lambeaux de peau pour couvrir le moignon, à partir de l’illustration d’un livre que Paula, ma collègue australienne, tient dans ses mains. Retirer par dizaines les asticots qui se sont multipliés dans l’oreille d’un enfant. Si loin qu’il n’y a plus de tympan ni d’osselets ni rien d’autre. Seulement une grosse cavité où grouillent des vers blancs. Un endroit si profond que je me demande si on peut encore appeler ça une oreille.» (p.50)
Ces travailleurs ont un petit quelque chose de singulier. Plusieurs ont fui leur pays, leur milieu, des conditions de travail qui n’ont rien à voir avec ce qu’ils doivent confronter à tous les jours. De quoi oublier ses problèmes de cœur et son spleen. Tous sont en processus de guérison en quelque sorte.
David attrape une étrange maladie qui le plongera dans le coma. Il sera rapatrié plus mort que vivant. Il a eu le temps de croiser Érika, de vivre le début d’un grand amour. Il entreprend le long retour vers la santé. Il peut compter sur sa sœur Ariane et son ami Loïc, un cinéaste. Érika viendra le rejoindre et on le croit sur le bon chemin. Surtout qu’il s’occupe au film de son ami et que sa fougueuse copine se retrouve enceinte.
Il tente de s’accrocher, mais quand le corps flanche, que faire… La maladie l’avale peu à peu. Il aura eu la chance de vivre l’illumination de l’amour, de compter sur des amis indéfectibles, de savoir qu’il aura un fils.

Confrontation

«Versicolor» devient une quête de sens, le témoignage d’une vie trop courte. Ici comme au bout du monde, les humains doivent confronter la vie et la mort.
«Avant de partir, je le serrais dans mes bras. Ses doigts gourds ne me lâchaient plus. J’étais convaincu du bien-fondé de ma démarche. Je me disais que le problème, c’était la vérité. Souvent, elle est trop fade. Les fictions, on les remplit comme on veut. Elles contiennent plus de vérité et sont plus pertinentes que la vérité elle-même.» (p.236)
Marc Forget effleure l’essentiel, confronte l’amour, la passion, l’amitié, la vie dans ce qu’elle a de plus simple et de plus difficile. Son roman est souvent touchant, émouvant même. Tout est poussé à son paroxysme. L’amour comme la douleur, la passion comme l’amitié. Les survivants en ressortent ébranlés dans leur âme et leur corps. La vie est impitoyable dans sa beauté et sa cruauté.
Un texte senti, puissant qui dit ce que l’humain tente de fuir et doit confronter à un moment ou l’autre. Le lecteur en sort ébranlé.

« Versicolor » de Marc Forget est paru aux Éditions XYZ.

dimanche 29 mai 2011

Samuel de Champlain, un héros moderne

Pour la plupart des Québécois, Samuel de Champlain demeure le fondateur de Québec. Du moins pour ceux qui ont eu la chance d’étudier quelque peu l’histoire. Il semble que, pour la grande majorité des moins de vingt ans, le passé du Québec et du Canada demeure une véritable fiction.
 Dans «Le rêve de Champlain», David Hackett Fischer, un enseignant de l’université de Brandeis au Massachussetts, ne se contente pas de suivre ce personnage. Il apporte un soin particulier à décrire l’Europe au moment où Espagnols, Hollandais et Portugais se partagent l’Amérique. La France tarde à marquer le pas. Il y avait bien la pêche que les Basques pratiquaient sur les bancs de Terre-Neuve depuis un certain temps, mais pour ce qui était de s’installer et de peupler le territoire, les Français se sont toujours faits tirer l’oreille.

«L’un des rôles les plus importants que Champlain eut à jouer avait trait au peuplement de la Nouvelle-France. Sans qu’on sache trop bien pourquoi, les Français ont toujours été moins enclins à l’émigration que ces millions de Britanniques, Allemands et autres Européens qui ont franchi l’Atlantique.» (p.15)

Champlain

Né à Brouage, Samuel de Champlain commence par servir dans l’armée sous Henri IV. La France est alors déchirée par une guerre de religions qui fera des milliers de victimes. Une fois la paix installée et la tolérance imposée par le roi, Champlain s’intéresse à l’Amérique. Il voyage dans les colonies espagnoles et prend conscience des traitements impitoyables que les conquérants infligent aux Indiens et aux esclaves du Nouveau-Monde. Au retour de ces explorations, il parviendra à convaincre Henri IV de financer un projet d’expédition en Amérique du Nord. Des tentatives d’établissement à l’Ile Sainte-Croix tourneront mal. Les premiers hivers passés en Acadie ou sur les rives du Saint-Laurent seront particulièrement éprouvants.
Champlain persistera et cherchera d’abord à faire la paix avec les Montagnais, les Hurons et les Algonquins. Il signera des traités de paix et participera à des expéditions contre les Iroquois. Pour améliorer leurs contacts des jeunes Français vont vivre à l’indienne pour apprendre les langues et des Autochtones suivent les Français en France. Une manière de s’apprivoiser, de s’entendre et de parvenir à vivre dans une paix relative.
«Il les considéra toujours comme des êtres humains comme lui-même, et maintes fois il fit état de leur intelligence dans ses écrits. Il fit de nombreux commentaires sur leur physique et leur apparence, qu’il jugeait de loin supérieurs à ceux de leurs contemporains européens. Champlain s’intéressait aux Indiens pour eux-mêmes et aussi pour ce qu’ils pouvaient lui apprendre du Nouveau-Monde.» (p.105)
Cette approche différait totalement de celle des Britanniques et des Espagnols.

Homme moderne

Le Champlain de Hackett Fischer est ouvert, polyglotte, curieux, toujours prêt à vivre l’aventure et à découvrir de nouvelles terres et de nouveaux peuples. Chose exceptionnelle pour l’époque, il s’efforçait de faire coexister les croyances religieuses sans donner préséance à l’une ou l’autre. Protestants et catholiques se côtoyaient dans ses expéditions et il en était de même avec les Indiens. Pourtant certaines de leurs habitudes, particulièrement la torture des prisonniers de guerre, l’horripilaient.
Il préférait la négociation à la confrontation, pouvait se montrer téméraire parfois, mais restait toujours à l’écoute. Il était également un cartographe précis et minutieux, un écrivain qui, dans ses nombreux récits de voyage, racontait avec précision ses aventures, présentait les Indiens avec beaucoup d’empathie.
La Nouvelle-France deviendra la grande aventure de sa vie, malgré certains échecs, les oppositions, l’indifférence de Louis XIII et du cardinal Richelieu. Il connaitra une vie de couple singulière avec sa jeune épouse Hélène Boullé qui le suivra au Canada pendant quelques saisons. Il mourra à Québec, laissant un testament qui assurera son œuvre en terre d’Amérique.
Hackett Fischer a réalisé un travail colossal, s’attardant à la situation politique de l’époque, s’immisçant dans les intrigues de cours, n’épargnant pas les erreurs des premières tentatives de colonisation. Champlain y fait figure de héros, d’homme d’état, de découvreur, de pacificateur et de visionnaire. Il aimait cette terre nouvelle et a passé sa vie à défendre son projet malgré toutes les embûches.
Un livre parsemé de cartes faites de la main de Champlain et d’illustrations. Un véritable roman. Une belle manière de revivre une période un peu méconnue et de secouer les idées romantiques que l’on peut se faire sur les débuts de l’Amérique française. Une brique de près de mille pages où l’historien ne cache pas sa fascination pour le personnage de Champlain. On ne saurait le lui reprocher.

«Le rêve de Champlain» de David Hackett Fischer est publié aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/reve-champlain-1879.htm

dimanche 22 mai 2011

Sergio Kokis de retour avec «Clandestino»

 «Le Pavillon des miroirs» révélait Sergio Kokis en 1994. Depuis, il publie à un rythme effréné. À signaler «Les amants de l’Alfama», «La gare» et «Negao et Doralice», des ouvrages remarquables. Il revient dans l’actualité littéraire après un certain silence avec «Dissimulations», un recueil de nouvelles et «Clandestino» un roman qui se situe en Argentine, au moment où le régime des militaires doit céder le pas.
Tomas Sorge, son héros, se retrouve au bagne. Militaire de carrière, il a exécuté une mission spéciale pour ses supérieurs qui n’ont pas hésité à le sacrifier quand la situation s’est corsée.
«La vie d’un homme envoyé à la prison militaire d’Ushuaia était, pour ainsi dire, une vie en suspens. Cela pouvait signifier un mauvais temps à passer avant de regagner la liberté, comme cela pouvait signifier l’attente d’une exécution sommaire qui s’ajouterait  à celles des milliers d’autres disparus. Mais cela pouvait aussi vouloir dire de la torture pour la torture, dans le but unique d’humilier et de briser l’existence du détenu.» (p.12)
Des conditions de vie épouvantables et des corvées inhumaines. Tomas survit en rejouant des parties d’échecs des grands maîtres qu’il affectionne, en cultivant sa vengeance. Il imagine mille manières de régler le cas de celui qui l’a envoyé aux travaux forcés. Une façon comme une autre de garder espoir quand on a tout perdu.
Vers la fin de sa sentence, il retrouve un camarade qui a été torturé sauvagement. Il lui fait la promesse de retracer sa fille et son épouse avant de «l’aider à mourir». Une mission qui porte une partie de l’intrigue et qui tourne plutôt mal.

Collaboration

Au moment de sa libération, le pays connaît une vague de démocratisation. Un gouvernement civil va prendre la direction de l’Argentine, mais les militaires se préparent à reprendre le pouvoir quand la situation l’exigera. Que faire? Sa compagne Carla ne lui a donné aucune nouvelle depuis son arrestation. Un supérieur, le responsable de sa condamnation, lui demande d’effectuer des missions spéciales. Il déroule le tapis rouge. Une forte rémunération et une vie confortable dans un pays où la plupart tire le diable par la queue. Tomas Sorge glisse dans la peau de José Capa. Il doit changer d’identité, devenir un autre pour se perdre dans la clandestinité.
Il doit oublier son ancienne vie, les lieux familiers même s’il résiste mal à la tentation de revoir Clara qui ne demande qu’à reprendre avec lui. Ce sera sa dernière faiblesse sentimentale. Il ne peut plus faire confiance à personne.
Il effectue des cambriolages dans des maisons privées, s’empare de documents compromettants. Il en profite pour s’en mettre plein les poches avec ses complices et finit par exercer sa vengeance avant de fuir en Espagne.
Nous retrouvons dans «Clandestino» un monde qui n’est pas sans rappeler la trilogie où Kokis s’attarde aux dictateurs du Nouveau Monde. Un univers cruel où il faut se faire une place et tuer pour ne pas être tué. Tomas même s’il aime se perdre dans les romans de Dostoïevski, doit devenir impitoyable. Il finit par ressembler à ceux qui l’ont envoyé au bagne et qui le paie grassement maintenant. Il se sert, manipule, tue avant de fuir. Le milieu fait le larron peut-on croire.

La survie

Tous sont manipulés par des plus puissants et doivent se battre pour survivre. Les femmes sont souvent des victimes dans l’univers de Kokis. Elles n’ont que leur corps pour se faire une petite place dans la vie. Elles sont manipulatrices, coquettes, capables du pire pour arriver à leur fin. À l’image peut-être des hommes qui s’en servent avant de les rejeter comme de vieux chiffons.
Tomas, malgré tout, reste sympathique même si la fourberie et le mensonge sont des outils nécessaires à sa survie. Le jeu d’échec est impitoyable cette fois et la défaite ne pardonne pas. Tous se débattent pour demeurer vivant. On le prend ou on ne le prend pas.
Sergio Kokis est un conteur exceptionnel qui vous entraîne encore une fois dans les labyrinthes les plus sordides de l’humanité. On ne veut plus lâcher «Clandestino» quand on s’y aventure. Un bon cru.

«Clandestino» de Sergio Kokis est publié chez Lévesque Éditeur.
http://www.levesqueediteur.com/kokis.php

dimanche 15 mai 2011

François Désalliers sait retenir son lecteur

Le titre ne m’inspirait guère. J’avais la certitude de ne jamais me rendre à la fin du roman de François Désalliers. Et je me suis risqué, peut-être à cause du titre. «Le jour où le mort est disparu» titille la curiosité. Pourquoi pas quelques pages pour avoir une petite idée que je me suis dit.
«On peut dire que c’était un mort plutôt banal. Mais sa disparition l’est beaucoup moins. C’était un homme de cinquante ans qui travaillait tranquille, comme tout le monde. Il n’avait pas de maladie notable. Il avait bien quelques petits bobos, mais rien de sérieux. Une tendinite à l’épaule droite, des otites séreuses à répétition, et une petite verrue sur le deuxième orteil du pied droit.» (p.11)
Un vernis d’humour, un regard amusant sur le personnage et cette société qui ne cesse de nous étonner. François Désalliers m’avait tout simplement pris dans ses filets. Impossible de m’arrêter, il fallait que j’aille jusqu’à la fin.

Histoire

Un écrivain gagne sa vie comme vendeur dans un magasin d’articles pour le jardin. Il meurt de sa belle mort pendant la nuit après avoir fait l’amour avec sa femme. Comme à tous les matins, Nicole se lève tôt, surtout les jours où il est en congé, pour arroser ses tomates et ses fleurs. Elle ne se nomme pas Lafleur pour rien. Elle doit faire vite parce que Gros et Méga-Gros, le magasin, livre un nouveau matelas.
Les livreurs, pas trop pourvus en neurones, ramassent le vieux matelas, le corps, l’emballage et vont jeter le tout au dépotoir municipal. Le client doit être satisfait avant tout.
«Le grand sac de plastique contenant les papiers et les cartons et, accessoirement, le mort, Jacques Laverdure, est empoigné par les deux types et balancé dans la fosse où il déboule, se déchire et se perd enfin parmi les ordures. Pierre fit glisser la passerelle métallique à l’intérieur du camion et il remonte à bord. Il salue les deux hommes en combinaisons et se dirige vers la sortie.» (p.24)
Quelques heures plus tard, l’épouse aux tomates, se demande où est passé son mari. Peut-on partir comme ça, tout nu, sans rien emporter ? Commence alors la longue attente, des recherches qui n’aboutissent pas jusqu’à ce qu’un enquêteur aveugle prenne l’affaire en main avec sa coéquipière.
Les incidents se multiplient. Les livreurs se noient lors d’une excursion de pêche (le lac Paré en plus) et le gérant de Gros et Méga-Gros meurt dans un accident de la circulation. Les témoins qui pouvaient faire la lumière sur la disparition de Jacques Laverdure ne peuvent plus témoigner. Le corps de l’écrivain ne sera jamais retrouvé, on l’imagine.

Attente

Nicole entreprend sa propre enquête, rencontre les amis de son mari, l’éditeur, ses collègues de travail, lit son journal, son dernier manuscrit qui porte un titre étrange. Aucune trace, aucune façon de débusquer une vie secrète à Jacques Laverdure (un nom prédestiné pour un homme qui travaille chez Côté jardin). Son époux menait une vie rangée, l’aimait même s’il reluquait les voisines du quartier de temps en temps.
Il faudra le policier aveugle pour comprendre et dénouer ce roman policier qui va à contre courant. Une façon de dire aussi que les êtres les plus proches demeurent des étrangers.
Une fois à la fin de cette histoire tarabiscotée, je me suis demandé ce qui m’a retenu dans «Le jour où le mort est disparu»? L’action, le portrait d’une société qui se dégage de ces quiproquos ? Peut-être tout cela, mais surtout le talent de conteur de François Désailliers. Il a l’art de vous accrocher, malgré les situations les plus invraisemblables.
Un ouvrage sans prétention sinon celle de procurer un bon moment de lecture. Par ricochet, l’auteur fait réfléchir à la frénésie qui emporte tout le monde et fait passer souvent à côté de l’essentiel.
François Desailliers met le doigt sur un problème qui caractérise notre société. Nous sommes peu attentifs aux autres et les commerçants font tout pour satisfaire le client, même le pire. L’individualisme aussi qui fait que nous sommes souvent des étrangers pour nos proches et ceux qui nous côtoient à tous les jours. Oui, on peut réfléchir en souriant. 

«Le jour où le mort est disparu» de François Désalliers est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 

dimanche 8 mai 2011

Jean-Pierre Vidal fait grincer des dents

Jean-Pierre Vidal, dans «Petites morts et autres contrariétés», aborde un sujet que la société n’aime guère effleurer. Par le biais de trente-trois textes plus ou moins élaborés, l’écrivain tourne autour de la fatalité qu’est la mort. Il faut du courage pour aborder un sujet occulté et encore un peu tabou.
Le nouvellier plonge dans l’intime, mais ne dédaigne pas les drames qui dépassent l’entendement. Dans «Le dixième», un officier doit exécuter un soldat sur dix pour réprimer une révolte provoquée par l’incompétence des militaires. C’est assez terrifiant comme scénario.
«Jean-Pierre Vidal a la parole en amusement. Il brosse ses tableaux, met en scène des gens qu’on a l’impression de connaître, leur soumet un problème qu’ils se sont souvent causé eux-mêmes, et les regarde manœuvrer au péril de leur vie. L’air de n’y être que par hasard», écrit Louis-Philippe Hébert, son éditeur, dans une courte préface.
L’écrivain débusque les grandes et petites tragédies, imagine l’Irak après Saddham, Monsieur Hitler qui est sorti vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale et s’est retiré dans un village pour mener la vie de facteur. Ou encore un écrivain tente de relancer sa carrière en organisant son enlèvement avec la complicité de son éditeur et d’un groupe terroriste. Le journal de captivité est déjà écrit et on peut imaginer que rien n’ira comme prévu.
Et ici et là, une description du quotidien qui vous empoigne et vous secoue. Chacune des nouvelles montre l’absurdité de certaines situations, la banalisation de l’horreur et de l’inacceptable. Ses personnages sont souvent lucides, mais incapables de briser la spirale qui les emporte. 
«Ce qui commençait à lui peser, maintenant, dans ses relations avec les filles que la Zénon lui ramenait, ce n’était pas tant l’indifférence pendant l’acte, enfin pas toujours, c’était plutôt leur parfaite insensibilité au sens de la chose. Elles faisaient ça avec une bonne volonté détachée, comme pour rendre gentiment service ou se conformer à ce qu’on attend des jeunes filles de leur âge. Ça allait avec le cellulaire, le IPod et Facebook.» (p.161)
Voilà un thème récurrent chez Vidal. Les gadgets mènent à l’indifférence et à la solitude, à une sorte de lobotomie où les passions ne sont plus qu’un souvenir.

Univers

Bien sûr, le professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi peut sembler pessimiste. Il ne se gêne pas pour bousculer les obsessions de ses contemporains, la stupidité qui pousse un individu à être de toutes les émissions de télévision où le public fait tapisserie. L’écrivain décrit bien ce monde où il importe plus d’avoir des opinions que des idées.
Une sorte de fatalité chez Vidal emporte tout et mène au pire. Les gens sont aspirés par une vie trépidante et la mort profite de la moindre distraction. Ce qui dérange surtout, c’est la perte de sens critique et de jugement qui fait que tout devient banal. L’amour, la vie et les drames horribles qui secouent l’humanité passent avec les modes, un reportage à la télévision. Les monstres deviennent des citoyens modèles qui aident leurs semblables. Comment imaginer Hitler en grand-père toujours prêt à tendre la main. Oui, le monde est absurde et la mort est là pour nous le rappeler peut-être. 
Un regard lucide sur l’agitation des communications et du verbiage. Si «Jean-Pierre Vidal bouscule, dérange sans pousser les hauts cris» explique encore son éditeur, il fait souvent grincer des dents.
Le drame couve dans un embouteillage ou dans une fête pour souligner un départ à la retraite. Ses héros sont souvent des victimes qui mettent le doigt dans une mécanique qu’ils ne peuvent plus arrêter.
Jean-Pierre Vidal n’a pas son pareil pour démonter le ridicule de certains comportements, les obsessions du paraître et de l’avoir. Une véritable douche glacée qui s’avère nécessaire pour démêler le vrai du factice, le réel de l’inutile. Tout cela en ayant l’air de ne pas y toucher. J’avais lu quelques-uns de ses textes dans des revues, mais comme ça, en vrac, Monsieur Vidal étourdit. Un coup de poing qui laisse un peu sonné. À lire et à relire pour le sujet, mais aussi pour l’écriture, cette phrase envoûtante et d’une efficacité redoutable.

«Petite morts et autres contrariétés» de Jean-Pierre Vidal est édité aux Éditions de La Grenouillère.