Nombre total de pages vues

dimanche 10 janvier 2010

Katia Canciani écrit à Antoine de Saint-Exupéry


Katia Canciani a été pilote, adorait se glisser entre les nuages, avoir la sensation d’être un oiseau.
La vie a fait en sorte que celle qui cherchait à s’envoler est demeurée au sol. L’arrivée des enfants, la vie qui prend une autre direction. L’écriture a pris la place que ses trois marmots veulent bien lui abandonner.
Dans «Lettre à Saint-Exupéry» elle décide d’écrire à l’auteur du «Petit prince». Après tout, il était pilote et écrivain. Elle se raconte, le convoque dans un café pour discuter. Elle connaît ses romans bien sûr. Elle parle de son rêve de voler, de l’école de pilotage de Chicoutimi, ses problèmes en tant que femme dans un monde masculin, un accident grave à l’amerrissage. Elle a amorcé une carrière d’instructeur jusqu’à son ras-le-bol devant l’attitude de certains étudiants. Cela arrive, même quand on sait défier la gravité. Les humains demeurent les humains.
Katia Canciani confie ses craintes devant le monde de l’écriture. Il doit savoir lui, l’auteur de «Vol de nuit» et de «Terre des hommes». Il y a peut-être une manière de saisir les mots, un plan de vol pour inventer un roman. Bien sûr, Saint-Exupéry reste silencieux. À chacun de trouver son chemin et de vivre ses expériences.
Katia Canciani survole l’œuvre de Saint-Exupéry, glane une phrase ici et là, raconte ses frayeurs devant ce nouveau monde.
Ses illustrations sont naïves à souhait, enfantines même. Clin d’œil au «Petit prince» peut-être, mais là encore rien de convaincant. Un ouvrage sympathique, sans plus.

« Lettre à Saint-Exupéry » de Katia Canciani et publié aux Éditions Fides.

dimanche 3 janvier 2010

Le tour du monde d’Hélène Rioux


Hélène Rioux a entrepris en 2007, avec «Mercredi soir au Bout du monde», une saga qui nous conduit aux quatre coins de la planète. «Âmes en peine au paradis perdu» est le second volet de cette entreprise impressionnante. L’ensemble comprendra quatre ouvrages.
Je me précipite dès que je vois que l’écrivaine effectue un pas dans son exploration. Chose certaine, quand Hélène Rioux aura mis un point final à cette aventure, je reprendrai le tout, pour me laisser emporter par ses personnages et cette pérégrination dans le monde de maintenant.
Dans «Âmes en peine au paradis», nous retrouvons des figures que nous avions appréciées dans «Mercredi soir au Bout du monde». Julie a perdu son grand amour et arrive difficilement à refaire surface. Doris est morte, mais elle continue de hanter le personnel et les clients du «Bout du monde». Tous survivent avec la douleur ancrée dans leur chair et leur âme. La vie est marquée par la mort. Les deux vont main dans la main.
«Parfois la mort arrive aussi, à la sauvette, en catimini, et sa prestation n’a rien de spectaculaire. Inaperçue, elle règle son affaire vite fait et puis s’en va. Non, ce n’est pas comme dans les films de guerre aux actualités télévisées.» (p.22)

Présence

Ernesto Liri, le musicien qui a connu la gloire et la grande vie a presque cent ans. Il souhaite réaliser un dernier rêve en Toscane, là où tout a commencé. Il ne sait plus que ressasser des souvenirs. Julie souhaite biffer son passé de danseuse nue comme on se défait d’une vieille robe en s’engageant comme serveuse au Bout du monde. Béatrice croise un homme étrange qui veut réécrire «La divine comédie» de Dante. Il a besoin de l’aide d’une lectrice pour connaître l’état du monde.
«À présent, quelqu’un devait prendre la relève, se charger de l’époque contemporaine, le vingtième siècle et au-delà, qui formerait le cœur de l’œuvre. Cette personne lirait pour lui les journaux, les romans, les essais, tout ce qui lui tomberait sous la main.» (p.56)
La littérature s’infiltre partout dans le roman d’Hélène Rioux. Dante, Proust, Sade et aussi des auteurs de romans de type Arlequin qui se servent d’écrivains fantômes. Que nous soyons en Italie, à Montréal, à Cabarete ou à Séville, les personnages ont eu des contacts, se sont croisés et se sont perdus comme veut la vie. Ils trouvent des frères ou des sœurs malgré des époques lointaines.

Quête

Les personnages dérivent comme des plaques tectoniques qui se heurtent ou s’éloignent imperceptiblement. Chacun cherche une direction ou un paradis perdu. Pour y arriver, certains retournent aux grandes œuvres qui ont marqué l’humanité et la civilisation.
«Nous ne sommes pas, n’avons jamais été dans une vallée de roses. Le paradis est un espoir nostalgique, on croit s’en souvenir sans toutefois l’avoir jamais connu, le paradis est une illusion. L’histoire des villes, c’est comme l’histoire du monde. Celle de l’humanité. Aucune histoire n’est morale, nous sommes tous bâtis sur des ruines, nous fleurissons sur des charniers. Les cris, dit-on, restent longtemps enfermés dans les pierres, quand on est attentif, il paraît qu’on peut les entendre. Nous sommes bâtis sur ces pierres, sur ces cris. Nos maisons, nos os se lamentent, la nuit surtout. » (p.203)
Cela s’appelle la culture ou les cultures. Cela s’appelle le monde contemporain où toutes les frontières sont abolies, où la planète n’est plus qu’un seul et vaste territoire. «Âmes en peine au paradis perdu» est une oeuvre touffue, plein de découvertes et de surprises. Tous cherchent l’amour, une épaule et un peu de chaleur. C’est peut-être ce qui caractérise les hommes et les femmes.
Un roman d’une intelligence remarquable qui fouille dans les obsessions humaines. Un portrait de fraternité, d’entraide, d’affinités littéraires, de rencontres qui changent le cours des choses, de fils qui se rejoignent et se cassent aussi. Une aventure unique, originale et fascinante. Le monde selon Hélène Rioux est dur, difficile, mais combien humain et attachant. Il peut être tout aussi envoûtant, grisant que désespérant.

«Âmes perdus au paradis perdu» d’Hélène Rioux est publié chez XYZ Éditeur.

http://www.editionsxyz.com/catalogue/544.html

mardi 29 décembre 2009

Michel Leblond tord le cou de la vérité

J’adore les contes et trouve toujours le moyen de me régaler quand on publie un nouveau titre chez Planète rebelle ou quand une autre maison d’édition s’y aventure.

Tout le monde en conviendra, le conte doit puiser dans l’actualité pour demeurer pertinent et rejoindre un certain public. Sinon, le conteur risque d’évoquer une société qui n’a guère de références. Surtout que la tradition n’a plus tellement bonne bouche dans un monde de «l’ici maintenant» et du jetable. Et le Diable ne fait plus peur à personne.
On évoque souvent les contes urbains, comme si ceux qui ont défilé au Sergent recruteur de Montréal avaient renouvelé le genre en le sortant des campagnes. Une autre légende sans fondement. Le conte est tout aussi vivant dans les régions que dans les ruelles de la Métropole.
Les héros urbains sont souvent des itinérants qui savent voir les travers de leurs contemporains. On a souvent l’impression que Jean Narrache a eu de nombreux rejetons. Les héros de Montréal sont des cousins de ces quêteux qui ont si longtemps parcouru le Québec en transportant histoires et légendes. Plusieurs conteurs citadins se sont distingués avec des apports originaux et inventifs. Pensons à Jean-Marc Massie et Éric Gauthier. Comment ne pas citer Fred Pellerin? Le conteur de Saint-Élie-de-Caxton a donné un élan extraordinaire au genre en demeurant résolument fidèle à son village.

Imaginaire

Michel Leblond est associé aux Grandes gueules de Trois-Pistoles depuis fort longtemps. Un événement où l’imaginaire a les coudées franches. Un festival où les menteurs et les exagérations prennent toute la place. Dans «La cordeuse de bois», le conteur évoque le Diable, mais sans trop insister.
Dans le conte qui donne son titre au recueil, le démon est de retour et tente de faire des affaires même si les temps sont difficiles. Il a pourtant été bien en avance de son époque le Malin. Dans le bon temps du curé et du goupillon, il avait des succursales dans tous les pays du monde. Une mondialisation avant terme. Il est toujours aux aguets malgré la post-modernité, les I-Pod et l’inflation. Il a peut-être aussi un blogue et bien des amis sur Facebook.
Une femme transige avec lui. Le grand escogriffe s’engage à ranger son bois avant l’hiver. Une âme contre un tas de bois.
«- Une dernière chose. Je peux augmenter le nombre de cordes en tout temps.
- Pourquoi ?
- Tu sais, la cordeuse, avec le réchauffement de la planète, la température peut changer. Si jamais tu manques de bois, ben tu vas avoir froid, pis je veux pas ça. Tu vois, c’est pour toi que je fais ça.» (p.26)
Et comme dans la plus belle des traditions, Belzébuth sera filouté grâce à des jeunes qui vivent d’expédients et découvrent le monde. On dira après que les jeunes ne veulent plus rien savoir.

Exagération
 
Michel Leblond flirte avec la légende ou encore plonge tête première dans les plus belles exagérations. Le grand Ouellet vit une histoire d’amour avec une sirène et capture une baleine en s’adonnant à la pêche blanche.
«Une fois remise de sa surprise, elle m’a décoché un sourire à faire fondre toutes les banquises de la planète. Ça été le coup de foudre. Je l’ai prise dans mes bras pis je l’ai portée dans ma cabane. On a vécu de grands moments heureux. On sortait pus de la cabane, on vivait d’amour et d’éperlans pis le soir, elle chantait avec sa voix de cristal.» (p.48)
Un beau petit livre avec des photographies qui viennent comme ancrer les histoires dans la réalité. Heureusement qu’il y a encore des Michel Leblond qui transcendent notre époque. De quoi faire oublier certains épisodes sordides de l’actualité et la morosité qui colle à la vie publique. La parole y garde toute sa force et ses droits même si l’auteur a tendance à forcer un peu la note en tordant le cou de la langue à l’écrit. Ça peut passer devant un public, un peu moins à la lecture.

«La cordeuse de bois» de Michel Leblond est publié aux Éditions Trois-Pistoles.

dimanche 27 décembre 2009

Martine Desjardins travaille en orfèvre

Martine Desjardins a habitué ses lecteurs à des intrigues insolites. Elle prend plaisir à nous plonger dans des univers inattendus. Comme si l’écrivaine s’inspirait d’un thème ou d’un élément physique pour briser les limites de l’espace et du temps. Pensons à la glace, dans «Le cercle de Clara» qui devient le vrai sujet de ce roman remarquable. Le sel, dans «L’évocation», entraîne le lecteur dans un monde où les légendes et le fantastique se croisent.
Dans «Maleficium», nous pénétrons dans un monde sulfureux, marqué par le froissement des soutanes et les effluves de l’encens. Du moins c’est ce que laisse entendre la mise en garde signée par Antoine Tanguay, l’éditeur.
«De hautes instances religieuses ont déjà essayé, par divers trafics d’influence, d’empêcher la propagation de cet ouvrage et ont même proféré des menaces contre ceux qui en seraient complices. Il y a donc tout lieu de  craindre qu’en ouvrant le « Maleficium », le lecteur s’expose non seulement à la souillure de ces confessions immorales, mais au risque d’encourir l’excommunication. Qu’il se le tienne pour dit.» (p.11)
Le quatrième de couverture évoque un livre de l’abbé Savoie, prêtre sacrilège qui aurait trahi les secrets de la confession. Voilà qui fixe l’époque et l’univers que l’on souhaite évoquer. Pour ce qui est du sacrilège ou de l’excommunication, avouons que ces menaces n’effarouchent plus personne.

Confessions

Madame Desjardins, par le biais de huit confessions, nous entraîne dans des mondes qui présentent plusieurs similitudes. Elle se laisse porter par l’odorat, le goûter, le toucher et la vue. La recherche du produit pur, unique mène aux pires excès, à la folie et à la hantise. Comme si la transgression de certaines règles ne pouvait que provoquer folie et dérèglements du corps. Comme si les personnages de Madame Desjardins étaient punis par où ils pêchent.
«Je fus brutalement tiré de mon ravissement par une sensation de brûlure aux parois nasales. Je me reculai et trouvai l’air frais apaisant, mais d’une fadeur incommensurable. Le safran cramoisi venait de m’ouvrir les portes d’un monde païen que j’avais tout juste commencé à explorer et dans lequel je ne songeais qu’à replonger.» (p. 33)
Pas étonnant de retrouver des personnages en quête d’aromates qui marquent l’histoire occidentale et expliquent plusieurs conflits. La fameuse route des épices a hanté bien des têtes couronnées et permis à nombre d’aventuriers de repousser les frontières. Cette aventure n’est pas étrangère à la découverte de l’Amérique.
Nous voici sur les routes du monde, en Afrique, aux Indes ou en Asie. Les pénitents sont consumés par une passion brûlante et obsédante qui fait perdre la raison. La tentation vient presque toujours d’une femme ayant une certaine malformation des lèvres. Toute une imagerie du mal est explorée comme celui de la sainteté. La démarcation n’est pas très nette. Il faut aussi une bonne connaissance de tous les interdits et rituels de l’Église pour savourer ces histoires.
«Au début, je crus que c’était son sourire qui avait fait naître mon malaise -une grimace plutôt, fendue en plein centre par une cicatrice qui retroussait la lèvre supérieure et lui donnait l’apparence acérée d’un bec de tortue prêt à vous happer le doigt. Or, je m’en serais facilement accommodé, n’eût été la fixité du regard qui accompagnait – un regard scrutateur, impossible à soutenir, qui se fixait sur vous et ne vous quittait plus.» (p.109)
Tous sont punis, défigurés, marqués à jamais dans leur chair pour avoir défié l’entendement.
Martine Desjardins nous permet ne nous initier aux vertus des épices, à la fabrication des tapis d’Orient, à la chasse aux tortues qui procurent les écailles précieuses et tant recherchées qui servent à la fabrication des montures des lunettes entre autres.
L’écrivaine se montre une orfèvre unique. La lecture devient un plaisir d’esthète, une délectation pour ceux et celles qui adorent se lover dans une écriture somptueuse et ample. Peut-être qu’il en faudrait un peu plus parce que nous avons parfois l’impression que le sujet perd de son importance et que le plaisir de l’écriture fait foi de tout.
La romancière n’en demeure pas moins une écrivaine unique que l’on prend plaisir à surprendre et à suivre dans des mondes étranges, révolus  et insolites. Une écriture soignée, précise comme un bijou ciselé à la loupe.

« Maleficium » de Martine Desjardins est publié aux Éditions Alto.
http://www.editionsalto.com/catalogue/maleficium/

mardi 22 décembre 2009

Michaël La Chance réinvente la vie par le langage

Dans «(mytism) Terre ne se meurt pas» Michaël La Chance, poète et philosophe, questionne le langage et la pensée.
Les mots que nous utilisons sont sanglés comme les bêtes de trait. Notre langue domestiquée occulte la réalité. La beauté sauvage et anarchique du langage s’est perdue et il en résulte une pensée atrophiée. Bien pire, avec l’explosion des communications, le langage s’est vidé de toute substance. La parole tourne à vide, ne sert plus qu’à manipuler et étourdir.
«Le problème est là, nous n’entendons plus. Ceci en raison d’un déplacement de la présence ou d’un dépeuplement de la parole. Le langage est devenu cirque d’abstraction, dorénavant séparé des cycles fondamentaux, séparé des flux animés.» (p.9)
C’est cette richesse, cette profondeur première et porteuse de sens «dont nous avons perdu l’idée» qu’il faut retrouver.

Déconstruction

Michaël La Chance souhaite retrouver le monde du «Big Bang» langagier en quelque sorte.
«Nous devons revenir aux paysages, car ce sont des réservoirs psychiques, des tumultes d’émotions qui parfois nous traversent.» (p.9)
Pour saisir l’être, «…pour entendre les tigres sauvages en deçà de la muraille», il faut dire à la fois le pour et le contre, l’envers et l’endroit, le vide et le plein; pour s’arracher à ces étranglements et apprendre à  «…regarder la réalité en face, celle qui est en nous et celle qui est autour de nous. Interroger la réalité, inlassablement. Cela semble aller de soi, pourtant nous ne savons plus par où commencer: quelle meilleure façon de prêter attention à la réalité que de regarder le ciel et les montagnes, la rivière et la forêt, pour sentir le tangible de l’être. En tant qu’être, en tant que tangible.» (p.23)
Le philosophe progresse dans un texte qui occupe les pages de droite et le poète brandit la poésie sur la page de gauche. Comme s’il sollicitait les deux parties du cerveau pour voir le plus large possible.
Textes réflexifs où il questionne toutes les attaches qui étouffent la pensée et le langage; textes poétiques qui permettent des échappées lumineuses.
«Vous allez ça et là dans les blés
sans reconnaître leur ondoiement
d’hauteurs vides
vous allez ainsi
dans les champs de la parole
et piétinez le chemin du retour» (p.52)
Comme les lieux portent l’être, les textes et les lectures définissent des ancrages qui provoquent le sens.

Angoisse

Rien n’est pareil depuis un certain onze septembre. Nous ne voyons plus la vie de la même manière.
«Le Temps s’est renversé, il n’est plus décompte depuis l’Origine, mais compte à rebours vers la fin. Alors comment pouvons-nous nous leurrer d’être au monde comme auparavant ? Non, la Présence est entamée, la nature humaine s’en trouve modifiée.» (p.103)
La poésie permet de toucher le vrai, le réel, l’éternité si l’on veut.
«Matérialiser les mots, voilà ce qui nous permet de relancer les notions les plus abstraites dans le jeu du sens. Et de jeter les mos les uns contre les autres comme des osselets divinatoires. Alors nous pouvons passer la main sur la trame, nous touchons du doigt  les nœuds dans le filet. Nœud après nœud, le tissu maillé fait de nous sa proie.» (p.75)
La quête de l’homme est de créer une écopoïétique qui permet de redevenir un être vibrant. Cela ne peut se faire qu’ici, maintenant, sans tenter de se réfugier dans le passé ou de se propulser dans l’avenir. Le temps réel est ce présent glissant comme le flanc de la truite.
L’ivresse langagière de Michaël La Chance permet de croire que la vie est possible en autant que nous visitions des lieux, que nous acceptions les multiples êtres que nous sommes. Oscillant entre l’angoisse et l’optimisme, «Mytism» s’avère un formidable voyage de lecteur, un plaidoyer pour la vie.

«(mytism)  Terre ne se meurt pas» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 20 décembre 2009

« XYZ, la revue de la nouvelle » réalise un exploit

Gaétan Lévesque est l'un des fondateurs de la revue
Maintenir une revue consacrée entièrement à la nouvelle pendant vingt-cinq ans, publier cent numéros et des milliers de textes, s’avère un exploit. Les revues culturelles ont l’art de naître et de disparaître plutôt rapidement. «XYZ, la revue de la nouvelle» perdure et se montre plus vivante que jamais.
Une prouesse réalisée grâce à Gaëtan Lévesque, son fondateur avec Maurice Soudeyns, une équipe de direction qui a su se renouveler au cours des ans. Sylvie Bérard, Christine Champagne ont précédé Nicolas Tremblay.

Des thèmes, un concours annuel, des explorations marquent ce quart de siècle. De fidèles collaborateurs y reviennent épisodiquement: André Carpentier, Bertrand Bergeron, Gaëtan Brulotte, Diane-Monique Daviau, Sylvie Massicotte et Hélène Rioux. Presque tous les écrivains du Québec y ont fait une escale à un moment ou à un autre. Il y a même eu un numéro consacré aux écrivains du Saguenay-Lac-Saint-Jean, il y a quelques années.
Je me souviens d’un thème où les participants n’avaient que quelques lignes pour camper leur histoire. Le lecteur avait eu droit à un incroyable éventail de l’imaginaire des écrivains québécois. Une anthologie presque. Les responsables n’ont jamais hésité à demander aux nouvellistes de se surpasser, de se faire explorateur pour le plus grand bonheur du lecteur. La revue est aussi un espace où tester des textes, explorer des formes, secouer les carcans de l’écriture. Nombre de nouvelles se sont retrouvées dans des recueils qui ont retenu l’attention de la critique ultérieurement. C’est peut-être là l’un des secrets de sa longévité.

Anniversaire

Pour ce numéro d’anniversaire, les écrivains ont eu à broder autour du chiffre «cent». En jouant avec les sonorités, certains textes prennent des couleurs étonnantes. Pensons à Daniel Pigeon et Esther Croft.
«Ce n’est pas vrai que les gens meurent comme ils ont vécu, s’est-il même répété à plusieurs reprises en marchant sur la terre mouillée. Il doit bien y avoir à la fin un sursaut de lucidité, de remords, un pardon partagé. Un ultime désir de toucher et d’être touché par une autre peau que la sienne. On ne peut pas partir comme ça, avec un tel détachement au fond des yeux, comme si on ne quittait personne.» (p.26)
Une belle brochette pour ce recueil qui présente un aspect graphique renouvelé. Treize écrivains, huit hommes et cinq femmes… Les abonnements assurent une stabilité à cette publication qui rejoint tous les publics.
Gaëtan Brulotte, toujours un peu déroutant, résume bien le travail de la revue dans «Cent jours avec Caroline».
«Mine de rien avec sa passion d’être et ses modestes commandes de textes, que ce soit vers le mirliton ou narrations brèves, essais littéraires ou discours engagés, c’est elle qui m’a mis sur la voie de l’écriture et a conféré plus de sens à mon existence. Je ne pourrai jamais assez l’en remercier.» (p.23)

Ouverture

Même si à chaque parution, les écrivains ont un thème à respecter, la direction fait place à des textes qui échappent à cette ligne directrice. «Hors-thème» permet aux récalcitrants d’avoir leur place et «Hors-frontières» fait place aux écrivains étrangers. On découvre des prosateurs qui proviennent d’ailleurs, très souvent de l’Amérique du Sud. Originaire de la République Dominicaine, Marco Veloz Maggiolo, est l’écrivain invité pour cette parution historique.
«Toutes ces impressions me disaient que chacun de nous avait fini par faire partie de l’autre. Elle était lui, c’est-à-dire moi ; et en revanche il était elle, c’est-à-dire elle, parce qu’il commençait à désirer la nouvelle rencontre, la rencontre d’êtres transformés, travestis par l’amour.» (p.87)
La revue doit recourir à des traducteurs et crée ainsi des liens partout dans le monde.
«XYZ la revue de la nouvelle» est un passage obligatoire pour les lecteurs qui s’intéressent au genre bref. Présentation sobre, soignée, il y a tout pour étonner. Étudiants et enseignants peuvent fréquenter ce véritable laboratoire. J’espère qu’ils sont nombreux. La lecture de cette revue permet une véritable initiation à la littérature d’ici et d’ailleurs. Un plaisir qui ne cesse de se renouveler.

«XYZ la revue de la nouvelle» est publiée par les Éditions Gaëtan Lévesque.