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dimanche 19 juillet 2009

Claire Varin tente de revivre son passé


Claire Varin, dans «La Mort de Peter Pan», revient sur un amour de jeunesse. Malcolm Wendell Walker est mort à trente ans. Né de père irlandais et d’une jeune anglophone de Montréal, le jeune homme a péri dans l’incendie d’un appartement. Alcoolique, il buvait jusqu’à s’écrouler sur le trottoir, devenant une véritable épave. Un comportement propre à Jim Morrison des Doors et André Mathieu le compositeur et musicien québécois décédé prématurément, tout comme Jimi Hendrix, Janis Joplin, Bukowsky, Sylvia Plath et Émilie Brontë. Et comment ne pas penser à Jack Kerouac! Des étoiles filantes qui ont marqué l’imaginaire de plusieurs générations.
Claire Varin a aimé cet homme et garde de lui une image qu’elle n’arrive pas à oublier.
«Qu’avais-tu de si extraordinaire pour que, après une vingtaine d’années, je décide d’écrire sur toi, à partir de toi, vers toi, si beau et authentique ? Peut-être que de tous ceux qui ont touché mon cœur, tu es le seul à m’avoir aimée follement tout en m’acceptant comme un être libre. Il fallait que notre arbre grandisse avant que ses fruits ne se détachent de leurs branches.» (p.10)
Malcolm allait de conquête en conquête, se saoulait avec une application quasi religieuse. Un obsédé aux instincts suicidaires. Ce «désir d’anéantissement», Nicole Houde dans «Je pense à toi», son plus récent roman, l’a parfaitement décrit. Une sorte de jubilation accompagne ces plongées qui poussent à la limite du possible. Comme un voyage hors de soi.

Enquête

Est-il possible de «revivre» un amour perdu, d’en préciser les contours et les couleurs? Claire Varin se lance dans cette folle entreprise, rencontre la mère de Malcolm, retrouve des femmes avec qui il a eu des aventures, des amis et des connaissances. Elle remonte dans son enfance, son court séjour à la crèche, questionne sa mère Myrtie, visite des lieux pour retrouver l’ambiance de l’époque, invente un mythe autour d’un alcoolique plutôt difficile à suivre dans ses extravagances. Elle ira jusqu’à tenter de retrouver le père qui n’a jamais été là.
«Je suis la fascinée de la mort, ravie par la vie. Je ne veux pas raconter une histoire pour divertir, mais pour approfondir mon propre mystère. Qui est aussi le tien. « Celui qui meurt est celui qui reste » ; d’accord avec l’auteur anonyme de cet aphorisme. On dit que les morts ne reviennent pas, mais ils reviennent. Toi et moi convenons de l’exactitude de cette assertion notée à mon réveil.» (p.118)
Sa quête entraîne la romancière vers l’ésotérique, des médiums qui savent communiquer avec les disparus, semble-t-il.

La mort

Claire Varin tente de cerner cet homme qui s’est consumé comme une météorite. Elle s’attarde à des cérémonies funéraires à travers différentes époques, se penche sur l’Égypte pour étudier la préparation des momies. Mais comment percer les secrets de la mort qui hantent l’humanité sans se retourner vers soi pour se surprendre dans le miroir?
«Toi, tu es mort à trente ans et ton film se déroule dans ma tête. J’en suis notamment la recherchiste, la scénariste, la réalisatrice et l’une des actrices, celle pour qui le protagoniste s’embrase au point de lui léguer sa vie, sa mort en fait, sur un plateau d’argent.» (p.198)
Roman étrange, réflexion fort intéressante sur l’écriture, les souvenirs qui s’accrochent à la mémoire. Peut-être que les hommes et les femmes ne peuvent s’empêcher d’inventer des fictions en explorant leurs souvenirs pour les protéger comme des momies.
«La Mort de Peter Pan», malgré ses aspects ésotériques, fascine. Une écriture maîtrisée et un regard sur l’art de vivre et d’écrire qui échappe à la banalité. Claire Varin nous laisse sur une question. «Tout ce temps où je t’ai écrit, Malcolm, suis-je allée vers ta souffrance? Toi, tu m’as accompagnée vers la mienne.» (p.213)
Pouvait-il en être autrement?

«La Mort de Peter Pan» de Claire Varin est paru aux Éditions Québec Amérique.

dimanche 5 juillet 2009

Jérôme Gagnon raconte Péribonka

Quand une municipalité de la région fête son centième anniversaire de fondation, il est difficile de ne pas se demander si nous vivons son chant du cygne. Surtout depuis la crise forestière et les problèmes de l’agriculture, deux pôles d’activités qui ont permis à la plupart des communautés de se développer. Jérôme Gagnon, dans «Péribonka, un petit village au grand destin», formule la question dans l’ouvrage qu’il lançait, il y a quelques jours, au musée Louis-Hémon.
«Plus que jamais, la municipalité de Péribonka est à un tournant décisif de son histoire. On n’hésite plus à parler d’elle comme d’une communauté dévitalisée. Petit à petit, les symboles de sa cohésion sociale s’étiolent. En 2006, la dernière épicerie a fermé ses portes et, l’année suivante, c’est au tour de la caisse populaire d’interrompre ses services à Péribonka. L’école continue de maintenir une partie de ses activités, mais pour combien de temps?» (p.235)
Un scénario connu de toutes les régions périphériques du Québec.

Centenaire

Péribonka fête, en 2009, le centième anniversaire de sa constitution en municipalité. Jérôme Gagnon, historien et chercheur, avec plusieurs collaborateurs, a écrit l’histoire de ce territoire et de ce village au destin singulier sans gommer la présence autochtone. L’historien présente le territoire de la Péribonka à partir des premiers contacts au temps de la Nouvelle-France. Des oblats, Joseph-Étienne Guinard et le père Crespieul, remontent les rivières jusqu’à la baie d’Hudson, empruntant la Péribonka. Louis Jolliet y mène une expédition en 1679. Les Innus sillonnent ce territoire depuis plus de 6000 ans. La rivière Péribonka étant, avec la rivière Ashuapmushuan, l’une des grandes voies d’accès aux territoires de chasse.
Première église de Péribonka
Le peuplement récent de Péribonka occupe une place importante dans ce document avec l’arrivée d’Édouard Niquet et de son épouse Mélanie Boisvert en 1888. Une figure légendaire, un modèle de débrouillardise. Avec sa situation géographique unique, une ouverture sur le lac Saint-Jean et l’accès à tout un territoire forestier, le village ne pouvait qu’attirer nombre de gens qui veulent changer de vie. Ce fut un pôle important de la navigation sur le lac Saint-Jean avec Roberval, le terminus ferroviaire où à peu près toutes les marchandises transitaient.
Des personnages fascinants s’installent comme le Français Paul-Auguste Normand et Joseph Savard, un visionnaire de l’agriculture. Également des frères ouvriers de Saint-François-Régis à Vauvert qui seraient à l’origine de la culture de la pomme de terre dans le secteur. Des Européens aussi qui viennent tenter leur chance, mais n’arrivent pas à relever le défi.
Péribonka, c’est l’histoire de la navigation sur le lac Saint-Jean, du flottage du bois qui a duré quelque 140 ans. Le village se singularise avec la construction d’une usine de pâte en 1901 qui connaîtra le même sort que Val-Jalbert et les installations de J.E.A Dubuc au Saguenay. L’agglomération connaîtra aussi l’effervescence des chantiers de construction des grands barrages, la production d’électricité et le rehaussement des eaux du lac Saint-Jean. Son environnement changera avec la disparition de Jeanne-D’arc, un village prospère, qui s’érigeait dans le territoire qui est devenu le parc de Pointe-Taillon.

Louis Hémon

En 1912, un Breton arrive à Péribonka et s’engage comme homme à tout faire chez Samuel Bédard. Un aventurier, un écrivain qui observe et parle peu. «Maria Chapdelaine» de Louis Hémon sera publié quelques années plus tard, un grand succès de la littérature mondiale qui fait connaître Péribonka partout sur la planète. Le village devient un lieu de pèlerinages pour des milliers d’admirateurs. Éva Bouchard sait entretenir le culte et attirer les visiteurs. Péribonka devient un lieu mythique qui nourrit l’imaginaire. La municipalité vit son «âge d’or» en 1960 avec une population de 891 habitants. Il n’en reste plus que 540 en 2006.
Jérôme Gagnon a le grand mérite d’avoir parcouru cet immense territoire depuis des temps immémoriaux jusqu’à l’époque récente. Bien plus que l’histoire de Péribonka, son travail constitue un regard sur le développement du Lac-Saint-Jean. Le lecteur trouvera dans «Péribonka, un petit village au grand destin» une foule de renseignements, de statistiques et de photographies qui témoignent de la vitalité d’un peuplement et de son déclin. Une fresque fort intéressante qui se lit comme un roman.

«Péribonka, un petit village au grand destin» de Jérôme Gagnon est publié par la municipalité de Péribonka.

dimanche 28 juin 2009

Un voyage qui tourne au cauchemar

Françoise Cliche présente un premier roman avec «L’arbre qui glapit», un ouvrage qui pourrait très bien être qualifié de récit.Marie et Roméo, une fois à la retraite, décident de séjourner au Guatemala. Lui est plombier et elle infirmière. Ils participeront, avec d’autres coopérants québécois, à la construction d’une école pour les enfants d’un bidonville près de Guatemala Ciudad. Le couple est encore très amoureux après quarante ans de vie commune. Pourtant même si la vie leur a réservé des moments éprouvants, rien n’a pu ébranler leur passion.
Roméo embarque dans l’aventure à reculons. Il déteste les voyages et surtout il a une peur maladive de l’avion. Il accepte cet exil de quelques mois à cause de son épouse. Il la suivrait au sommet de l’Himalaya si elle le lui demandait.
«L’amour me mène par le bout du nez et, parfois, il me mène beaucoup plus loin que je ne le souhaiterais. Ce voyage ne m’inspire rien qui vaille ; je le fais pour Marie un point c’est tout. Pour Marie et pour les quetzals.» (p.17)

Vie de groupe

Autant Marie sait voir les beaux côtés de la vie, autant Roméo est grognon et de mauvaise foi. Heureusement le père Conrad fait l’unanimité. Il a l’art d’amenuiser toutes les difficultés avec son sourire et sa  seule présence. Un véritable héros qui fascine tous les intervenants.
Le séjour s’annonce difficile. Le travail physique met les nerfs à vifs avec la chaleur. Transporter des briques, manier la brouette et jouer aux maçons, épuise les plus résistants. Plus, la promiscuité est peut-être encore plus difficile que ce travail de forçat.
«Pourquoi lui gâcherais-je son plaisir? La réalité la rattrapera bien assez tôt: Marthe et Lise ronflent, Marcel se lève pour un petit pipi aux deux heures et Guy se tourne sans arrêt dans son lit avec une énergie de lutteur en pleine action sur un ring. Ses brusques changements de position s’accompagnent, de surcroît, de bruits de toutes sortes: jappements, raclements de gorge, déglutitions à répétitions, clappements et reniflements.» (p.39)
Le  groupe s’adapte malgré les différences et les manies de chacun.

Escapades

Conrad organise des excursions dans la campagne guatémaltèque. Les coopérants deviennent des touristes qui découvrent des populations qui vivent en marge du monde. Un mélange de modernité et de traditions qui ne changent guère depuis des siècles. Les Québécois plongent dans un pays d’une beauté à couper le souffle.
«La beauté des lieux nous fait oublier quelques minutes de ces ennuyeux ratés mécaniques. À nouveau enivrés par les effluves de citrons, d’oranges et de pommes, la tête dans les fleurs, nous grimpons vers un ciel rose vif avec, en fond sonore, des hymnes à la joie chantés par des milliers d’oiseaux. Mais quels sont donc ces lieux ? Sommes-nous morts d’épuisement et au paradis?» (p.113)
Marie et Roméo sont la cible d’une bande de voyous. Roméo affronte un tueur et y laisse deux doigts. Le jeune Raul, qui fraye avec la racaille, est tué dans l’échauffourée. Roméo a l’impression d’avoir assassiné cet enfant de ses mains. Il s’en remettra difficilement et l’amour qu’il voue à Marie est ébranlé. Tout s’écroule, mais l’adoption de la sœur de Raul, Luisa, change les choses.

Digressions

Un ouvrage  fort sympathique qui aurait eu cependant avantage à être élagué. Madame 
Cliche emprunte bien des méandres qui font décrocher le lecteur. Signalons les longues digressions touchant la mère de Roméo et les fausses couches de Marie qui nous éloignent du récit. Beaucoup de complaisance aussi dans la description de l’interminable séjour de Roméo à l’hôpital. Cet acharnement du narrateur à culpabiliser finit par faire hausser les épaules.Françoise Cliche a un bon sens de la caricature et un humour certain. Elle a juste l’art de forcer la note et de vouloir en mettre plein la vue. Elle aurait avantage à apprendre à contrôler son enthousiasme et à fréquenter la sobriété. Malgré ces petits travers, un ouvrage fort sympathique.

«L’arbre qui glapit» de Suzanne Cliche est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/526.html

dimanche 21 juin 2009

Yves Beauchemin retrouve la voix du conteur

Après «Le Matou» et «Juliette Pomerleau» qui ont marqué l’imaginaire des Québécois, Yves Beauchemin nous entraîne dans un conte où certains travers de notre société font surface.
Un jeune renard attire tous les regards avec sa fourrure d’un bleu éclatant. Il naît dans une famille singulière. Ses parents ont le don de la parole et son père Albert sillonne les routes au volant de son camion tandis qu’Iphigénie, la mère, s’occupe de sa tanière, la seule à avoir l’électricité au Québec. Autour du jeune renardeau gravite Octave, un ours au grand cœur, un canard à  la force herculéenne et Bruno le squelette qui doit se faire discret. Sa nature fait qu’il affole les humains quand il se pointe. De temps en temps, ils reçoivent la visite d’une famille de fantômes.
L’idée n’est pas nouvelle, Monsieur de Lafontaine a donné la parole aux animaux dans ses fables et il n’est pas rare de croiser un animal à la langue bien pendue dans les contes traditionnels. Yves Beauchemin retrouve une longue tradition.
Tout pourrait aller comme dans le meilleur des mondes s’il n’y avait une sorcière qui dissimule bien son jeu.
«Gertrude Grondin cachait à tous son état de sorcière. Officiellement, elle était brodeuse de voiles à bateaux. Comme il n’y avait pas beaucoup de bateaux à voiles dans la région, et encore moins de personnes désireuses d’orner leurs voiles de broderies, les affaires étaient plutôt calmes. Gertrude Grondin s’en fichait, son métier lui servait uniquement de façade, ce qui lui permettait des activités autrement lucratives (et la plupart du temps illégales).» (p.47)
La sorcière, qui a changé son nom pour celui d’Eulalie Laloux, jette un sort à la famille de Renard Bleu et les plonge dans un profond coma. Pour contrer le sortilège, il doit résoudre une énigme.
«Écoute-moi bien, car je ne répéterai pas. Si tu veux que tes parents et ta petite vaurienne de sœur reviennent à la vie, il faudra que tu leur laisses tomber dans la gueule cinq gouttes du sang d’un enfant qui aura dormi pendant quatre-vingt-dix ans. As-tu compris? Cet enfant existe! Il suffit de le trouver.» (p.68)

Mauvais sort

Toute l’histoire consiste à déjouer le mauvais sort et à percer cette énigme. L’aventure mènera Renard Bleu, Octave l’ours et le canard athlétique aux quatre coins du Québec. Ils rencontreront un premier ministre fort soucieux de son image, un homme d’affaires connu, un ermite abitibien plutôt étrange. Ce sera pourtant Bruno le squelette qui trouvera la clef de l’énigme.
«Bon sang! rappelez-vous la phrase qu’elle m’a dite! «Là où se trouve l’enfant qui dort depuis quatre-vingt-dix ans, on marche sans toucher le sol et il n’y a pas de vent.» Qui marche sans toucher le sol? Les poissons, bien sûr. Et dans le fond de l’océan, il ne peut y avoir de vent, car il n’y a pas d’air. Que dites-vous de ça?» (p.272)
On retrouvera finalement l’enfant qui repose dans la voûte du Titanic, au fond de l’océan Atlantique. Renard Bleu réussira l’impossible avec l’aide de ses amis, particulièrement du bébé fantôme. Ils délivreront l’enfant et ramèneront la famille de  Renard Bleu à la vie. Tout est bien qui finit bien.
Intérêt

L’intérêt de ce conte plein de rebondissements et d’inventions, repose sur des clins d’oeil au monde contemporain. Les politiciens avec Jean Charest en tête, l’homme d’affaires Paul Desmarais et certains fonctionnaires qui étourdissent Renard Bleu avec leur jargon.
«Au risque, monsieur Renard Bleu, d’insatisfaire en vous une appétence longuement nourrie, je me dois de fournir à votre système cognitif les éléments suivants : notre chargé de programmes scientifiques, monsieur Franz-Ferdinand Bhottyne, se voit force vous imposer sa malheureuse absence et m’a demandé de le suppléer pour l’occasion.» (p.122)
Yves Beauchemin s’amuse et il est difficile de ne pas en faire autant. Le conteur envoûte le lecteur qui accompagne Renard Bleu le sourire aux lèvres. Comme si nous avions été ensorcelé par la vilaine Eulalie Laloux. Une belle lecture pour l’été.

«Renard bleu» d’Yves Beauchemin est publié aux Éditions Fides.

dimanche 14 juin 2009

Gérard Bouchard rencontre les Innus

 J’étais certain de retrouver Léo, le héros de «Pikauba», dans «Uashat», le plus récent roman de Gérard Bouchard. Tout dans «Pikauba» laissait entendre que le fils de Méo et Senelle nous entraînerait dans le Nord, auprès des Indiens.
Nous retrouvons les Montagnais ou les Innus, mais par Florent Moisan, un étudiant en sociologie de l’Université Laval à Québec qui passe un été dans la réserve de Uashat située près de la ville de Sept-Îles.
«Il faut que je fasse le recensement des familles de la Réserve avec leur généalogie et tous les liens de parenté, que je relève leurs activités quotidiennes, les loisirs des enfants et la composition des ménages (nucléaires, étendus, tout ça), en indiquant les relations entre leurs membres.» (p.20)
En 1954, la Côte-Nord est le Klondike du Québec. Les Blancs jurent que leur ville va accueillir un million d’habitants. On voit grand, on voit gros, on ne recule devant rien. Le secteur se développe à un rythme fou et les terrains de la réserve d’Uashat sont convoités. Les gouvernements veulent déménager la population dans la nouvelle réserve de Malioténam.
«Il dit qu’il y a un nouveau pays à ouvrir ici, un pays moderne, fait de villes et d’usines, pas une autre région de colonisation « où il n’y a que la misère qui pousse ». D’autres jeunes de Sherbrooke et de Montréal ont fait comme lui. Ils croient tous que le « renouvellement » du Québec commence par ici, que le modèle va ensuite descendre vers le sud.» (p.33)
Florent débarque dans une société dont il ignore tout, comme la plupart des Québécois. Sa tâche s’avère particulièrement difficile. Les familles changent de nom selon les humeurs des missionnaires ou la difficulté à transcrire la langue innue. Les lignées se perdent, se retrouvent, se croisent, enfin un joli chassé-croisé.

Monde perdu

Florent s’installe chez Grand-père, un vieil Indien qui voyage dans sa tête en racontant l’époque où les familles partaient dans les Territoires pour suivre les caribous. L’étudiant découvre une façon de vivre qui le bouleverse.
«J’étais fatigué, un peu étourdi aussi par tout ce que j’avais entendu. Auparavant, les missionnaires, pour moi, c’était en Afrique ou en Asie, en Chine surtout. Mais ici tout proche, sur la Côte-Nord, ou à la baie d’Hudson? J’ai découvert tout un monde qui me bouleverse. J’ai eu de la misère à m’endormir.» (p.78)
Tous s’accrochent à un passé fait de grandeur et d’actes héroïques. L’univers est familier à ceux qui ont lu «Récits de Mathieu Mestokosho chasseur innu» de Serge Bouchard qui a inspiré Gérard Bouchard dans «Mistouk».
Dans la réserve, l’alcoolisme et la perte des traditions laissent la population désoeuvrée pendant que certains caressent des projets de réussite en exploitant les leurs.

Intrigue amoureuse

Sara, une jeune beauté subjugue Florent. Un amour impossible, bien sûr. La jeune femme mène une double vie. Elle se saoule le plus souvent possible et se prostitue. Voilà le sort des jeunes qui ont perdu leur âme. Florent vit les tensions qui opposent ceux des maisons et des tentes, les partisans du déménagement à Malioténam et ceux qui ne veulent pas bouger. Un monde se meurt. Les traditions ne survivent plus que dans la tête des anciens qui s’inventent des exploits comme Grand-père, un personnage pathétique.
Le récit entraîne le lecteur dans une communauté qui perd ses points d’ancrage. Le portrait des Montagnais est dur, l’environnement violent et hostile. Le nouveau monde n’arrive pas à s’esquisser malgré la bonne volonté de ceux qui, comme le père Guinard, sont là pour aider et qui contribuent à les manipuler.
Florent ne peut que réfléchir à sa condition de francophone. C’est là peut-être le sort qui attend les Canadiens français qui se pâment devant les capitaux américains.
Gérard Bouchard est plus percutant que jamais et sa plongée dans le monde des Innus devrait susciter nombre de réactions. «Uashat» permet de découvrir ou de redécouvrir une partie de l’histoire d’un territoire que nous pensons familier et dont nous ne connaissons que l’histoire récente. Un travail fascinant et nécessaire, une révision de nos manuels d’histoire.

«Uashat» de Gérard Bouchard est publié aux Éditions Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gerard-bouchard-758.html

dimanche 7 juin 2009

Le rêve américain a toujours fasciné

Micheline Duff lançait récemment le premier tome d’une saga intitulée «Au bout de l’exil». Un dixième ouvrage pour cette écrivaine qui a publié sept romans aux Éditions JCL.
Rébecca meurt au bout de son sang en accouchant d’un quatrième enfant à Grande-Baie, au Saguenay, en 1880. La région est jeune, la vie y est particulièrement rude. Le couple a trois filles et Joseph, pour nourrir sa famille, travaille en forêt l’hiver et sur la ferme en été.
La mort de Rébecca est l’occasion pour lui de changer de vie. Il en a assez de travailler comme une bête. Il met le feu à sa maison avant les funérailles et s’enfuit avec ses filles pour refaire sa vie aux États-Unis. Il va enfin mettre derrière lui sa frustration et une colère qui le tenaille.
«Rébecca s’était toujours comportée en femme de devoir, plutôt froide et distante. Il l’avait adorée, pourtant, et comblée de petits soins. Mais ses gentillesses semblaient la laisser indifférente. D’une grande beauté, non seulement elle attirait l’admiration et le désir des hommes, mais elle suscitait aussi l’envie des autres femmes sans même sans rendre compte. Chaque hiver, lorsqu’il la quittait malgré lui pour les chantiers, Joseph se languissait d’elle sans bon sens, envieux de tous ceux qui passaient la saison froide à Grande-Baie.» (p,13)

Long périple

Les voyageurs traversent le parc de la Galette, suivant un sentier à peine tracé dans les montagnes, débouchent à Baie-Saint-Paul où vivent les grands-parents Laurin. Ce n’est qu’une étape: Joseph entend s’installer à Lowell où habite Léontine, l’une de ses sœurs.
«J’en ai fini avec ce pays de misère! Je m’en vais aux Etats-Unis. Là où il fait bon vivre», répète-t-il à sa mère. Anne, Marguerite et Camille doivent suivre leur père dans ce long périple qui les mène à Québec, Lévis et Sherbrooke. Ensuite, l’équipage emprunte le fameux chemin Craig qui mène aux États-Unis. Joseph boit pour écraser les remords. Après tout, il a brûlé le corps de sa femme à Grande-Baie avant de prendre la fuite.
Tout près de Colebrook, dans le New Hampshire, la jeune Camille est heurtée par un attelage de chevaux et se retrouve entre la vie et la mort. Les Laurin doivent s’arrêter, le temps que l’enfant recouvre la santé.
Joseph s’engage comme homme à tout faire chez Jessie, une jeune et séduisante veuve. Les filles retrouvent un semblant de vie familiale. Il arrive ce qui doit arriver entre un homme et une femme. Tout pourrait s’arranger, le bonheur s’installer, mais Joseph continue à vider les bouteilles et à imaginer une vie plus facile.

Lowell

La famille finira par atteindre Lowell, par retrouver Léontine la sœur de Joseph, une femme dure et volontaire. Les exilés de la première heure repartent au Canada avec leur pécule pendant que les arrivants prennent leur place dans des usines, travaillent six jours sur sept dans des conditions inhumaines. Joseph déchante. La vie aux États-Unis n’est pas ce qu’il imaginait. Il perd peu à peu contact avec la réalité, abandonne ses filles pour s’inventer un autre rêve impossible.
Marguerite et Anne apprennent à se débrouiller parce que leur père bascule de plus en plus souvent dans l’alcool, sans compter les manœuvres du cousin Armand qui considère ses cousines comme sa propriété privée. Elles ont du ressort et surtout un courage à toute épreuve. La jeune Camille est dorlotée par la famille du médecin qui la soigne et l’adopte à Colebrook.

Bonheur possible

Une fois dans cette saga, il est difficile d’abandonner ces filles qui se battent pour un peu de bonheur et qui doivent composer avec les démons qui hantent leur père. Anne et Marguerite permettent de croire que le bonheur est possible. La suite promet, surtout avec les soeurs qui semblent vouloir se faire une vie aux États-Unis.
«Au bout de l’exil» fait revivre une époque où les Québécois n’hésitaient pas à franchir la frontière pour tenter de se forger un meilleur sort. Une écriture efficace, des personnages fascinants, une action soutenue comme dans les meilleurs suspenses.

«Au bout de l’exil; La grande illusion» de Micheline Duff est publié chez Québec-Amérique.