«J'ai entendu parler d'Éva Bouchard par sa famille. Ma belle-mère est Jeannette Bouchard. Je suis de la famille en quelque sorte», explique Marcelle Racine. La famille parlait de cette tante qui sortait de l'ordinaire. «J'ai été fascinée et c'est comme ça que tout a commencé. J'ai effectué des recherches. Les enfants de Gustave, son frère, gardait un souvenir un peu mythique de cette tante. Certains sont encore vivants mais ils sont âgés.» Mme Racine aura d'abord contacté Lynn Boisselle qui dirigeait alors le musée Louis-Hémon. «Ce ne fut pas facile mais j'ai eu accès à deux boîtes de documents après des négociations. Des lettres, des documents, de la correspondance. Il y a eu aussi la Société historique du Saguenay, le fonds Victor Tremblay. Peu à peu le personnage a pris corps et j'ai découvert une femme très attachante.»
Marcelle Racine a étayé son roman avec des lettres, comme si elle craignait un peu de se faire dire qu'elle fabulait. Elle a laissé une part à l'imaginaire mais tout repose sur ces documents qui éclairent le personnage et donnent de la consistance à Éva Bouchard.
«Je suis allée plusieurs fois à Péribonka. J'ai discuté avec les gens. Albert Roy a vraiment existé. J'ai retrouvé sa tombe. Ce sont les histoires des gens qui m'ont permis de parler de cette attirance. Un amour entre deux personnes fières et indépendantes. J'ai flotté un peu sur cette histoire.»
Le roman de Marcelle Racine esquisse une véritable fresque. Tout débute avec l'arrivée de Louis Hémon à Péribonka, son installation chez les Bédard et après son départ, nous suivons Éva Bouchard jusqu'à son décès en 1949.
L'écrivaine nous fait revivre la grande époque où l'industrie s'installe dans la région. La construction des barrages, l'inondation des terres et la disparition de Pointe-Taillon, la résistance des cultivateurs se profilent.
C'est le milieu dans lequel évolue Éva Bouchard qui assure sa survie en travaillant à attirer les visiteurs sur les lieux du roman de Louis Hémon.
Plusieurs personnages y défilent. On y suit Damase Potvin, Jean-Charles Harvey qui en prend pour son rhume, l'éditeur du roman en France, Bernard Grasset, Marie Hémon et la fille de Louis Hémon. Des figures connues et moins connues qui nous plongent dans cette première moitié du siècle dernier. En fait, Marcelle Racine reprend où Gérard Bouchard a abandonné dans «Mistouk». Ce n'est pas peu dire.
Femme attachante
«J'ai rencontré des spécialistes. Aurélien Boivin au début se demandait pourquoi je voulais écrire sur Éva Bouchard mais il a accepté mon choix. Je ne sais pas ce que les gens vont dire mais c'était important de montrer cette femme qui sort de l'ordinaire. Éva Bouchard a fait quelque chose au début du siècle dernier que les femmes ne faisaient pas.»
Il faut lire le roman de Marcelle Racine et être attentif aux petits détails. Nous avons l'impression d'habiter le roman de Louis Hémon, de circuler autour de cette histoire qui aura marqué la région peut-être plus qu'on ne le croit. Marcelle Racine trace le portrait d'une femme attachante et vraie. L'intérêt est là du début à la fin. Comme si Marcelle Racine explorait une facette peu connue de l'histoire denotre région. Elle nous l'offre bellement et avec une grande justesse.
Mauvaise presse
Éva Bouchard a toujours eu mauvaise presse chez les spécialistes de Louis Hémon. Elle a été ridiculisée et presque toujours dépréciée.
La jeune femme y est présentée comme une usurpatrice et une imposteure. Pensons à l'étude de Nicole Deschamps qui se penche sur «Le mythe de Maria Chapdelaine». Elle règle le cas d'Éva Bouchard en quelques lignes.
Il faut revenir un peu en arrière pour comprendre. Suite à la parution du roman «Maria Chapdelaine» et de son énorme succès, le journaliste et écrivain Damase Potvin se rend à Péribonka pour enquêter. Il veut identifier les personnages qui ont inspiré Louis Hémon. Il rédigera en quelque sorte la généalogie de chacun des personnages du roman. Certains diront à la blague qu'il n'y a que le cheval Charles-Eugène qu'il n'aura pas réussi à retracer. Damase Potvin fait d'Éva Bouchard la muse et l'inspiratrice de Louis Hémon. Elle a donné corps au personnage de Maria Chapdelaine. Potvin se récusera plus tard mais Éva Bouchard est associée irrémédiablement à Maria dans l'esprit des gens.
«Elle ne voulait pas être Maria Chapdelaine au début. Je ne crois pas que ce soit vraiment important de savoir si elle a inspiré Louis Hémon ou pas. Qu'est-ce que cela peut changer? Les lecteurs ont commencé à lui écrire. Ils voulaient rencontrer la vraie Maria, l'inspiratrice. Je ne sais pas pourquoi mais elle a commencé à répondre aux lettres. Peut-être par plaisir ou par désoeuvrement», raconte Marcelle Racine qui aura marché sur les traces de cette femme peu ordinaire pendant cinq ans.
Un mythe
Éva Bouchard est «poussée» vers Maria Chapdelaine et peu à peu elle endosse les habits du personnage. Elle signera des cartes postales, dédicacera des romans. Elle ne pourra jamais se défaire de l'ombre de Maria Chapdelaine. Le personnage romanesque deviendra le centre de sa vie.
Éva Bouchard accueille les gens et une foule de visiteurs viennent la rencontrer à Péribonka. Stimulée par son frère Gustave, elle réussira à sauver la veille maison de Samuel Bédard, construira une auberge en plus des chalets qui accueilleront les visiteurs qui débarquent pour se recueillir sur les lieux qui ont inspiré Louis Hémon. Madame Bouchard aura joué un rôle important dans ce qui constitue maintenant le musée Louis-Hémon et ses dépendances.
«Elle a fait beaucoup pour Péribonka en devenant une sorte d'ambassadrice du Lac-Saint-Jean. Elle a été une conférencière qui a sillonné le Québec et rencontré des milliers de personnes. Elle a même été en France à l'exposition universelle de Paris. Elle a contribué à attirer beaucoup de gens dans la région. Sur le plan touristique, elle a été une pionnière», croit Marcelle Racine.
«Je crois que le fait qu'elle ait été une femme et qu'elle ait vécu sa vie autrement que les autres a été très mal vu. Elle était singulière, avait certainement des défauts mais il fallait la montrer sous un autre jour», explique l'auteure qui a choisi le mode romanesque même si son livre demeure très près de la biographie.
Le gros roman de 576 pages de Marcelle Racine constitue une véritable épopée.Toute la région se profile derrière cette femme humaine et sympathique.
«Éva Bouchard», c'est le roman du roman de Louis Hémon. La réalité se superpose à la fiction et Éva Bouchard devient fascinante. C'est là que Marcelle Racine fait véritablement oeuvre de romancière. On y voit aussi poindre des idées qui donneront naissance à la Révolution tranquille quelques années plus tard. Avec ce travail, Éva Bouchard gagne le droit d'avoir une place au musée Louis-Hémon de Péribonka. Marcelle Racine lui ouvre la porte.
«Éva Bouchard, La légende de Maria Chapdelaine» de Marcelle Racine est paru aux Éditions VLB.
http://www.edvlb.com/Eva-Bouchard/Marcelle-Racine/livre/9782890058262