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mercredi 8 août 2001

Yves Vaillancourt voyage de mémoire


Longtemps après le retour, quand les valises sont défaites, dans un moment de nostalgie peut-être, Yves Vaillancourt tente de reconstituer le lieu, le voyage. Un peu comme nous le faisons tous devant des photographies ramenées d'un séjour en Europe ou aux États-Unis. Que reste-t-il de cette course, de ces rues que nous avons parcourues, de ces visages, de ces regards surpris dans un café? Est-ce que la mémoire peut faire revivre ces moments où nous avons oublié nos habitudes?
Yves Vaillancourt, de mémoire, fait surgir le «temps perdu». L'entreprise est périlleuse parce que la reconstitution a aussi ses exigences.
«Écrire des souvenirs de voyage, voilà bien une chose étrange. On s'efforce de raviver du mieux qu'on peut d'infimes détails de ces vacances désormais lointaines ; on parle de ces villes, gens et paysages ayant laissé une trace dans notre mémoire. Imaginons l'entomologiste épinglant une ou deux images des chemins sur lesquels il les a ramassés.» (p.11)
Bien sûr, il y a des éclairs, des vibrations, des «hasards» qui m’ont accroché. Dans «Le contrôle» ou «La rencontre», j’ai suivi le narrateur et j’ai oublié que tout cela était reconstitué d’une certaine manière. Rapidement cependant, je mne suis senti abandonné et désarçonné. Le voyage chez Vaillancourt devient rupture, contact esquissé qui ne peut jamais perdurer. Jamais il ne réussit à devenir chaleureux et vibrant. Le voyage serait-il une blessure jamais cicatrisée?

Rencontres

Pourtant, dans certaines rencontres, des amours s'esquissent au hasard des déplacements en train, une vie pourrait changer en quelques heures mais le narrateur fuit. C’est peut-être inévitable, le narrateur étant dans un autre lieu et une autre époque. J’ai eu souvent l'impression de feuilleter un bottin de lieux et de noms.
Dans ce travail de mémoire, Yves Vaillancourt avait tous les outils pour échapper aux limites de la photographie et de l'instantané. Il pouvait m’entraîner dans un «voyage imaginaire ou réinventé»m un périple où tout aurait commencé à respirer. Parce que le voyage reconstitué, c'est avant tout le plaisir de l'inventer, de l'imaginer, de l'embellir, de le transformer.
Malheureusement, jamais l'auteur ne s'abandonne à cette ivresse. J’ai eu l’impression de claudiquer derrière lui, devant me contenter de son immense solitude, son insupportable tristesse. Rarement il prend contact avec les hommes et les femmes qu’il croise dans ses périples. Il y a la barrière des langues, bien sûr, mais tout de même. Pourquoi voyager alors?
«Ami fuyant, je suis confiant. Un jour, je freinerai la chute vertigineuse des nombres que ta course a entraînée.» (p.29)
Il suffirait d'un regard, d'un sourire, d'un verre de vin et un peu d'imagination. Et surtout, des arrêts dans cette course qui ne veut jamais prendre de répit. Les moments les plus réussis de «Winter» surgissent quand jaillit une étincelle entre une femme et le narrateur.
Et, peut-être que le véritable problème de ces récits réside dans l'écriture de Vaillancourt. Jamais elle ne lève pour nous emporter.

«Winter» d’Yves Vaillancourt est paru aux Éditions Triptyque.

jeudi 14 décembre 2000

Les chemins que peu d'écrivains fréquentent


Au Québec, les écrivains donnent souvent l'impression de naître spontanément et de ne devoir qu'à eux ce qu'ils sont devenus dans l'écriture. Il est exceptionnel qu'un écrivain révèle ses sources avec franchise, tire sur les racines qui ont fait de lui ce qu'il est sans rechigner. Victor-Lévy Beaulieu est l'un de ceux qui ne craint jamais de nous convier chez ses pères. 
L’écrivain des Trois-Pistoles aime les sentiers que les écrivains délaissent ou craignent de fréquenter. Ce désir de faire autrement nous a donné des livres magnifiques. Je pense à «Jack Kérouac», au «Docteur Ferron» et à «Pour saluer Victor Hugo». Comment qualifier ces livres? Récits? Tous ces témoignages tiennent du récit tout en s'arrogeant toutes les libertés qui permettent de fouiner dans l'univers des écrivains qui ont marqué ce lecteur boulimique et «particulièrement safre». Il utilisera pour parler de ces aventures de lecteur de qualificatifs étranges. Il forgera parfois même des expressions: «romancerie», «lecture-fiction», «essai-poulet» ou encore «pèlerinage».
 
Une exploration

Soyons franc! Le récit englobe toutes ces inventions langagières et peut aussi être autre chose quand nous entendons une voix, un murmure qui vous souffle les plus terribles secrets. Le récit s'accommode très bien de ces explorations, de ces confidences et de ces interprétations.
Ces «arrêts de lecture» jalonnent toute la carrière de Victor-Lévy Beaulieu. Tous répondent à la même nécessité de savoir ce qui l'a constitué comme écrivain et ce qui fascine chez ces «monstres de l'écriture». Il effectue à chaque fois une véritable plongée dans une oeuvre et remonte dans un grand cri, quand les poumons risquent d'éclater. Qui ose lire un écrivain dans sa totalité de nos jours, se passionner tout autant pour sa vie que pour son oeuvre; qui ose s'aventurer dans le temps réel de l'écrivain et fouiner partout pour voir ce qui se passe en lui. Une recherche historique, littéraire et, dans presque tous les cas, sociologique. On pourrait parler d'ethnographie également et d’exploration géographique.
Impossible de négliger «Seigneur Léon Tolstoï». Comment se désintéresser de «Pour saluer Victor Hugo» ou «Jack Kérouac». Ces récits, qui tiennent du journal intime et du dialogue amoureux, nous livrent tout autant Victor-Lévy Beaulieu que l'écrivain qu'il a pris pour cible.
Il poussera encore plus loin cette approche en faisant pour la radio de très longs entretiens avec Gratien Gélinas, Roger Lemelin et Margaret Atwood. Toujours une aventure, une véritable exploration qui laisse sans mots.

Son semblable

Pourquoi privilégier «Monsieur de Voltaire»? Dans ce livre, Victor-Lévy Beaulieu plonge dans ce qu'il a de plus intime, révèle ce que peu d'hommes et de femmes osent avouer. Il retourne en quelque sorte l'approche qui a été sienne dans ses explorations précédentes. Dans ce livre, il devient à la fois l'objet de son récit et le sujet. Dès les premières phrases, le lecteur encaisse une véritable gifle.
«Mais ce matin, je n'ai pas envie que ça se passe comme l'autre jour. Je voudrais juste un peu de sérénité, un reste de bonté. N'importe quoi qui ne serait pas hargneux. Je ne peux plus attendre, la maison ne peut plus attendre, mes bêtes ne peuvent plus attendre. Il me reste à peu près plus d'espace. Il me reste à peu près plus de temps. Il ne me reste à peu près plus de passion.» (p.9)
L'écrivain des Trois-Pistoles patauge au fond du gouffre, à la limite de l'existence. Jamais il n'est allé aussi loin dans ses autres récits. Son penchant pour la bouteille l'a fait dégringoler au plus sombre de lui-même.
«J'ai épuisé toutes les fuites, aussi bien par devant que par derrière : il n'y a plus de soupiraux nulle part.» (p.9)
Après, quand on ne peut plus supporter d'être ce que l'on est, il reste à mourir ou à remonter. Victor-Lévy Beaulieu ira dans une «maison d'enfermement» pour tenter de reprendre contact avec la réalité. Incorrigible, il emporte tous les livres de Voltaire. Après, il pourra s'abandonner, s'écraser sur le siège arrière de sa voiture, une bouteille d'une main et un livre de l'autre. L'écrivain délire. Laquelle des deux passions de sa vie est la plus néfaste? Comment savoir et qui peut le dire?

L'effet du miroir

Voltaire devient la bouée, celle par qui Victor-Lévy Beaulieu retrouvera son équilibre et la route des phrases. Cet écrivain si mal aimé au Québec et si mal cité, devient l'envers du monstre que Victor-Lévy Beaulieu a fait surgir en lui en se livrant à l'alcool. Il aurait pu reprendre Herman Melville... Victor-Lévy Beaulieu n'a-t-il pas écrit dans «Monsieur Melville»: «Mais avec Melville, rien de tout cela ne tient plus; avec Melville, ça ne peut être que fort différent: ce que Melville a été, c'est ce que je voudrais être. Il y a peut-être l'échec au bout, une prodigieuse fin de non-recevoir, ce qu'il y a de plus désespéré dans l'acte même d'écrire.» (p.20)
Lecture d'une oeuvre pour reprendre pied, pour se retrouver et se remettre au monde. Cela aurait pu aussi être James Joyce, Samuel Beckett et pourquoi pas Dostoïevski. Des «monstres» que l'écriture a soufflé hors de la vie et du temps. Il a fallu que ce soit Voltaire. Victor-Lévy Beaulieu se penche sur cet écrivain irascible qui fascine tout autant qu'il repousse. Et comment ne pas se voir dans cet écrivain qui veut être le seul, l'unique, le plus grand de la littérature.
«Dorénavant, les liens du sang n'existeront plus pour lui, sa nouvelle famille sera rien de moins que tout l'Univers connu, les rois, les empereurs et tous les grands de ce monde devant le considérer non seulement comme leur pair mais comme un grand frère aussi puissant et redoutable qu'eux. Cette démesure fait une monstruosité totalitaire aussi bien de Voltaire que de son projet d'écriture. Elle fonde une nouvelle pratique de la littérature, celle de l'écrivain se situant au-dessus de tout : le mythe du surhomme n'est plus une invention, M. de Voltaire étant enfin né!» (pp. 84-85)
Cette citation à elle seule place Victor-Lévy Beaulieu devant sa propre démesure. N'a-t-il pas occupé tous les créneaux de la littérature au Québec, étant un monde à lui seul. N'a-t-il pas été à la fois romancier, auteur pour la télévision et la radio, essayiste, éditeur, journaliste, critique et dramaturge? Il est aussi homme d'affaires, jardinier, conteur, militant, conseiller régional et politique. Il est aussi polémiste, n'hésitant jamais à pourfendre ceux qui se placent sur sa route. Cette fascination de Beaulieu pour Voltaire le ramène à ce qu'il est «essentiellement». Un touche-à-tout qui veut tout vivre, tout expérimenter. Être partout où les chemins de l’écriture peuvent mener.

Faire soi l’autre

Avaler par l'écriture un écrivain, Victor-Lévy Beaulieu en fait sa matière et la régurgite dans un accompagnement qui tient lieu de l’essai, du journal d’écriture et de la réflexion. Il donne ainsi des textes touchants, émouvants, essentiels; des textes qui savent aller où ça compte, là où l'on apprend que tout peut arriver si l'on accepte de demeurer vivant. Et le plus important, c'est qu'en passant par Victor Hugo, Jack Kérouac, Jacques Ferron, Léon Tolstoï ou Voltaire, Monsieur Beaulieu écrit son autobiographie. Rarement un écrivain ne sera allé aussi loin dans la confidence. Et il est encore plus étonnant que le lecteur, ce complice, devienne le témoin des tourments et des doutes qui assaillent un écrivain.
«... je me jette dans l'escalier, je me jette dans la rue Sherbrooke, je me jette dans ma voiture, je me jette sur le pont Jacques-Cartier pour prendre, dans la première tempête de neige de l'hiver, entre les ours et les castors, ces quelques arpents de route vers l'arrière-pays sauvage des Trois-Pistoles. J'y ferai la guerre contre la fermeture des bureaux de poste, je militerai dans l'urgence rurale, j'achèterai un traversier, je ferai creuser deux étangs, je mettrai plein de canards, d'oies, de coqs et de poules dedans et autour, je ferai bâtir un théâtre, je cultiverai mon jardin et je pourrai enfin lire Le Taureau blanc, là où M. de Voltaire finit et là où le Dr Ferron commence. Hier, c'était samedi le 30 mai 1778, et Voltaire est bien mort. Aujourd'hui, c'est jeudi le 11 novembre 1993 et je suis vivant. Oui franchement vivant. Tout est bien.» (p.254)
Comment oublier cette profession de foi... Victor-Lévy Beaulieu sera tout cela bien sûr. Il continue de cultiver son jardin des Trois-Pistoles avec le bonheur que nous connaissons.

Affrontements

Dans ces affrontements avec les grands écrivains, il demeure une voix extrêmement originale au Québec. Un exemple de filialité et de reconnaissance aussi. Il faut lire ces récits qui bouleversent et ouvrent les portes du monde. Il y aura un jour un James Joyce et, peut-être un Samuel Beckett. Je saurai l’attendre avec un peu d’impatience il est vrai. Il est toujours possible l’apprécier en retournant souvent dans les jardins de «Monsieur de Voltaire», du «Docteur Ferron» ou de l’incomparable «Monsieur Melville». Ce sont des livres qui deviennent des «pèlerinages» essentiels si on aime les écrivains et la littérature.

«Monsieur Melville» de Victor-Lévy Beaulieu a été réédité aux Éditions, Trois-Pistoles.
«Monsieur de Voltaire» de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Stanké.
«Un loup nommé Yves Thériault» de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

Larry Tremblay ne cesse de scruter la société

Larry Tremblay est un créateur fascinant et dérangeant. Pour l'avoir vu faire ses premiers pas sur une scène, dans un spectacle hautement marqué par le kathâkali, je le sais capable de dérouter un spectateur et un lecteur. Heureusement, ses écrits restent sobres. Souvent évocateurs, ils parviennent à vous toucher par ce regard qu'ils posent sur le monde et les humains. Au théâtre comme dans le récit, l'écrivain s'intéresse à ses semblables.
Dans ce très court récit qu'est «Piercing», Larry Tremblay plonge dans l'univers d'une adolescente qui décide de voir le monde. Elle s'enfuit de son Chicoutimi natal où elle a l'impression de pourrir comme une baleine échouée sur les berges du Saguenay, à la hauteur de Sainte-Rose-du-Nord. La mort du père déclenche tout. Elle partira, fera un grand «X» sur sa vie, sa famille, cette ville pour vivre enfin.
«Elle s'était coupé les cheveux à grands coups de ciseaux. En trois secondes, elle s'était débarrassée pour de bon de son petit côté poupée aux joues rondes. Elle s'était coupé les cheveux à grands coups inégaux, sans miroir. Les cheveux de Marie-Hélène tombaient sur le plancher pas très propre de la cuisine, tombaient sur la tombe de son père, tombaient sur les rides mouillées de sa mère, tombaient sur le silence écoeurant du salon d'où parvenait encore l'odeur de cigarettes que son père fumait en regardant la télévision, tombaient sur la pluie qui n'en finissait plus de se mélanger aux ordures de cette ville où elle avait eu la malchance de naître.» (pp.5-6)

Montréal

Tout est dit. Nous la retrouvons à Montréal, dans un appartement de la rue Drolet avec Serge et Tony. Parcours habituel de toute une jeunesse qui doit fuir les régions périphériques pour connaître la grande ville, y travailler ou étudier.
Marie-Hélène se retrouve du côté des paumés. Pouvait-il en être autrement? C'est la faim, le froid, les rapines, la prostitution, les poubelles et parfois un mécène un peu étrange, un Kevin qui aide ces jeunes errants. Tony et Serge ne jurent que par lui.
Nous suivons Marie-Hélène, la belliqueuse, la têtue, la téméraire mais aussi la tendre, l'idéaliste qui ne demande qu'un signe et qu'un geste. Elle veut s'arracher à la grisaille, aux habitudes somnifères pour connaître un idéal, l'amour peut-être, un élan qui fera qu'elle changera le monde et surtout sa vie.

Le monde de Kevin

Peu à peu, nous comprenons que ce petit monde tourne autour de Kevin qui a aménagé ses quartiers dans une ancienne église d'où il édicte ses lois. C'est lui qui décide que Serge est un ange qui doit offrir son corps à tous les quémandants; lui qui proclame que Tony a tout à apprendre des chiens errants. Un gourou qui marque ses disciples. Marie-Hélène voit apparaître des petites boules métalliques sur ceux et celles qui s'abreuvent des «bulles» de Kevin.
Larry Tremblay décrit très bien la dérive d'une jeunesse en quête d'absolu et que notre société a larguée. Il suffit d'un mot, d'une petite phrase. C'est le détail qui surprend, la petite remarque qui bouscule l'univers et nous fait basculer. L'écriture de Larry Tremblay devient incantation, rythmes qui nous entraînent dans les rues, la neige et le froid. Un texte plein de colère refoulée à l'image de Marie-Hélène qui voudrait secouer le monde mais qui ne réussit qu'à se faire mal. Un récit dérangeant, une belle réusssite.
Les dix-sept photographies de Petra Mueller présentent des routes, des stations de métro où les gens vont, viennent, passent et peut-être changent au gré des jours et des élans. Il y a ces taches aussi que la photographe ajoute comme pour montrer la vanité de la vie, le mouvement, l'éphémère et le futile de nos agitations. C'est peut-être le lien qu'il faut faire avec le texte de Larry Tremblay. Tout passe, tout est mouvement et rien ne peut arrêter cette course contre la mort.

«Piercing» de Larry Tremblay est paru aux Éditions Dazibao.

À feuilleter pour les photos de Suzan Vachon

Joseph Jean Rolland Dubé donne la parole à un narrateur qui décide de se couper du «murmure marchant». Il souhaite se désintoxiquer. Il n'en peut plus de ces informations qui lui tombent dessus à chaque jour, de ces images qui obsèdent le quotidien de l'homme médiatisé. 
«L'information pour l'information, le savoir pour le savoir, le profit pour le profit ; un fabuleux labyrinthe où il est si convenable de s'égarer. Mais je ne veux plus rien entendre. Rien. Ici, maintenant, avec toi, je tenterai l'ultime désintoxication : enfin le sevrage qui s'amorce.» (pp. 7-8)
Tout de suite c'est un «toi» qui se confie, cette femme qui sourit en regardant son dé à coudre et qui s'attarde sur sa chevelure «pleine de volutes», son «insolente beauté délavé». Difficile de saisir le décors de ce récit. Après une longue errance, un homme, le narrateur du début peut-être et cette femme, se retrouvent dans une sorte d'usine désaffectée. Il écrit sur une vingtaine de vieilles machines, celles que l'on vénéraient avant l'ordinateur. Il y invente des histoires qui plaisent particulièrement à la femme.
Histoire d'amour? Pendant le sommeil de l'homme, la femme veille, scrute, admire, aime, caresse, le surprend dans son abandon et sa vulnérabilité. Parce qu'elle ne dort jamais cette narratrice qui change selon les heures, les jours, les nuits et les regards.

Déséquilibre

Récit dans le récit, le lecteur reste en déséquilibre, se demande à chaque phrase s'il est dans l'imaginaire du premier narrateur, si cette voix est celle de la muse qui colle au créateur. C'est un peu agaçant ce flou, cette volonté de l'abstrait et du non dit. Est-ce encore le murmure de ces photographies qui jonchent le plancher et qui fascinent l'homme qui se confie? Est-ce le lien qu'il faut faire avec les photographies de Suzan Vachon?
Qui est qui?
Je suis souvent revenu sur mes pas pour scruter le visage de cette narratrice amoureuse, cette muse et amante sans jamais être rassuré. Plus souvent qu'autremet, je suis resté accroché à l'univers de Suzan Vachon, fasciné, prêt à tout imaginer. J'avoue. Plus j'avançais dans ma lecture, plus je délaissais le texte pour rôder autour de ces visages subjuguants que présente Suzan Vachon.
Et après, encore le texte de Joseph Jean Rolland Dubé, cette écriture ampoulée, les soupirs de la muse, de l'amante, de la couturière qui n'en finit plus de piquer cette robe, sorte de Pénélope qui attend Ulysse qui n’arrive plus à sortir de sa nuit... Trop de somnifères peut-être…

«Venir après» de Joseph Jean Rolland Dubé est paru aux Éditions Dazibao.

Cynthia Girard ne cesse de tourner en rond

Cynthia Girard dans ce minuscule recueil de contes et poèmes surprend au premier coup d’œil. L’enchantement cependant fait vite place à la déception après quelques pages. Voilà, nous plongeons dans une sorte de grand fourre-tout et il faut trouver un sens, une direction. Pourtant... Il y a les contes, les textes qui ont bercé l'enfance de tous. Une visite dans ces univers pouvait s'avérer intéressante en autant qu'elle est assumée. Cynthia Girard s'y perd rapidement, systématiquement, volontairement, refusant de suivre un fil narratif sauf celui de ses pulsions. S'inspirant de contes connus, elle les mélange, les triture, dévie rapidement et bascule immanquablement dans les affres de l'écriture. Les mots s'échappent, se moquent, n'en font qu'à leur tête et l'écrivaine ne rattrape jamais ce qu'elle ne veut surtout pas retenir.
«La petite fille est maintenant perdue dans la forêt et moi aussi, je me perds dans la forêt. Mais moi ce n'est pas la même chose, moi je me perds dans la forêt des lettres, moi ce n'est pas la même chose, chaque lettre comme un petit buisson et chaque mot comme un petit bosquet et chaque phrase comme quoi ? Je ne sais pas comme quoi chaque phrase, comme un...» (p 9)
Cynthia Girard tourne autour de l'écriture, des mots qui s'imposent et repoussent l'écrivain. Le travail de l'écrivant n'est-il pas justement de dompter cette dérive? A quoi bon écrire si c'est pour répéter qu'il est difficile d'écrire, quasi impossible... L'auteure répète la formule à satiété. L'ensemble devient un seul et même texte malgré les titres et les sujets.

Les photos

Heureusement, les quatorze photographies de Anne-Marie Zeppetelli, ces visages qui surgissent comme des lanternes dans la nuit ont réussi à me retenir. Ce questionnement sur le regard m'a permis d'aller au bout du livre. Non, la rencontre n'a pas lieu. L'écriture de Cynthia Girard est beaucoup trop narcissique pour s'ouvrir à Anne-Marie Zeppetelli. La photographe cherche le regard de l'autre et l'écrivaine se referme comme une huitre.
Et la poésie de Cynthia Girard?
Il me semble que le discours poétique a fait des bonds depuis l'époque de l'énumération, de l'association libre qui a fait la marque des surréalistes.
«ça sent la grande volonté / la discipline / le dur labeur / là-bas le café / l'homme / front tendu / il porte plume et calepin / il se concentre / il se recherche / un gant à l'envers / un mystique en volutes de fumée / il se consacre / poésies de bure / de sandales en prosternations...» (p.20)
Il faut un projet qui supporte la quête poétique, une intention qui pousse le souffle sinon on se fait remueur d'émotions, collectionneur d'impressions. Ça semble le fait de Cynthia Girard. 

«Déviances poétiques» de Cynthia Girard est paru aux Éditions Dazibao.
http://dazibao-photo.org/fr/desphotographes/deviances-poetiques-fr

mardi 12 décembre 2000

Les petits bonheurs de la vie disent tout

Josée Bilodeau se fait discrète et attentive, brode sur sa vie, sur Montréal, une rue, un restaurant, une rencontre ou encore sur une échappée dans son pays natal. Elle fuit un homme qu'elle n'aime plus ou qu'elle aime encore trop.
Rien de spectaculaire. Nous nous laissons guider par l’écrivaine, caresser par ces gestes qui font que la vie est la vie. Elle excelle dans cet art de montrer le quotidien sans le maquiller. Nous nous prenons à sourire quand elle surveille un grand blond dans un autobus qui file vers le centre-ville de Montréal. Parce que c'est cela «Kilomètres» de Josée Bilodeau. Un monde de sourires, de regards, de petites attentions qui font que la vie est bonne et qu'on la savoure comme un café odorant. J'aime cette manière de montrer le bonheur sans sortir trompettes et percussions.
«Souvent, je vois cet homme passer. Nous avons commencé à nous sourire. J'ai amassé plein d'histoires sur ses trajets, sur sa démarche nonchalante. Ce soir, je le salue de la main. Demain, il entrera dans le café, prendra place face à moi, sur ta chaise libre.» (p.23)
Et nous y croyons! Nous y prenons plaisir. Josée Bilodeau note tout avec un bonheur rare dans ce récit qui tient du journal intime et de l'aquarelle. Jouant admirablement de l'ombre et de la lumière, elle garde une justesse sans faille.
«Moi je regarde le coucher de soleil sur mon pays, pour la première fois me semble-t-il, et je trouve que c'est vrai, que c'est beau, que l'or du ventre de cette terre se reflète parfois dans le ciel, comme maintenant, ici. J'oublie les kilomètres l'espace de ce coucher de soleil et contemple la mort douce du jour sur le pays de mon enfance.» (p.42)
Certains parlerons de mièvrerie. Pourtant, ce sont ces petits bonheurs qui font que la vie vaut la peine d'être la vie.

«Kilomètres» de Josée Bilodeau est paru aux Éditions Les Intouchables.