MICHELINE MORISSET ET PAUL CHANEL MALENFANT ont correspondu de 2013 à 2017. Pour le plaisir
d’écrire certainement parce que les deux habitent un même coin de pays dans le
secteur de Rimouski. Il aurait été facile pour eux de se rencontrer pour de
vrai. Mais s’asseoir autour d’une table, pour le temps d’un café, ne permet pas
le même contact. Dans une lettre, on prend la peine de se situer dans le temps,
de tenter de faire l’inventaire de son être. Le courriel et Facebook ont changé
nos habitudes. Il est désormais plus facile d'être en contact avec la tribu
de ses amis. Mais pour arriver à une publication, les partenaires doivent aller
au-delà de la pluie et du beau temps. Il faut une formidable générosité et
surtout une totale franchise.
Les échanges
épistolaires m’ont permis de lire de véritables bijoux. Des trésors d’humanité,
de partage et de sincérité. Je pense à Geneviève Amyot et Jean Désy qui ont
correspondu une dizaine d’années, se disant tout de leurs angoisses, leurs
peurs, leurs maladies, leurs découragements et leurs enthousiasmes. Ils se livrent
totalement dans Que vous ai-je raconté ?
Des cris d’existence, le chant de deux êtres. Magnifique et poignant.
Je pense aussi à Marcelle
Ferron, à ses sœurs et ses frères. Le
droit d’être rebelle nous entraîne dans l’intimité d’une famille qui a
marqué le Québec avec Jacques, Madeleine et Marcelle l’artiste, la peintre et
la sculpteure. Toute une époque et une démarche de créateur dans ses espoirs,
ses découragements, ses enthousiasmes, son exil, ses misères financières et amoureuses.
Absolument fascinant.
Pourtant, les
lettres de Gabrielle Roy à son mari sont d’une grisaille à donner le cafard. Surtout
que cette correspondance est à sens unique. Nous n’avons que les lettres de
madame Roy et pas celles de son mari Marcel Carbotte, si elles existent. Mon cher grand fou… est le seul livre de
Gabrielle Roy qui m’a déçu pour ne pas dire autre chose. Je me demande comment
j’ai fait pour aller au bout de ces 700 pages.
TITRE
Le bleu ne fait pas de bruit de Morisset et Malenfant. Quel beau titre
! Un emprunt au poète Jean-Michel Maulpoix. Micheline Morisset a l’art de nous secouer avec des titres un peu étrange et
singulier qui sont un poème en soi. La
musique exactement ou Ce visage où
habiter. Que dire de Le cœur, c’est
fatal. Paul Chanel Malenfant est un peu plus abstrait dans cet art. Toujours jamais ou Le verbe être n’ont rien pour m'enthousiasmer.
Les deux se
lancent dans cette aventure en mars 2013 sans trop savoir où les mots vont les entraîner.
Entreprendre une correspondance, c’est comme lancer une bouteille à la mer.
Micheline Morisset le précise dans une courte préface.
J’ignorais
à l’époque que cette correspondance serait publiée, que je me lèverais à la
sauvette le matin, pour poursuivre la conversation laissée en friche la veille
et qui, au lever du jour, traînait au bord de ma pensée et me sortait de
l’isolement. Je ne savais pas encore à quel point j’aimerais lancer à la mer,
dans le calme lumineux, ces instants de papier. C’est si facile maintenant
d’expédier une lettre par courriel. On suppose qu’elle ne peut pas prendre
l’eau. Et pourtant…
Quatre ans à
s’écrire des textes où l’on saute sans parachute, où l’on a le temps de ressentir toutes les émotions du dur métier de vivre. Le bonheur aussi, le plaisir des
saisons, les publications et aussi la douleur de perdre un compagnon dans le
cas de Paul Chanel Malenfant, la maladie du côté de Micheline Morisset. Assez
pour qu’ils se livrent sans masques et maquillages.
L’écriture
toujours là, obsédante, imposante qui happe Micheline jour après jour, la fait
se réfugier dans son bureau comme une migrante qui n’ose plus mettre le nez
dehors, affronter un monde improbable ou encore la passion de Paul Chanel pour
les maisons, les jardins, les fleurs et les coins chaleureux où l’on sent une
présence, une attente je dirais pour la réflexion et la lecture. Ces lieux où l’on
peut respirer en savourant son café, se pencher vers les objets qui habitent le
silence, se sentir tout là dans son corps et sa tête.
QUÊTE
Les deux tentent de
comprendre pourquoi ils sont ce qu’ils sont, d’habiter l’espace, de surprendre son
interlocuteur pour mieux se trouver peut-être. Poser une question, c’est
souvent la diriger vers soi. Pourquoi cette fascination pour la littérature,
cette entreprise où le monde ne prend consistance que quand il peut se transformer
en mots.
Le retour à
l’enfance est inévitable. Les écrivains ne se lassent jamais de parcourir cette
distance entre le soi de l’enfant et le monde adulte où ils ont souvent
l’impression de perdre pied ou d’être des désadaptés.
Les
mots se hissent en moi avec leurs visions de l’amour et ses fatalités. Le
courant surgit d’une ancienne terreur que mes ancêtres n’ont pas su celer dans
l’éternité. Miettes d’être. Les hommes font des faux pas et ils en meurent.
(p.65)
Et Paul Chanel de
répondre.
J’ai
été un écrivant, un enfant scribe, un artisan de la lettre, de l’alphabet, du
dictionnaire Larousse qui « sème à
tout vent », et je ne m’en remets pas. (p.82)
Les deux jonglent
avec des questions qu’ils n’osent pas formuler peut-être devant leurs proches.
Cette manie, cette maladie de vouloir tout changer en mots, de voir le monde dans
une phrase ou un paragraphe. Cette obsession qui me hante et qui me fait me
lever avant l’aurore pour m’enfermer dans mon Pavillon, pour secouer un texte
pendant des mois et des années, m’allonger sur une phrase comme je le fais sur
le lac gelé sans trop savoir si la glace est assez solide pour porter mon
poids. Parce que l’écriture est toujours un risque, un défi à la vie, la folle
entreprise de se tourner vers soi et les autres. Une sorte de justification,
parce qu’en écrivant, on éprouve toujours une certaine culpabilité.
L’impression de voler du temps à ses proches et ses amis. Pourquoi se retirer
du monde, de toute l’agitation qui fait courir toute une société autour de soi ? Pourquoi
ce désir de silence qui vous happe et menace de vous anéantir ?
Je
n’ai pas l’art des carnets. Je n’ai jamais tenu de journal intime ; ne
m’en sentais pas le droit. J’estimais que de telles confidences m’auraient mise
en danger. La totale impuissance de l’enfance… J’ai noirci un seul journal,
ligné, des années plus tard, à l’hôpital, sous le regard puissant d’une
médecin-accoucheuse, après l’enfilade de jours catatoniques où je n’avais pas
su échapper au non-sens. (p.98)
QUESTIONS
Les deux lisent
beaucoup, s’accrochent à des extraits qu’un écrivain a glissés dans un texte.
Ces phrases qui vous arrêtent parce qu’elles sont une partie de votre pensée. Quelques
mots qui figent le temps, vibrent en vous dans un éclat de conscience.
J’imaginais, madame
Micheline, dans l’ombre de son bureau, devant son ordinateur, à l’abri de toutes
les extravagances de l’été, de ses géraniums qui dépérissent si rapidement,
cette vie qui s’éloigne, qui va, qui éblouit et qui peut aussi être un jour
d’automne quand le gel mord partout. Ou la magie aveuglante de la neige par les
jours sonores de janvier.
Les deux vivent
par et dans un texte. Celui que l’on pousse un peu plus loin chaque jour et les
livres des autres qui viennent vous secouer comme les vagues du grand fleuve
auprès duquel Micheline Morisset vit sans prendre souvent le temps de le voir
marquer les jours à sa manière.
Paul Chanel Malenfant
aime aller à l’étranger, devient frénétique dans la ville folle qu’est New York
ou encore s’enthousiasme devant une exposition. L’art pour oublier la mort tout autour. Comment fermer les yeux devant la mort qui frappe au
coeur des foules ?
La perte d’une
grande amie, d’un père, la vie qui flanche à gauche et à droite. Le compagnon
de vie qui écoute l’écrivain dans ses questionnements et ses frayeurs, la
maladie qui vous fait vous recroqueviller sur vous.
Les
mots trompent le réel. Ils font semblant de se prendre pour les choses, de
décalquer nos faits et gestes, d’aborder notre âme comme s’ils la connaissaient
par cœur. Les mots trompent l’œil. Ils jouent, sur une scène de carton-pâte -
la feuille de papier vierge ou l’écran lumineux de l’ordinateur -, le drame ou
la comédie de nos vies. (p.151)
Des témoignages
bouleversants. Parce que nous sommes dans l’être, dans la pulsation qui fait
que nous respirons, que nous pouvons aimer, le regard d’un oiseau qui s’envole
sur la galerie, le vent qui brasse les feuilles. Une quête où les écrivains
cherchent le pourquoi des choses, le comment de la vie sans jamais trouver de
réponses.
J’ai aimé la
terrible franchise de Micheline Morisset et Paul Chanel Malenfant, certaines
réponses, certains cris de l’être et leurs glissades d’âme qui font que la vie
est parfois si difficile et d’autres fois, un moment de grâce où nous avons
l’impression de prendre l’éternité à bras-le-corps.
LE BLEU NE FAIT PAS DE BRUIT
de MICHELINE MORISSET ET PAUL CHANEL MALENFANT, une
publication des ÉDITIONS D’ART LE SABORD.
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