Une version de cette chronique est parue dans Lettres québécoises, printemps 2016, no 161 |
S’il y a des êtres malfaisants dans les contes et les légendes, et
ils sont fort nombreux, il peut y avoir des âmes qui ne veulent que la joie et le
plaisir. L’invention des fêtes est la
principale occupation de Félibre et de la fée Joufflue, une femme qui ne pense qu’à
aimer, qu’à vivre tous les moments de son existence en les goûtant comme des
pépites de chocolat. Voici donc les éternels amoureux qui ne cessent de s’inventer
des raisons pour s’effleurer et se reconnaître, s’aimer, se draper de grands
rires en sachant qu’ils peuvent tout recommencer avec le jour et les poussées de la nuit. Je suis parce que tu es, pourrais-je
dire en paraphrasant le grand William.
Mais attention, malgré les grands sourires, les caresses et les
baisers, il y a la vie qui fait son chemin, les virages imprévus. Parce que vivre est une tragédie et épuiser tous les plaisirs, répandre le
bonheur peut demander une certaine forme de trahison et d’infidélité. Félibre
devra apprendre à vivre une liberté qui le bouscule et lui demande beaucoup d'efforts. La fée est insatiable et
surtout elle a plusieurs vies en réserve. Il faut se lever de bonne heure comme on
dit pour s'accorder à son pas.
J’ai dû abandonner mes repères pour savourer ces courts textes qui
se succèdent comme ces dessins d’enfants que l’on colle sur la porte du réfrigérateur.
Ils nous offrent un monde que nous connaissons, un regard, une simplicité, une
fraîcheur qui touchent toutes les âmes sensibles. Des esquisses, des couleurs étonnantes
pour traduire l’espoir, la douleur et le chagrin. Boulerice ne se prive de rien
et possède un don pour les trouvailles langagières.
Avec les éclats tombés à leurs pieds, entre des dates et des mots
dans le marbre, les amoureux ont ouvert sur place un calendrier de fêtes. C’est
un calendrier perpétuel ou le retour de chaque jour offre une image fragile.
Grandeur nature, elle demande aux amoureux une attention de tous les instants.
Elle leur demande aussi de s’arracher aux beautés éphémères. (p.16)
S’il y a la vie, il y a aussi la mort, les chagrins et la maladie,
la perte de soi et de l’autre, celui ou celle qui donne un ancrage à sa vie.
Mais tout est plus facile quand on aime une fée qui possède la magie du rire perpétuel et le don de tout transformer en joie. Félibre suit même si on devine qu’il aurait tendance parfois à s’abandonner à
une certaine mélancolie, une tristesse qui nous tombe dessus comme
une bruine par un matin de juillet. Un état d'âme plus qu’une douleur, une façon d’être qui vous laisse alangui sans avoir l’énergie de secouer le jour. La fée
est faite pour le soleil, le ciel bleu et les vents chauds qui emportent les
danses et les musiques. Aller vers les autres, les regarder, leur parler et
surtout prendre conscience que ce sont eux qui vous donnent la certitude d’exister et d'être heureux.
Il aimait serrer la main des gens, leur tenir le coude, les
enlacer ou faire la bise aux plus chers pour s’assurer de leur existence tout
autant que de la sienne. Cette façon d’être présent aux vivants palpables
rachetait la superbe ignorance que son amoureuse affichait à leur égard,
réservant ses salutations et ses tendresses à des êtres qui restaient
invisibles. (p.87)
Comment ne pas sourire devant un carrousel à songes ou des boîtes
à échos ? Tout est magie, invention avec cette femme-fée si généreuse de
son corps. L’impression de m’avancer dans une sorte de bande dessinée où tout
peut arriver d’un coup de crayon ou d’un regard. La certitude de prendre le
bonheur à pleines mains, à pleine bouche, et ce le plus souvent possible. Parce
que la joie est la rencontre de soi et de l’autre. J’aime ce partage, cet
équilibre nécessaire entre les êtres pour parvenir peut-être à se faufiler dans
une autre dimension.
J’ai souvent pensé à Boris Vian et L’écume des jours où Chloé voit son cancer comme une fleur qui
s’épanouit sur son sein. Boulerice nous pousse dans tous les
étourdissements et les extravagances. J’aime cette euphorie douce qui retourne
les mots, fait surgir des images, des objets impensables, des situations
impossibles. Parce que la joie de vivre est peut-être l’invention la plus singulière
de l’humain. Ce qui est particulièrement difficile de nos jours avec les
violences qui frappent partout et rendent le monde inquiétant. La folie
meurtrière est là depuis si longtemps qu’il faut la contrer par la joie d’aimer
et le goût du bonheur.
Il faut caresser les mots pour y arriver et surtout fait confiance à
leur puissance. Que demander de plus ? Peut-être un regard de la fée Joufflue
pour oublier les jours gris, les folies humaines et la mort qui est devenue un
sport extrême. Je l’accueillerais volontiers pendant ces semaines où le
printemps danse le tango avec l’hiver cette bonne fée. On le sait, les êtres de lumière se moquent des
changements climatiques et favorisent le réchauffement de l’être.
L’invention des fêtes de Jacques Boulerice est paru chez Le lézard
amoureux, 298 pages, 19,95 $.
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CHRONIQUE : 73
armoire aux costumes
de Charles Sagalane publié chez La Peuplade.
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