LE PERSONNAGE DE Christian Guay-Poliquin, celui du
Fil des kilomètres, est de retour. L’homme
parcourait le continent pour rentrer dans son village après une longue absence.
Tout se déglinguait. Une panne d’électricité généralisée, la société qui
s’arrête dans un hoquet. À l’arrivée, un accident d’auto le laisse plus mort
que vivant. Dans Le poids de la neige,
nous retrouvons le même homme, les jambes immobilisées dans des attelles de
bois. Matthias s’occupe de la maison, un peu en retrait du village. La recherche
de nourriture occupe tout le monde. Et cette neige qui tombe sans arrêt et
menace d’avaler le pays.
J’ai relu la fin du premier roman, pour retrouver les questions des
villageois qui ont secouru le voyageur. Son père, qu’il voulait retrouver, est
mort, heurté par son auto peut-être. Il ne sait plus. Une femme conduisait, du
moins il le croit. Personne n’a vu la passagère. Il a peut-être tout imaginé avec
cette traversée hallucinante.
L’accident a été violent. J’étais confus. Je rêvais à ma voiture.
Je cherchais mon père. Mes souvenirs se chevauchaient. Je revoyais sans cesse
la scène. Des jours et des nuits de route. La panne d’électricité, les stations
et des nuits de route. La panne d’électricité, les stations services
dévalisées, les milices au bord des routes, la panique dans les villes. Et
soudain, à quelques kilomètres du village, dans la lumière fatiguée des phares,
deux bras levés vers le ciel. Les pneus qui crissent sur la chaussée. Un coup
de volant. Un impact sourd. Le sang. Les fissures dans le pare-brise. Les
tonneaux. Mon corps éjecté de l’habitacle. Puis le poids de la voiture
renversée sur mes jambes. (pp.28-29)
Matthias voulait voyager pour se changer les idées et son auto est
tombée en panne à l’entrée du village. Il veut retourner en ville, retrouver
sa femme, mais plus personne ne s’aventure sur les routes depuis que le pays
s’est déglingué. Les chemins sont des coupe-gorges. La barbarie règne, le
monde régresse. Les villageois effectuent des rondes pour protéger le peu
qu’ils ont. Tout étranger peut être un ennemi. Surtout, il faut résister à cet hiver
qui ne veut plus desserrer son étreinte.
Dans la maison silencieuse, le temps s’écoule lentement, s’accroche
aux gestes de Matthias. Le
blessé dort, guette le vent, le froid par la fenêtre avec une longue-vue. Il y
a les visites de Maria et Joseph pour briser la routine, les médicaments et les
pansements qu’il faut changer.
Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je pense à Maria, à sa
façon de me parler, de rire devant mon silence, à la douceur de ses mains quand
elle inspecte mes blessures, aux souvenirs qui surgissent quand je la vois. Il
y a longtemps qu’elle est venue me voir. Le temps cicatrise ce qu’il peut, mais
rien n’est joué. Je suis toujours étendu là et je regarde les journées se
donner le relais en espérant que mes jambes pourront me porter de nouveau, un
jour. En attendant, Matthias me soigne et me nourrit. Je sais qu’il n’a pas
vraiment le choix. Nous sommes prisonniers l’un de l’autre. (p.73)
Matthias s’occupe du blessé en échange de bois de chauffage et de
nourriture. Au printemps, on lui a promis qu’il pourrait retourner en ville, participer
à une mission de reconnaissance.
HIVER
La neige impose sa loi et empêche les gens de s’évader, de respirer
presque. La forêt, comme une muraille, rassure un peu. Le pays est toujours là.
Un mot, une casserole oubliée sur le poêle, le bois de chauffage, le feu à entretenir,
les pansements à changer, la nourriture et certains plaisirs comme une
cigarette ou un verre de vin, voilà le quotidien. La vie est attente, hibernation.
Maria fait rêver. Le blessé l’a connue dans son enfance, à la petite école. Et Joseph qui vit en marge du village et fait ses affaires. Le couple disparaît sur une motoneige et personne ne sait où ils sont passés.
Maria fait rêver. Le blessé l’a connue dans son enfance, à la petite école. Et Joseph qui vit en marge du village et fait ses affaires. Le couple disparaît sur une motoneige et personne ne sait où ils sont passés.
Et pourquoi la famille du blessé n’est pas revenue du camp de
chasse à l’automne ? Que de questions dans ce roman ! La neige écrase le monde
et les individus. Au point de faire céder le toit. Rarement, j’ai senti l’hiver
comme ça. Elle devient un personnage, une force impitoyable. Il ne reste qu’à
tourner autour du poêle pour garder sa chaleur, survivre comme une bête dans sa
tanière.
RETOUR
Le blessé finit par bouger dans la maison avant de se risquer à
l’extérieur. Lente reptation, retour à la vie, espoir de retrouver une forme d’autonomie.
Les villageois transforment un autobus sous la direction du mécanicien avant de
prendre la fuite, abandonnant Matthias et Jonas, un idiot qui garde les vaches.
Les voilà des errants, des ombres qui cherchent comme des chiens
redevenus sauvages. Il faut trouver de la nourriture, pêcher sur le lac derrière
la colline. Que faire quand la société est morte, quand tous les objets et
outils sont devenus inutiles ? Que faire devant la fin du monde ? Seuls les
plus débrouillards et les plus rusés survivront.
Ils sont partis, répète-il sèchement. Ils ont menti à Jonas, ils
ne reviendront pas. J’aurais dû m’en douter. L’obscurité gagne la véranda, mais
aucun de nous deux ne semble prêt à fournir un effort pour allumer la lampe à
l’huile. J’ai l’impression que Matthias fait la même chose que moi, il compte
les gouttes d’eau qui tombent en essayant de trouver le sommeil. Pour l’instant
on a encore de bonnes réserves, dit-il après un moment, mais il va falloir
s’organiser autrement pour la nourriture. On n’a pas le choix. Je fais comme si
je n’avais rien entendu et je pense à la valise qu’il cache de l’autre côté. Et
au réveil dans la poche de ma veste. (p.195)
Véritable exploit de Christian Guay-Poliquin qui transforme le
quotidien le plus terne, le plus répétitif en suspense. Nous redécouvrons des
gestes essentiels. Un repas ou quelques pas dans la neige, le plaisir de goûter
une sucrerie ou une cigarette. J’ai embarqué physiquement dans le combat des
survivants. Je me suis affolé quand le toit de l’appendice où ils vivent s’est
écroulé, quand ils défont les cloisons de la maison pour entretenir le feu. Tous
meurent de faim et de froid dans ces maisons glacées comme des cercueils. Personne
ne peut venir en aide à Matthias et l’éclopé qui réapprend à bouger.
PRÉSENCE
Quel roman sur la neige et l’hiver, la présence insoutenable du
froid et de la poudrerie ! Tous les gestes, tous les mots vous enfoncent dans
les jours qui semblent s’être figés. Guay-Poliquin s’impose avec un minimum d’effets.
Ce qui aurait pu devenir répétitif et lassant m’a gardé en éveil comme si je
devais lutter de toutes mes forces pour survivre.
Et pourquoi je ne suis pas arrivé à laisser le passé s’éteindre
de lui-même, dans les arcanes de ma mémoire. Je voulais revoir mon père, je
voulais changer le cours des choses et j’ai échoué sur toute la ligne. Mon père
est mort avant que je puisse lui parler et, quoi que je fasse, quoi qu’il
m’arrive, je resterai toujours, comme lui, un mécanicien. Les grands choix de
ma vie ont été faits il y a longtemps, je dois composer avec eux. (p.228)
Et quand le pays se laisse un peu apprivoiser par le soleil, quand Matthias peut enfin retourner en ville, du moins tenter de le faire, le blessé part pour le camp de chasse de sa famille. Qu’est-il arrivé
dans la forêt ? Pourquoi ils ne sont pas revenus avec les autres ? Au moins, il
aura son territoire, un chez lui peut-être…
J’imagine une suite. Il reste encore bien des questions. Pourquoi
cette panne d’électricité ? Quels chemins vont prendre les survivants ? Un
suspense, mais surtout un recommencement du monde. Il suffit de si peu pour que
tout se détraque et que nos gadgets deviennent obsolètes. On l’a vu lors de la
crise du verglas en 1998. Le portable, le téléphone intelligent sont bien peu utiles
quand il faut se battre pour un peu de nourriture, couper du bois ou entretenir
un feu jour et nuit.
Ce roman subjugue et vous fait vivre la plus grande des aventures, celle de la survie, de la lutte quotidienne contre le froid et la neige, ses semblables transformés en loups.
Ce roman subjugue et vous fait vivre la plus grande des aventures, celle de la survie, de la lutte quotidienne contre le froid et la neige, ses semblables transformés en loups.
Un retour à l’animalité que nous croyons bien loin quand nous nous
étourdissons dans nos occupations futiles, quand nous débattons sur
l’habillement d’une chanteuse au gala de l’ADISQ. Christian Guay-Poliquin nous
ramène à l’essentiel, à ce qui fait la vie. Une expérience de lecture
particulièrement intense.
LE POIDS DE LA NEIGE de CHRISTIAN
GUAY-POLIQUIN a été publié aux ÉDITIONS LA PEUPLADE.
PROCHAINE CHRONIQUE : LA BIEN-AIMÉE DE KANDAHAR de FÉLICIA MIHALI, publié chez LINDA LEITH ÉDITIONS.
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