L’OUEST AMÉRICAIN M'A toujours fasciné. Les
Aventures de Rin tin tin et Aigle
Noir, quand j’avais douze ans, devinrent rapidement mes émissions favorites
à la télévision. Le premier film que j’ai vu au cinéma racontait la vie de
Buffalo Bill. Je rêvais, partais dans les plaines sans fin ni commencement, défaisais
de tous les obstacles. J’ai gardé un faible pour ces productions qui ressassent
des clichés sur les Indiens, les cow-boys et une époque où tout était possible.
La recette a fait la fortune d’Hollywood. L’individu confrontait tous les
dangers, se butait à des hordes de sauvages sanguinaires et triomphait par son
habileté à manier les armes. L’éloge du héros sans peur et sans coeur. À la recherche de New Babylon de
Dominique Scali, heureusement, montre des aspects fort différents de cette
utopie. Les héros sont attendrissants et souvent fragiles.
Tout recommencer,
vivre sans frontières et sans contraintes. Le rêve a marqué le XIXe siècle, subjugué
des milliers de personnes. Il fallait tout laisser derrière, franchir des rivières,
des vallées et des déserts pour se régénérer et devenir autre. Une forme de
mort suivie d’une résurrection. Tourner le dos à la civilisation, chercher la
pureté dans une nature indomptée. Plusieurs Québécois ont succombé au rêve. Je
pense particulièrement à Will James qui
est parti dans l’Ouest pour se faire cow-boy, le plus vrai des Américains.
Jacques Godbout a réalisé un film intéressant sur ce personnage étrange.
Une manière
d’échapper aux lois, de penser et vivre autrement. Une occasion de s’enrichir
avec l’or des rivières ou en dévalisant un train. Les sectes religieuses y ont
vu l’occasion de fonder des communautés où il était possible de vivre sa foi et
ses principes. Ces groupes se sont souvent donné des règles strictes, plus
sévères même que celles qui régissaient le monde qu’ils abandonnaient. Les mormons,
les doukhobors au Canada, les quakers et bien d’autres ont essaimé pour
incarner leur foi. Le révérend Aaron représente ce croyant libre et flagorneur
qui n’hésite pas à flirter avec le mal.
Il
se retint de préciser qu’il était obsédé par tout ce que les gens pensaient,
sauf ce qui le concernait. Il adorait négocier, mais n’avait aucun intérêt pour
l’argent. Il ne jouait pas, mais avait l’impression d’être dans un jeu. Il
croyait en Dieu, mais n’avait pas la foi. Il invitait ses fidèles à prier pour
leur prochain, mais ne priait que pour lui-même. Il omit aussi de dire qu’il
avait vu une fillette battue par son père quand elle ne priait pas assez et une
femme battue par son mari quand elle priait trop, soupçonnant le pasteur de
l’avoir ensorcelée. Que de fois il avait juré que plus personne ne cherchait à
gagner son ciel et que les plus fervents voulaient seulement s’assurer une
place en première page du prochain Testament. (p.20)
Le pasteur prend
des notes, s’intéresse à ces marginaux qui risquent tout chaque jour, aux
fanfarons qui défient la loi et flirtent avec la mort. L’écrivain cherche celui
qui se cache derrière les vantardises, délaisse leurs exploits pour se pencher
sur leur façon de penser et d’être. Tous cherchent une certaine attention, se
valorisent par leurs actes ou leurs exploits. Russian Bill par exemple. Charles
Teasdale aussi, un boxeur qui réchappe de ses combats plus amoché que ses
adversaires.
C’était
pour les femmes que les lois avaient été inventées. Et c’étaient les hommes qui
les enfreignaient, la plus plupart du temps. (p.382)
J’ai un faible pour
Russian Bill, ce mégalomane qui se prétend de l’aristocratie russe. Un homme de
goût qui discourt souvent plus qu’il n’agit. Et Pearl Guthrie qui ne cesse de
lire des romans. Les femmes sont putains et traitées comme du bétail dans ce
monde. Pearl est une lointaine parente d’Anna Wetherell d’Eleanor Catton qui,
en Nouvelle-Zélande, à peu près à la même époque, réussit à se forger une
identité. Les luminaires est un roman
sidérant sur l’utopie du recommencement.
FRONTIÈRE
La frontière bouge
et s’éloigne quand les aventuriers pensent l’effleurer. Il faut toujours
recommencer parce que le rêve ne se laisse jamais caresser. La ville mythique
qui échappera à toutes les lois ne peut se concrétiser avec des bâtiments et
des rues. L’erreur de Russian Bill, c’est de vouloir construire son rêve dans
le désert. Ce sera la fin de tout.
Et
pourtant, la lucidité n’était jamais loin derrière les absurdités que balançait
Bill. Chaque ville avait sa cité jumelle ; une pour les vivants, une pour les
morts. D’un côté comme de l’autre, on retrouvait les mêmes noms de famille.
(p.311)
Nous ne sommes pas
dans une saga où le tireur le plus rapide abat les mécréants. Les héros n’ont
rien à voir avec Hopalong Cassidy ou Billy le Kid. Les personnages cherchent
une liberté qui leur échappe, une fortune aussi volatile que les sables du
désert. Leur rêve est inatteignable et ils le savent.
Le pays est
sillonné, visité et saccagé. Le fantasme file entre les mains des plus
intrépides. Personne ne réussira à ligoter ce songe, à se l’approprier. Pas
plus Charles Teasdale que Pearl Guthrie ou le révérend Aaron.
Le
Révérend sortit et les portes battantes claquèrent derrière lui. Il s’était
toujours efforcé de respecter les types barbants. De tous les défauts, la
banalité devait bien être le plus pardonnable. Mais ce soir-là, il avait
abdiqué. Dorénavant, il mépriserait sans retenue. Comme une jeune putain
désabusée qui s’était démenée pour éviter de tomber dans le métier. Ou comme un
animal qui défèque n’importe où pour se venger d’avoir été dompté. (p.396)
Dominique Scali
signe un très beau texte qui vous transporte dans un monde impossible et réel. C’est
la nature même de l’utopie, du mythe de la conquête de l’Ouest qui a donné la
Californie, le mieux peut-être de cette puissance militaire que sont les
États-Unis. Une nation qui a rêvé de refaire le monde en misant sur
l’individualité et la puissance de ses armes. Nous connaissons maintenant que
ce rêve a engendré la misère et la richesse scandaleuse de certains. Une époque
fascinante, un roman magique.
À la recherche de New Babylon
de Dominique Scali est paru aux Éditions La Peuplade, 462 pages, 27,95 $.
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