«La constellation du lynx» de Louis Hamelin est un ouvrage impressionnant avec ses 600 pages, ses multiples personnages. Une immersion totale dans les années 70 et les événements d’octobre. Des moments qui ont marqué l’histoire du Québec contemporain. Cette balafre difficile à ignorer, ce «trou de mémoire collectif en forme de mise à mort», peu de littérateurs ont osé l’explorer.
Les Québécois se souviennent plus ou moins des événements d’octobre. L’enlèvement de James Richard Cross, diplomate britannique à Montréal et du ministre du Travail de l’époque ne doit certainement pas dire beaucoup de chose à ceux qui ont moins de trente ans. Pierre Laporte mourrait dans des circonstances nébuleuses tandis que James Richard Cross était libéré par ses ravisseurs qui prenaient la direction de Cuba.
Il ne faut pas croire que le Québec était alors un cas sur la planète Terre. Ces événements tragiques s’inscrivaient dans un grand mouvement de contestation qui toucha l’Amérique et l’Europe. En France, en Italie et en Allemagne des groupes prônaient l’usage de la force et de la violence pour atteindre leur but. Au Québec, cela prenait la couleur de la libération nationale par la souveraineté.
Événements
Louis Hamelin avait onze ans quand les soldats de l’armée canadienne ont envahi Montréal et quelques villes du Québec. Ottawa entrait en guerre contre les membres du FLQ. La Belle province devenait territoire occupé. Hommes, femmes, écrivains, poètes et militants étaient incarcérés manu militari. Aucune explication nécessaire. La loi spéciale permettait d’arrêter n’importe qui, n’importe quand. J’ai même eu droit à une visite de la police à Montréal.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ces événements. Mémoires, récits par des membres du FLQ, témoignages et aussi des silences qui font surgir plus de questions que de réponses.
Le romancier tente de reconstituer le puzzle et de suivre la démarche des révolutionnaires, met en scène des hommes et des femmes qui s’activaient dans le mouvement clandestin et cherchaient à libérer le Québec du Canada, à mettre fin à l’exploitation par l’instauration du socialisme. Certains personnages enquêtent, tentent de débusquer la vérité et fouinent un peu partout sans pour autant tomber sur les bonnes réponses.
Le lecteur doit faire preuve de patience avant d’être emporté par ce thriller. Les intervenants se multiplient et il est difficile de comprendre où l’écrivain veut nous entraîner. Il faut une bonne centaine de pages avant de se sentir à l’aise et de renoncer à coller la fiction sur l’histoire. Nous avons tous le réflexe de prendre «La constellation du lynx» au premier degré, de croire qu’il s’agit d’une reconstitution exacte des événements. Bien sûr on reconnaît certains personnages, mais ce n’est pas là le but de l’aventure.
Infiltration
Il semble bien que les membres du Front de libération du Québec étaient connus de la police et leurs déplacements suivis à la seconde près. La maison du 140 de la rue Collins, où le ministre Laporte a été détenu, était truffée de micros. Les policiers savaient tout ce qui se tramait. Même que la maison voisine aurait été occupée par les forces policières. Pourquoi ils ne sont pas intervenus, mystère.
Le romancier va plus loin. Les groupes felquistes, selon lui, étaient infiltrés et manipulés jusqu’à un certain point par les forces de l’ordre. On pourrait croire que les services secrets tiraient les ficelles. Pourquoi les autorités auraient agi ainsi? Pour casser toute idée de révolte, pour briser les reins du mouvement souverainiste? Pareilles hypothèses donnent des frissons dans le dos. Un tel machiavélisme est à peine imaginable dans une société démocratique.
Roman policier
Il est rare que notre littérature s’aventure sur ces terrains minés. Peu d’écrivains ont l’audace de s’attaquer aux problèmes sociaux et politiques. Pourtant, l’actualité est souvent plus étonnante que la plus folle des fictions.
Une véritable aventure, un roman touffu et nécessaire. Une page d’histoire qui reste nébuleuse malgré tous les efforts de l’écrivain. Ce n’est qu’à la toute fin que le puzzle tombe en place et que le lecteur comprend à peu près ce qui est arrivé. «La constellation du lynx» ne ferme pas définitivement le dossier du FLQ, mais il pose les bonnes questions. Le défi était immense et Louis Hamelin le relève avec brio. À lire absolument pour mieux comprendre un moment important de notre histoire. Une fresque fascinante.
«La constellation du lynx» de Louis Hamelin est paru aux Éditions du Boréal.
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